Au procès Mediator, le cardiologue marseillais et son alerte "restée dans un tiroir"

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Par Anne-Sophie LASSERRE - Paris (AFP)
Publié le 15 octobre 2019 - 21:22
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Une boîte de Mediator, le 18 novembre 2010
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© FRED TANNEAU / AFP/Archives
Une boîte de Mediator, le 18 novembre 2010
© FRED TANNEAU / AFP/Archives

"C'est resté dans un tiroir": un cardiologue marseillais a déploré mardi au procès du Mediator à Paris que l'alerte qu'il avait lancée plus de dix ans avant le retrait de cet antidiabétique ait été ignorée par les autorités.

"C'était fin 1998", raconte le docteur Georges Chiche, accent rocailleux et épaules voûtées à la barre du tribunal correctionnel. Praticien dans les quartiers nord de Marseille, où il exerce toujours à 67 ans, il venait de déclarer au centre régional de pharmacovigilance un cas de "fuite valvulaire aortique", une valvulopathie, sur l'un de ses patients.

Ce dernier, lui-même médecin généraliste et diabétique en surpoids, s'était "auto-prescrit du Mediator pour son tour de taille un peu volumineux", retrace le cardiologue au teint hâlé, en retroussant les manches de son pull vert sur ses coudières.

Jusqu'en "1995-96" et sa lecture intensive de revues médicales américaines, grâce auxquelles il fait le lien entre le Mediator et d'autres anorexigènes commercialisés par Servier, le cardiologue pensait que "c'était une drogue merveilleuse".

"J'ai dit stop, lancé l'alerte dans les quartiers: tous les patients qui avaient une fuite inexplicable, je leur demandais +avez-vous pris du Mediator?+. Je les faisais arrêter et les valvulopathies régressaient progressivement", affirme-t-il.

- "On a perdu dix ans" -

Le "cas Chiche" sera la première valvulopathie possiblement liée au Mediator à entrer dans la base nationale en février 1999.

"Validé à Marseille comme crédible", son dossier restera à Paris "dans un tiroir", soupire le témoin, pestant contre les "dix ans perdus", le produit ayant été retiré le 30 novembre 2009.

Après son signalement, le Dr Chiche a eu "zéro accusé de réception" des autorités sanitaires, mais dit en avoir reçu "trois" des laboratoires Servier, dont celui de son ancien professeur de médecine, alors adjoint à la mairie de Marseille et dont les "festivals de jazz étaient sponsorisés" par le groupe. "Il m'a dit au téléphone: +Georges tu es brillant, comment tu peux écrire des conneries comme ça? Il faut retirer ton observation+", accuse le cardiologue.

"Ce qui me tue le plus, c'est la porosité de l'Agence (du médicament, ndlr). Mon nom a été divulgué à l'industriel", tempête Georges Chiche, qui dénonce aussi la "réprobation" de ses collègues, même si on ne lui disait "pas en face".

"A Marseille, on disait: +Georges, tu as craché dans la soupe+. Un collègue, corse, a répondu: +Vous avez raison, mais nous on ne mange pas la même soupe que vous+", décrit-il en prenant le tribunal à partie: "Ceci reste entre nous, hein".

Douché par "l'attitude" de l'Agence du médicament, il ne déclare plus aucun effet indésirable, malgré la "quelque cinquantaine" d'autres cas sous Mediator détectés selon lui, et malgré l'obligation faite aux médecins de les signaler.

Entendue à sa suite, l'ancienne responsable du centre de pharmacovigilance de Marseille, Marie-Josèphe Jean-Pastor, a confirmé "un manque d'empressement des médecins à déclarer les effets quels qu'ils soient".

Dans les années 2000, des valvulopathies et des hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP), une pathologie rare et incurable, avec imputabilité plausible au Mediator, seront toutefois signalés. Mais ces alertes resteront là aussi vaines.

Entre 1999 et 2005, le Mediator ne sera plus à l'ordre du jour des comités techniques de pharmacovigilance, malgré la multiplication des cas et alors que le médicament est au coeur d'une double enquête, en France et en Europe.

Entendus lundi, les anciens responsables du centre régional de pharmacovigilance de Besançon, chargé de l'enquête française, se sont retranchés derrière "les institutions" et les "donneurs d'ordre", assurant que leur rôle s'était borné à "compiler l'ensemble des effets indésirables" pour "en faire une synthèse".

Le système de pharmacovigilance a "failli", avaient quant à eux estimé les auteurs du rapport de 2011 de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l'affaire du Mediator.

Utilisé par cinq millions de personnes pendant les 33 ans de sa commercialisation, le médicament est tenu pour responsable de centaines de morts.

Les laboratoires Servier comparaissent notamment pour "tromperie aggravée" et "homicides et blessures involontaires", une dernière qualification également retenue contre l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps), poursuivie pour avoir tardé à suspendre le Mediator.

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