Kits covid, masques... comment la diaspora chinoise organise son autosuffisance

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Par Shahzad ABDUL - Paris (AFP)
Publié le 17 avril 2020 - 14:40
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Des caissières travaillent derrière des rideaux en plastique installés à la caisse d'une épicerie chinoise à Paris, le 24 mars 2020
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© Alain JOCARD / AFP/Archives
Des caissières travaillent derrière des rideaux en plastique installés à la caisse d'une épicerie chinoise à Paris, le 24 mars 2020
© Alain JOCARD / AFP/Archives

Distributions de "kits covid", livraisons de masques par "millions", dons aux institutions... Par peur de "l'incapacité" de la France à gérer la crise du coronavirus, mais aussi pour l'"aider", la communauté chinoise s'est mise en ordre de bataille contre la pandémie.

Deux événements ont mis en lumière l'organisation - tantôt politisée, tantôt spontanée - de cette discrète communauté qui compte 125.000 ressortissants en France, essentiellement en région parisienne.

Le premier a eu lieu le 5 avril, avec l'arrestation dans le XVIe arrondissement parisien de deux responsables d'associations chinoises, placés 24 heures en garde à vue pour la possession d'environ 15.000 masques. Deux jours plus tard, trois étudiantes chinoises sont arrêtées lors d'une distribution de "kits covid" à leurs compatriotes, ce qui avait provoqué un attroupement à Asnières-sur-Seine, en banlieue parisienne. Elles ont été relâchées quelques heures plus tard après l'intervention de leur ambassade.

La distribution de ces kits, qui contiennent des masques - chirurgicaux et les très recherchés FFP2, en théorie réservés aux personnels soignants -, des gants, des lingettes, ainsi que de la médecine traditionnelle chinoise, s'adresse aux étudiants chinois, selon l'ambassade à Paris.

Rien d'illégal, affirme cette dernière, qui fait "de son mieux (...) pour défendre les droits et intérêts légitimes des compatriotes chinois en France", a affirmé dans un communiqué la représentation diplomatique.

A l'origine de ces actions, une lettre datée du 31 mars, en forme d'appel au secours, adressée par une vingtaine d'associations aux autorités chinoises, dans laquelle la diaspora s'estime "en danger".

Face à "l'incapacité (des autorités françaises) à prendre les mesures de protection appropriées pour lutter" contre le coronavirus, les auteurs de ce texte en langue chinoise que l'AFP s'est procuré demandent notamment que soient fournis "certains produits de protection d'urgence et matériels médicaux".

- "Manque de confiance" -

Deux jours plus tard, l'ambassade lance la distribution des kits covid, prise en charge par des étudiants qui organisent des livraisons par quartiers grâce à l'application de messagerie chinoise Wechat.

"Il y avait énormément de retour de Chinois depuis mi-février. Et Pékin veut éviter les retours par peur d'avoir des cas importés. Donc le gouvernement a décidé d'aider les Chinois de l'étranger, pour calmer le jeu. On peut appeler ça de la diplomatie sanitaire à la Chinoise", estime Simeng Wang, chercheuse au CNRS qui travaille sur la façon dont la communauté chinoise fait face au Covid-19.

"Les Chinois de France se rapprochent, depuis, de leur pays d'origine où ils ont l'impression que la crise est bien gérée", poursuit Simeng Wang, dont l'équipe suit ces distributions "qui se poursuivent".

En parallèle des actions pilotées par Pékin, d'autres ont vu le jour, souvent à l'initiative d'associations. En particulier l'acheminement de "quelques millions de masques" par "des voies non officielles", affirme Tamara Lui, présidente de l'association Chinois de France.

Pour elle, la communauté s'est sentie "isolée et marginalisée" lorsqu'elle portait massivement des masques à une période où le gouvernement français estimait "que ça ne servait à rien".

"Il y a clairement un manque de confiance dans la gestion française, envers le monde hospitalier, et une peur des discriminations. Les téléconsultations de médecins en Chine ont explosé. Depuis cette crise, la peur a grandi", juge-t-elle.

- "Juste pour aider" -

Des masques, le père de Jimmy Gov en distribuait également: c'est lui qui a été arrêté le 5 avril.

"On voulait aider les ressortissants qui ne parlent pas bien (français). La communauté est choquée. On était là pour aider et on se fait taper sur les doigts. Donc maintenant il va tout arrêter", raconte, amer, l'entrepreneur qui tient le rôle de porte-parole pour son père, convoqué par la justice en septembre.

"On se sentait juste redevables envers la France qui a été l'un des premiers pays à aider la Chine. C'est bête, parce qu'on est en contact avec des personnes en mesure de produire des quantités astronomiques de masques pour donner gratuitement. Mais ça a refroidi les ardeurs", regrette-t-il.

Nombreux sont les associations et les chefs d'entreprises, dans le quartier chinois du XIIIe arrondissement parisien, à "faire jouer leurs réseaux pour distribuer des masques aux personnels soignants", abonde Laetitia Chhiv, présidente de l'Association des jeunes Chinois de France. Comme la livraison, jeudi, de 250.000 masques à la mairie du XIIIe, chargée de les redistribuer.

"Toute la communauté est mobilisée sur cette question", résume Adeline Dai, conseillère en gestion de patrimoine qui s'est muée en "logisticienne" pour plusieurs associations.

"On a organisé les choses pour la France quand on a vu que ça se calmait à Wuhan", foyer de l'épidémie où elle a vécu 7 ans. "C'est plus facile pour nous, on connaît les réseaux, on parle la langue. Quand on voit que les hôpitaux ont besoin, on les contacte", raconte la jeune femme qui assure que la communauté "fait ça juste pour aider".

Hôpitaux, commissariats de police, Secours populaire... Adeline Dai livre tout le monde: "Quand on décide d'habiter ici, on aime ce pays. Si tout le monde pense comme ça, on sauvera plus de personnes", dit-elle.

En sortant de l'hôpital le 25 mars, guérie du coronavirus mais convalescente, Lucie (prénom d'emprunt), une Chinoise habitant à Paris, n'a reçu aucun kit covid. En revanche, elle n'a plus eu à mettre un pied dehors: depuis trois semaines, ses courses sont déposées par des personnes qu'elle ne "connaît pas".

"Tout ce que je sais", s'amuse-t-elle, c'est que les mystérieux livreurs "sont envoyés par l'ambassade".

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