Pour leurs "vies brisées", les salariés de France Télécom demandent réparation

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Par Aglaé WATRIN - Paris (AFP)
Publié le 06 mai 2019 - 20:39
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Des salariés de France Télécom manifestent à Caen, le 6 octobre 2009 après plusieurs suicides d'employés de l'entreprise
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© MYCHELE DANIAU / AFP/Archives
En 2008 et 2009, 35 salariés de l'entreprise se sont donné la mort, pour certains sur leur lieu de travail.
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"J'ai menacé de tuer mon chef, c'est comme ça que j'ai pu négocier mon départ": Jean-Luc Pasquinet, 65 ans, fait partie des anciens salariés de France Télécom venus manifester pour demander réparation aux ex-dirigeants de l'entreprise, poursuivis pour harcèlement moral, au premier jour de leur procès lundi à Paris.

Soutenus par les syndicats et des associations de victimes, ils étaient plusieurs centaines au total à manifester, sur le parvis du tribunal de grande instance de Paris, et à réclamer la reconnaissance des violences morales qui ont entraîné une vague de suicides au sein de France Télécom.

En 2008 et 2009, 35 salariés de l'entreprise se sont donné la mort, pour certains sur leur lieu de travail.

"Le harcèlement consistait à me contourner puisque j'étais responsable d'une équipe et à tourner mes collaborateurs contre moi", témoigne M. Pasquinet. "C'était aussi mon chef qui me hurlait dessus même quand j'atteignais mes objectifs", confie-t-il, ajoutant avoir finalement réussi à quitter l'entreprise en 2010, "après deux ans d'un harcèlement visant à me pousser au départ".

Affiches et t-shirts des manifestants incriminent notamment l'ancien PDG de France Télécom au moment des faits, Didier Lombard, dont les déclarations sur les départs "par la porte ou par la fenêtre" avaient fait polémique, et reprennent les objectifs de suppressions d'emplois de l'époque ("22.000 emplois supprimés en trois ans").

Parmi les manifestants, Béatrice Pannier, 56 ans, chapeau orange sur la tête barré du slogan "Plus jamais ça!", dit ne plus vouloir cacher son histoire et son burn-out. Face à la presse, elle lit sa lettre ouverte adressée à Didier Lombard, à qui elle réclame "des excuses publiques".

- "vie brisée" -

"Moi aujourd'hui ma vie est brisée", témoigne, la voix tremblante, cette téléconseillère entrée chez France Télécom en 1982 et en arrêt maladie depuis sa tentative de suicide sur son lieu de travail à Caen en 2011.

"Ma guérison passera par le fait d'assister à ce procès et surtout par le verdict qui marquera une nouvelle page de ma vie", assure-t-elle.

Mais pour les associations de victimes, les peines encourues par les prévenus - 15.000 euros d'amende et un an de prison - ne sont pas suffisantes.

"Pour nous, ils devaient être condamnés pour homicides involontaires", défend Michel Lallier, représentant de l'Association d'aide aux victimes et aux organismes confrontés aux suicides et dépressions professionnelles (ASD Pro).

"Les effets de la politique menée par la direction sont établis par les suicides. Notre objectif dans ce procès, c'est de montrer l'intention" qu'il y avait de déstabiliser les salariés, précise-t-il.

- "dépasser les bornes" -

"C'est un procès important car c'est la première fois que le motif retenu de harcèlement institutionnel va s'appliquer", déclare de son côté Patrick Ackermann, représentant SUD. "J'attends que les anciens dirigeants disent qu'ils regrettent, qu'ils reconnaissent qu'ils ont dépassé les bornes", ajoute-t-il, rappelant que les salariés et leurs familles attendent depuis 10 ans que justice soit faite.

"Je ne pense pas qu'il y aura de +mea culpa+ des prévenus durant le procès", anticipe toutefois Cédric Carvalho, représentant CGT Orange. "Les dirigeants vont continuer à nier les méthodes qui ont été employées".

Avant de rejoindre la longue queue qui s'étire devant le tribunal pour assister à la première audience, les manifestants se succèdent au micro pour réclamer la mise en place d'un fonds d'indemnisation pour les victimes et leurs proches et témoigner leur solidarité aux salariés d'autres grandes entreprises "sous pression productiviste".

C'est la première fois qu'une entreprise du CAC 40 est jugée pour "harcèlement moral".

Les témoignages des anciens salariés seront au cœur du procès de l'entreprise, devenue le symbole à la fin des années 2000 de la souffrance au travail. Le procès fleuve est prévu pour durer jusqu'au 12 juillet.

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