L'affaire du "jeune Nahel" : un test social grandeur nature

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Patrick de Pontonx*
Publié le 12 juillet 2023 - 09:30
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Photo d'Ivan Vranić sur unsplash.com
Selon l'auteur de cette tribune, l'affaire Nahel s’insère dans un contexte d’ensemble qu'on ne peut ignorer.
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*Patrick de Pontonx est avocat au barreau de Paris

TRIBUNE/OPINION - L'homicide de Nahel X a provoqué les désordres et les violences que l'on sait. Il est important de revenir sur ces événements, qui caractérisent à bien des égards l'état de notre société.  

L'une des premières réactions empressées, en cette affaire, fut celle du président de la République. Avant qu'aucune enquête ne fût encore engagée, le premier magistrat de France déclara : "Je veux dire l'émotion de la Nation toute entière après la mort du jeune Nahel et dire à sa famille toute notre solidarité et l'affection de la Nation. Nous avons un adolescent qui a été tué, ce qui est inexplicable (...). Dans ce contexte, il faut du respect et de l'affection pour le jeune Nahel et sa famille".  

Propos inappropriés

Ces propos, lunaires, faisaient d'emblée le choix du parti de la victime contre celui du policier. Ils n'étaient pas sans rappeler ceux du président Hollande lorsque, en février 2017, il partagea un égal empressement à apporter son soutien officiel au "jeune Théo" Luhaka, alors hospitalisé. M. Hollande crut alors bon de déclarer aux journalistes présents que Théo était un "jeune qui a toujours été connu pour un comportement exemplaire". Une fois ce jugement d'autorité apporté, l'intéressé ne pouvait qu'être une victime de la violence policière qui l'avait conduit à l'hôpital. Le journal Le Parisien, rapportant ce fait, concluait alors : "Sous le regard de la maman de Théo, digne, les yeux embués, une poignée de mains entre Théo et Hollande conclut ce bref entretien". L'évocation de la maman soulignait l'aspect tendre de la scène.

Cinq ans plus tard, pourtant, le "jeune Théo" était condamné avec ses frères pour une escroquerie, entre 2014 et 2018 (et donc au cours d'une période incluant la visite présidentielle), portant, à hauteur de près d'un million d'euros, sur des fonds provenant... d'aides publiques destinées à des associations pour l'insertion de jeunes défavorisés.

Ce comportement des autorités publiques, à lui seul, est du plus haut intérêt. Pressés de prendre la lumière, elles croient devoir d'emblée désavouer implicitement la police et flatter ceux qui se sont opposés à elle. Sans doute s'y trouvent-elles spontanément inclinées par la perversion naturelle de leurs esprits. Mais c'est surtout qu'elles craignent la réaction des "banlieues", des "quartiers", où elles savent pertinemment que pompiers, médecins et policiers n'entrent déjà qu'avec crainte, quand ils y entrent encore.

Celui qui défie la loi

Ces pouvoirs publics connaissent toute la puissance explosive de ces territoires qu'ils n'ont pourtant jamais le courage de désarmer autrement qu'en faisant mine, à l'occasion, de copiner avec elle. Devant l'adversaire en colère, le chien faible se couche et se met sur le dos dans l'espoir de l'amadouer et d'être épargné. M. Macron, et d'autres, roulent sur le dos. Alors, adaptant leur discours à leur comportement, voici que celui qui défie la loi est présenté d'une autre manière ; ce qu'il a pu faire, ce pourquoi la police l'a arrêté ou neutralisé et sans quoi l'événement ne se serait jamais produit, tout cela disparaît comme un fond d'image effacé. Celui qui défie la loi n'est plus qu'un fils, qu'un frère, qu'une "jeune" victime. Puisque n'apparaît plus alors que la violence qu'elle a subie, il faut y compatir parce que la victime a succombé à la méchanceté policière, qu'elle a une maman et que ses copains l'aimaient bien. La lâcheté, la complicité et, d'une certaine façon, la trahison de la confiance des policiers sont alors le prix sciemment consenti par les gouvernants afin d'acheter une paix sociale précaire. 

