Matthieu Courtecuisse : "Dans l’ensemble, l’État n’a aucun intérêt à se priver des apports du secteur privé"

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FranceSoir
Publié le 29 mars 2022 - 18:47
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Matthieu Courtecuisse
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Syntec
Matthieu Courtecuisse, président de Syntec Conseil
Syntec

ENTRETIEN - Dans « Les Infiltrés », ouvrage paru le 17 février, Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, grands reporters à L’Obs, ont levé le voile sur les liens étroits entre État et cabinets de conseil. Un système qui s’est développé au cours des quinze dernières années et qui posent problème à plusieurs égards, d’après les journalistes. L’accent est mis sur le coût de la prestation, la dépendance de l’État à ces cabinets de conseil et l’inanité de cette pratique, qui se traduirait par une faiblesse des résultats. En outre, les auteurs mettent en avant le caractère sensible en matière de souveraineté de confier des missions stratégiques de l’État, à l’instar du secteur de la Défense, à des cabinets de conseil privés.

Matthieu Courtecuisse, président de Syntec Conseil, qui représente les métiers du conseil en France, réagit dans cet entretien à la publication des « Infiltrés ». Pour lui, faire appel à l’expertise du privé reste essentiel dans des missions spécifiques.

Après les polémiques McKinsey, le gouvernement a fait savoir son intention dans un premier temps de baisser de 15% les dépenses sur les conseils en stratégie et en organisation, puis, dans un second, de créer un cabinet de conseil interne. On pense à l’audition de l’un des directeurs associés du cabinet de conseil McKinsey au Sénat le 18 janvier, qui a eu manifestement de grandes difficultés à justifier un contrat 496 800 euros pour « évaluer les évolutions du métier d’enseignant ». Selon vous, ces annonces constituent-elles un aveu que l’État a abusé du recours aux cabinets de conseil ?

Dans l’ensemble, je ne le crois pas, car l’État a considérablement besoin de se transformer.
Lors de son audition, la ministre de Montchalin a précisé la logique qui préside au renforcement des capacités internes de conseil de l’État : « mettre en place des équipes mixtes de consultants internes, de consultants externes et des agents publics eux-mêmes impliqués dans les évolutions afin de garantir une transformation adaptée aux réalités » du terrain.

Les cabinets de conseil souscrivent tout à fait à cette logique : nos missions se déroulent bien mieux lorsque les pilotes et les relais du projet chez le client ont de l’expérience en matière de transformation.

La réduction de 15% des dépenses de conseil externe doit permettre une réallocation de ces moyens pour davantage développer l’interne, et ne surtout pas correspondre à une baisse nette des investissements en transformation publique. Réduire globalement la voilure serait une fausse bonne idée.

Les journalistes de l’Obs ont pointé du doigt l’écart entre les productions de ces consultants et le coût de la prestation. Sur France inter, Matthieu Aron a souligné que les rapports de la Cour des comptes et les retours de hauts fonctionnaires concluent que le recours aux cabinets de conseil privés « ne sert pratiquement à rien ». Leur expertise est-elle véritablement dénuée de plus-value pour l’État ?

C’est de la polémique stérile. Il est très facile de négliger l’écrasante majorité des trains qui arrivent à l’heure pour s’attacher à une poignée de cas moins probants.

La Commission des finances de l’Assemblée Nationale, qui a fait un travail sérieux et sans a priori sur les missions confiées par l’État à des prestataires extérieurs, a rendu un rapport en janvier 2022 dont une des quatre parties est consacrée aux cabinets de conseil. En définitive, le rapport estime « plus ou moins fondées » la plupart des critiques faites aux consultants, et conclut à l’apport « indiscutable » des cabinets de conseil, dont la plus-value est « reconnue par de nombreux acteurs de la sphère publique ».

Le non moins sérieux rapport publié jeudi dernier par la Commission d’enquête sénatoriale, même s’il est à l’évidence plus politique et cède à certaines facilités de formulation, précise ne pas remettre en cause l’expertise et le professionnalisme des consultants, « qui peuvent apporter un appui nécessaire à l’administration ». On y lit d’ailleurs que l’examen d’un échantillon de 76 prestations de conseil réalisées entre 2018 et 2021 laisse apparaître de bons résultats au global, avec pratiquement 3/4 de missions évaluées comme très satisfaisantes ou excellentes (« véritable valeur ajoutée apportée par le prestataire »).

Les cabinets de conseil apportent un regard extérieur, des expertises et des méthodes de travail pointues qui permettent d’imaginer des options inédites dans le secteur public, et une force de travail d’appoint précieuse pour répondre à des situations urgentes ou accélérer la mise en œuvre de nombreux projets.

Au cours de la crise Covid, la relation de proximité depuis 2007 entre le président de la République et McKinsey, rapportées par le journal Le Monde, ou encore le lien de parenté entre Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, et Victor Fabius, directeur associé chez McKinsey, qui fait partie des cabinets retenus pour piloter la stratégie vaccinale en France, ont fait l’objet de plusieurs polémiques. En faisant appel au secteur privé, l’État ne risque-t-il pas de favoriser un système clientéliste ?

Dans l’ensemble, l’État n’a aucun intérêt à se priver des apports du secteur privé.

Il existe déjà de manière générale de nombreux garde-fous contre les conflits d’intérêts.

S’agissant du conseil plus précisément, la profession se pliera volontiers aux dispositions qui suivront la circulaire du Premier ministre publiée en janvier dernier ainsi que les propositions de la Commission d’enquête du Sénat pour renforcer l’encadrement déjà en place.

Nous plaidions nous-mêmes dans le sens de certaines mesures envisagées.

Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre attirent l’attention sur le risque en matière de souveraineté de confier des missions stratégiques dans des secteurs comme celui de la Défense à des cabinets de conseil anglo-saxons, puisqu’ils conservent des données sensibles sur des clouds étrangers. Sur ce point, comment concilieriez-vous l’interaction entre secteur public et privé ?

Tout protocole est perfectible, mais pensez-vous que la Défense les ait attendus pour se poser la question ?

La conservation des données dans le cloud est un sujet sérieux qui doit effectivement être réexaminé régulièrement, et faire l’objet de directives claires et de contrôles.

S’agissant du conseil, beaucoup de cabinets ont depuis longtemps mis en place des mesures de précaution. La Commission d’enquête sénatoriale a fait des propositions qui ne changent rien aux pratiques déjà en vigueur, mais qui devraient avoir pour effet de les homogénéiser et de les systématiser ; cela va dans le bon sens.

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