Facilités bancaires et désillusions pour les jeunes ruraux qui s'installent

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Par Wafaa ESSALHI - Rennes (AFP)
Publié le 16 février 2018 - 12:22
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Un éleveur avec ses vaches après la traite à Plesse, dans l'ouest de la France le 14 février 2017
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© LOIC VENANCE / AFP/Archives
Un éleveur avec ses vaches après la traite à Plesse, dans l'ouest de la France le 14 février 2017
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"Un prêt à 400.000 euros et une vie au RSA", résume un producteur laitier de Mayenne. Comme une grande majorité de jeunes ruraux, l'éleveur a rencontré peu d'obstacles à l'obtention d'un crédit à l'installation, basé sur des prévisions déconnectées de la réalité avec l'assentiment des acteurs de la filière.

"Quand on est jeune, on ne sait pas tout, on est content de s'installer et donc on signe", explique Marc (prénom modifié) qui avait 26 ans lorsqu'il a contracté son emprunt bancaire.

Sous le poids des dettes, le jeune père de famille a fait une tentative de suicide deux ans après son installation: "j'avais l'impression que pour m'en sortir c'était ma seule solution".

Une assistante sociale l'a mis en contact avec Solidarité Paysans qui l'accompagne dans ses démarches auprès des créanciers. L'association suit 53 familles en difficulté en Mayenne, dont 23 nouvelles en 2017.

Si l'agriculteur reconnaît sa part de responsabilité - "je me suis installé trop vite, j'ai acheté trop de vaches" -, il regrette de ne pas avoir été bien aiguillé: "J'ai eu les aides, j'ai mis un prix potentiel, on ne m'a rien demandé, du moment que la banque disait +oui+". "Si c'était à refaire, je ne m'installerais pas. Maintenant, je subis", soupire l’éleveur qui possède 55 vaches laitières.

En 2011, lors de son installation près de Laval, il obtient 12.000 euros en dotation jeune agriculteur (DJA). Cette aide en trésorerie destinée au démarrage de l'activité varie de 8.000 à 30.000 €, selon la zone. Marc a également bénéficié d'un prêt bonifié de 2,5%.

"Une des particularités du monde paysan, c'est que les dossiers d'installation sont instruits par la profession. Les études d'installation ne reflètent pas forcément la réalité économique du moment. Elles n'ont pour vocation que de permettre l'installation et donc d'autoriser la banque à débloquer des fonds", explique Patrick Bougeard, président du réseau national Solidarité Paysans.

99,9% des dossiers sont approuvés par la Commission départementale d'orientation agricole (CDOA) où sont représentés syndicats, banques et administration publique, explique l'un des membres de la commission qui opère en Bretagne.

- Incapacité de remboursement -

Alors que le secteur agricole est en proie à des difficultés, le nouveau venu trouvera également les portes grandes ouvertes du côté des banques: "Aujourd'hui, tout jeune agriculteur porteur d'un projet est financé, on a une part de refus assez faible", confirme Laurence Corman, responsable du marché de l’agriculture au Crédit Agricole en Bretagne. Elle assure que la banque effectue sa propre étude en se basant sur une moyenne des prix agricoles des deux dernières années.

Laurent B., producteur bovin breton, n'a "jamais réussi à tirer un revenu de sa production". La dotation jeune agriculteur lui permet de "sortir de l'eau" mais l'agriculteur de 23 ans ne parvient pas à rembourser son emprunt de 160.000 euros. "Je connaissais les risques mais on a envie de tenter sa chance quand même", admet-il.

Du côté de Solidarité Paysans, on regrette que "la profession en règle générale ne fa(sse) pas son boulot. Ils devraient être beaucoup plus prudents dans la manière dont ils accompagnent les paysans".

"On finit par s'auto-convaincre que la situation dans laquelle on s’installe ne posera pas de problème mais on se met un voile noir sur la réalité", assure Patrick Bougeard, le président de l'association.

Les crises dans les filières porcine, volaille mais surtout laitière de 2008 et 2015, s'ajoutant à la fin des quotas, ont laissé sur le carreau de nombreux jeunes installés.

'Mythe du paysan solidaire'

"Avec des prévisions à 320 euros les 1.000 litres alors que le prix tombe à 270, vous vous ramassez la crise de plein fouet", estime M. Bougeard. "La banque récupère ses garanties. Pour ces gens-là, le paysan est d'abord un client, il faut aussi démystifier le mythe du (monde) paysan solidaire où tout le monde tire dans le même sens".

Néanmoins, "si vous comparez le monde professionnel avec le monde de l'agriculture, en termes de dépôts de bilan, cela reste très faible", tempère Roger Andrieu, président du Crédit Agricole en Bretagne. "Ce qui ne veut pas dire que la situation n'est pas compliquée à vivre pour les personnes ayant des difficultés de trésorerie", dit-il.

Le taux de maintien des nouveaux agriculteurs après cinq années s'élève à plus de 86%, selon la Mutualité sociale agricole (MSA). Mais près de 30 % des exploitants agricoles avaient en 2016 un revenu inférieur à 350 € par mois et 20% étaient en déficit.

"La difficulté par rapport à l'endettement, c'est que les tailles des exploitations sont de plus en plus grandes. Passer de 500.000 litres de lait à 1 million ne se fait pas d'un coup de baguette magique, il peut y avoir un temps long, sans compter le facteur sanitaire, météorologique", analyse M. Andrieu du Crédit Agricole.

"On est en train de changer d'approche, avec plus de proximité. Des agents se rendent auprès des agriculteurs pour faire un bilan dès six mois. On l'a moins fait par le passé parce que cela cognait moins dur. Avec la volatilité des prix, le marché est devenu international", explique Laurence Corman, responsable du marché de l’agriculture.

Sur le terrain, les bénévoles de Solidarité Paysans tentent une nouvelle approche auprès des jeunes en intervenant dans les lycées agricoles. Mais "le discours qu'on tient n'est pas audible car cela pourrait remettre en cause leur installation", regrettent-ils.

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