Il n'y a dès lors pas lieu de s'étonner que le comportement des pouvoirs publics, relayé par un laxisme judiciaire maintes fois dénoncé, encourage grandement certains individus des "banlieues" à s'installer dans des modes de vie para-sociaux de délinquance qu'ils considèrent comme normaux, conquis sur la loi commune. Il n'y a pas lieu de s'étonner non plus que, dans le même temps, le personnel policier soit de plus en plus découragé d'accomplir un métier qui l'expose à la fois à la violence des voyous et à l'ingratitude, au mépris voire aux coups de la puissance publique qui l'emploie. Il est si facile pour elle d'envoyer les policiers au casse-pipe pour essuyer les contre-feux de ses politiques désastreuses ! À eux les veilles, le stress, l'épuisement, les blessures, les risques parfois mortels : c'est leur boulot.  

La présente affaire s'insère dans un contexte d'affaiblissement croissant de l'État, qui traite avec le monde délinquant de ces "banlieues" comme s'il s'agissait de partenaires avec qui négocier et qu'il faudrait parfois ménager. Voilà qui peut être potentiellement à la source d'une aggravation des risques sociaux.

Dans la déclaration du président de la République, qui, au soir de ces événements, est allé, dans sa légèreté coutumière, se dandiner avec sa femme à un concert d'Elton John, il n'y a pas de délinquant chez la victime, 12 fois arrêtée à l'âge de 17 ans, pourtant jamais condamnée, et en situation avérée de délinquance au moment des faits qui lui ont coûté la vie. Il y a juste un "jeune Nahel", fauché à la fleur de l'âge, dont le décès est "inexplicable". Tout se passe comme s'il avait été abattu à l'aveugle par un policier fou alors qu'il déambulait tranquillement avec sa famille, et non pas après de multiples infractions routières à bord d'un bolide qu'il n'avait pas le droit de conduire, en mettant ainsi en danger la vie d'autrui. Bref, comme s'il avait été, au fond, la victime d'un acte "terroriste".

Question de langage

Cette expression, "jeune Nahel", est déjà révélatrice. La députée Anne-Laurence Petel, bien qu'appartenant à la majorité présidentielle, n'a pas manqué de le relever récemment sur son compte Twitter.

Bien sûr que l'on est jeune à 17 ans et que la mort est un drame. Cependant, une chose est de considérer cette jeunesse en soi, et de la considérer par rapport aux circonstances. Dans le premier cas, on s'applique à ne considérer que le jeune âge pour incliner à la compassion ; dans le second, on met en relation ce jeune âge aux faits, ce qui change singulièrement les perspectives. Car alors, ce qui apparaît, c'est qu'un homme, seulement âgé de 17 ans, est déjà bien engagé dans les voies de la délinquance, ce qui n'incline guère, cette fois, à la compassion. Manifestement, c'est exclusivement à la réception du premier sens de l'expression "jeune Nahel" que M. Macron et la presse en général, invitent chaque Français. Le "jeune Nahel" est de notre famille à tous. Nous ne pouvons être insensibles à la perte commune d'un être cher. Lui sont dès lors acquis notre "respect", et notre "affection" même, dit le président de la République.

Pour un peu, tandis que le policier déjà publiquement considéré comme coupable est sous les verrous, M. Macron compatirait publiquement à la peine de Mbappé, si cher à son cœur, d'avoir "mal à (sa) France" et pleurerait avec lui la perte d'un "petit ange".

Depuis lors, encadrée par la famille Traoré, la mère de la victime a appelé à la "révolte". Cela n'a pas ému M. Macron, pas plus que le fait qu'elle ait décidé ultérieurement d'y mettre un terme. Sont survenues les émeutes que l'on sait, où se sont mêlées colères, fausses colères, manipulations et simple volonté sauvage de pillage. L'extrême-gauche, toujours à l'aise quand il s'agit de chaos, jette de l'huile sur le feu, en invitant au moins implicitement à poursuivre les violences, que les voyous (ceux qui cassent, ceux qui brûlent des médiathèques, des écoles, des bus...) ont qualifié de "justice". Manifestement l'angélisme macronien n'a pas fonctionné.

