Pour les enfants yazidis rescapés de l'EI, la liberté, la peur et la méfiance

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Par Emmanuel DUPARCQ - Hassaké (Syrie) (AFP)
Publié le 01 mars 2019 - 15:01
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Des garçons yazidis près de Baghouz (Syrie), après avoir fui le groupe Etat islamique, le 23 février 2019
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© STRINGER / AFP
Des garçons yazidis près de Baghouz (Syrie), après avoir fui le groupe Etat islamique, le 23 février 2019
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Il vient de retrouver la liberté après quatre ans passés avec le groupe Etat islamique (EI), qui a tué son père et vendu sa mère. Un traumatisme dont Saddam, 15 ans, est sorti perturbé, taiseux et méfiant.

Le jeune adolescent a fui le dernier réduit jihadiste à Baghouz dans l'est syrien, en cours de désagrégation, avec dix autres enfants yazidis que l'EI avait enlevés dans le sillage de ses conquêtes territoriales en Syrie et en Irak.

Arrivé mardi matin avec les autres rescapés dans une maison d'accueil pour jeunes yazidis à Gomar, dans la province de Hassaké (nord-est), le jeune homme, lèvres crispées sous sa moustache naissante, ponctue chaque question de l'AFP d'un silence et de rares mots.

Assis sur un matelas couvert de velours coloré, dans un salon chauffé où s'accumulent tapis et coussins, il est aujourd'hui loin des tranchées et des sous-sols glacials où il se terrait ces dernières semaines pour échapper aux bombardements.

Mais le confort n'y change rien: à l'heure de raconter son histoire, Saddam est tendu.

Il est le seul du groupe à avoir accepté de répondre et de se faire filmer et photographier par l'AFP, la plupart préférant s'éloigner, parfois en se cachant le visage.

Les 11 jeunes Yazidis, dont il est le plus âgé, ont suivi l'EI jusqu'à son ultime réduit dans le village de Baghouz, aux confins orientaux de la Syrie, encerclé par les forces antijihadistes arabo-kurdes.

- Enfants soldats -

A la sortie de cette ultime poche, où l'EI semble s'être résolu à laisser fuir ceux qui le désiraient, le groupe d'enfants s'est rendu aux forces kurdes, qui ont contacté une association locale, la Maison des Yazidis.

Deux jours plus tard à Gomar, les rescapés, propres et soignés, habillés de survêtements colorés, dormaient sur les matelas, jouaient ou discutaient calmement dans le jardin.

Nombre d'entre eux, comme Saddam, sont originaires du Sinjar, dans le nord de l'Irak, foyer historique des Yazidis, minorité persécutée des siècles durant en raison de ses croyances religieuses.

A l'été 2014, les combattants de l'EI ont débarqué sur ces terres d'un peuple qu'ils jugent "infidèles". Ils ont tué les hommes, réduit les femmes à l'esclavage sexuel et transformé les plus jeunes en enfants soldats.

Des milliers de Yazidis sont morts ou ont disparu, et le sort de 3.000 d'entre eux demeure inconnu.

"Il n'y a pas une famille au Sinjar qui n'a pas eu de membre tué" ou "violé", explique Mahmoud Racho, un des responsables de la Maison des Yazidis, qui a jusqu'ici accueilli 300 rescapés de l'EI.

Pour chacun, l'association contacte les familles en Irak. Elles viennent les chercher après quelques jours.

La famille de Saddam a été éparpillée par les jihadistes. Ils ont emmené avec eux la mère et ses cinq enfants, avant de les séparer, raconte le jeune Yazidi. Quant à son père, les combattants de l'EI "m'ont dit qu'ils l'avaient tué", ajoute l'adolescent, visage figé et yeux embués.

Il se garde toutefois de condamner les jihadistes, semblant même les ménager.

L'adolescent affirme n'avoir subi aucun mauvais traitement ou enrôlement militaire forcé. Les jihadistes lui montraient des vidéos de violences et d'"exécutions", et passaient surtout leur temps à lui "apprendre le Coran", dit-il.

"Je ne les aimais pas, je ne voulais pas rester", souligne-t-il et "je me suis arrangé pour sortir".

- "Certains vomissent" -

"Là où ils étaient, ils étaient morts de peur. Donc ici, ils ne racontent pas ce que l'EI leur a fait", raconte Halifa Hasso, qui travaille comme volontaire au centre d'accueil.

"Quand on parle avec eux (au début), ils ferment les yeux ou se cachent le visage. Ils ont tellement peur", dit-elle.

Saddam "ne nous a rien dit" car il n'est là que "depuis deux jours". "Cela prend généralement quatre ou cinq jours" pour que les langues se délient, explique-t-elle.

D'autres mettent "parfois six mois" avant de réussir à se confier, notamment "quand ils ont des proches toujours aux mains de l'EI", note Mahmoud Racho, un des responsables de l'association.

La Maison d'accueil leur fournit le gîte et le couvert pour les aider à surmonter leur traumatisme. "Certains vomissent, on leur apporte des médicaments. Après ils arrivent à parler", affirme la volontaire.

D'autres reviennent parfois imprégnés de l'idéologie de l'EI. Pour le vérifier, "on demande un suivi médical spécialisé", souligne M. Racho. "Pour certains, c'est plus dur de s'en débarrasser. Mais petit à petit, ces enfants y parviennent", assure Ziad Avdal, le coprésident du centre.

Saddam espère aujourd'hui pouvoir rejoindre sa mère et ses frères et soeurs, qui ont trouvé refuge au Canada.

A l'évocation de ce projet, l'adolescent devient plus bavard: "Je veux y aller. Je ne les ai pas vus depuis quatre ans. Ils me manquent beaucoup".

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