"La douleur" de Marguerite Duras à l'écran : un pari impossible ?

Auteur:
 
Par Marie-Pierre FEREY - Paris (AFP)
Publié le 19 janvier 2018 - 10:01
Image
Marguerite Duras au tribunal de Paris, le 20 septembre 1966
Crédits
© - / AFP/Archives
Marguerite Duras au tribunal de Paris, le 20 septembre 1966
© - / AFP/Archives

Le pari touche à l'impossible: transposer à l'écran le récit de Marguerite Duras sur le retour de son mari Robert Antelme des camps de concentration, "La douleur", dont plusieurs passages touchent à l'innommable, au "non filmable", selon les propres mots du réalisateur Emmanuel Finkiel.

Robert Antelme, qui fait partie comme Marguerite Duras du groupe de résistance de François Mitterrand (alias "Morland"), est arrêté le 1er juin 1944, emprisonné à Compiègne, puis déporté à Buchenwald puis Dachau.

Pendant des mois, la romancière, qui entretient une liaison avec l'ami de son mari, Dionys Mascolo, se consume dans l'attente. Lorsqu'il revient, c'est l'horreur: "trente-huit kilos répartis sur un corps d'un mètre soixante-dix-huit", décrit-elle. "De ce charnier" seule émerge la tête, "hagarde, mais sublime".

Pendant des jours, Robert Antelme, malade du typhus, se vide. Marguerite Duras décrit cette merde "inhumaine", cette "chose gluante vert sombre qui bouillonnait" et qui "le séparait de nous plus que la fièvre, plus que la maigreur, les doigts désonglés, les traces de coups des SS".

Voilà ce que le film ne peut parvenir à décrire, et c'est pourtant le coeur du récit. Lorsqu'elle publie le texte avec d'autres nouvelles sous le titre "La douleur" en 1985, Marguerite Duras explique ne pas se souvenir de l'avoir écrit: "Comment ai-je pu écrire cette chose que je ne sais encore nommer et qui m'épouvante quand je la relis", s'interroge-t-elle.

- Mélanie Thierry joue Duras -

Cette épouvante, ce "désordre phénoménal de la pensée et du sentiment (...) au regard de quoi la littérature m'a fait honte" manque au film d'Emmanuel Finkiel, pourtant fort respectueux du livre.

Certes, le Paris de l'occupation est restitué avec soin, les personnages sont incarnés avec talent par Benjamin Biolay (Dionys), Benoît Magimel (le collabo Rabier) et la frémissante Mélanie Thierry (Marguerite). Mais on ne ressent pas l'angoisse poignante que restituait si bien la comédienne Dominique Blanc dans la pièce "La douleur" mise en scène par Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang au théâtre de l'Atelier en 2009.

Dans sa première partie, la plus réussie, le film s'attache à la deuxième nouvelle du recueil, "Monsieur X. dit ici Pierre Rabier", où Duras relate sa relation ambigüe avec un agent de la Gestapo qui lui donne des nouvelles de son mari. "L'histoire de Rabier est davantage dans l'action, elle permettait de tendre un fil qui relève presque du suspense", explique le réalisateur, lucide.

La transposition de "La douleur" proprement dite est bien plus difficile à affronter. Là où Duras nomme la maigreur d'Antelme (Robert L. dans le récit), le gouffre de son appétit, la "merde" qui sort de ses entrailles, le film coupe le texte, élude, noie l'horreur. "Pour moi, le corps d'Antelme tel qu'il revient n'est pas filmable, le film dit ça aussi", reconnait le réalisateur.

L'image fuit le corps recouvert d'une couverture de "Robert L." à son retour des camps, la lente reconquête de la vie, et finit par diluer inéluctablement l'insupportable, si bien décrit par l'écriture acérée de la romancière.

Une dizaine d'oeuvres de Duras ont été adaptées au cinéma, y compris par la romancière, dont "India Song" et "L'amant".

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
bayrou
François Bayrou, baladin un jour, renaissant toujours
PORTRAIT CRACHE - François Bayrou, député, maire de Pau et plusieurs fois ministres, est surtout figure d’une opposition opportuniste. Éternel candidat malheureux à la...
20 avril 2024 - 10:45
Politique
26/04 à 18:30
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.