La police en a payé durement le prix. Plus de 250 blessés à ce jour, dont on nous excusera de rappeler qu'ils ont aussi des familles, ce dont aucun discours officiel ne s'émouvra vraiment. Comme je l'ai dit, c'est leur boulot. À Marseille, deux policiers qui n'étaient pas en service sont tombés dans un guet-apens et ont été grièvement blessés, notamment à coups de couteau. Plus récemment, un policier a été tabassé à Bobigny devant sa fille de 2 ans. Toujours efficace, le discours macronien a répliqué à ces violences qu'elles étaient "inadmissibles". La belle affaire ! Peut-être faudra-t-il que quelques policiers soient tués pour que M. Macron, en particulier, quitte sa lune et prenne enfin la mesure de la situation, bien que dans la balance, la vie d'un policier ne pèsera jamais du même poids que celle d'un émeutier. Au verbiage séducteur déçu a suivi, comme chacun sait, l'autoritarisme capricieux mais stérile qu'affectionne le maître de Élysée.  

À cet égard, le déséquilibre que s'appliquent à maintenir les journalistes ou les "spécialistes" dans le traitement respectif du policier et du "jeune Nahel" en cette affaire appelle, me semble-t-il, les deux observations correctrices suivantes.

La première est que les juges auto-proclamés du policier, qui se sont empressés de le déclarer coupable, du journaliste au footballeur surpayé, sans oublier le réalisateur Mathieu Kassowitz, sont ordinairement des gens exposés aux risques majeurs de se mordre la langue en mangeant ou de se blesser dans leurs nobles activités sportives ou artistiques. Le policier en question, comme ses collègues, expose à une violence quotidienne sa vie ou son intégrité physique, avec un salaire souvent dérisoire, pour défendre la sécurité de tous dans l'angoisse continuelle de sa propre famille (1). Que l'on aime ou non la police, c'est un fait, qui devrait inciter à plus de modestie dans les jugements portés. Beaucoup de policiers sont blessés ou tués dans leurs missions au long de l'année sans que cela soulève la moindre compassion. Le succès remporté par la cagnotte ouverte en faveur de la famille du policier concerné en cette affaire, au grand dam notamment de Mme Borne, qui s'inquiète de l'origine extrême-droitière de cette initiative, montre que beaucoup de Français ne sont pas dupes de cette injustice, au-delà des chapelles politiques.

Mépris de la police

La seconde observation est que le policier en question, ancien militaire, était jusque-là, qu'on le veuille ou non, exemplaire en son métier. Bien plus : il faisait quotidiennement son devoir dans l'exercice de ce métier, avec les risques que nous avons dit. Je dis bien son devoir. La circonstance qu'il ait pu – la justice se prononcera – commettre une faute dans cet exercice ne change absolument rien à cette volonté continuée d'accomplir son devoir. En cela il mérite le respect. Nahel, en revanche, menait une vie aux antipodes de cette exigence. À 17 ans déjà, il vivait habituellement dans le mépris de la loi, de l'autorité, de la police. Les faits qui ont occasionné sa mort sont des faits de délinquance avérée, qu'il a lui-même provoqués. En cela, cet homme ne mérite pas de respect particulier, n'en déplaise à M. Macron, dont le recours au registre de l'affection est à la fois déplacé et inapproprié.

Ces circonstances permettent de rappeler que, dans une société politique normale, il y a un "en haut", et il y a un "en bas", et que l'État doit veiller à cet ordre, sauf à ruiner toute vie sociale. En haut, l'intérêt du pays et le service de l'État ; en bas, et toujours, la délinquance, ses multiples ramifications et ses multiples acteurs, quel que soit leur âge. Un coup de couteau reçu d'un jeune de 15 ans ou d'un adulte de 40 ans ne fait pas une grande différence. Il faudra presque être reconnaissant aux émeutiers de permettre de le rappeler. Et de rappeler aussi que dans une situation de délinquance avérée, c'est en l'occurrence le policier qui est en haut et en bas celui qui ne respecte par la loi, qui ne doit dès lors trouver aucun excuse politique ou judiciaire aux comportements par lesquels il a provoqué cette situation. 

Assurément, un policier peut commettre une faute dans l'exercice de ses fonctions, comme n'importe quelle personne dans les siennes, y compris un chef d'État, encore que celui-ci ait le privilège de s'en absoudre chaque jour, toute honte bue, par ses artifices politiciens. En aucun cas, cependant, un gouvernant digne de ce nom ne peut faire cause commune, de quelque manière que ce soit, avec le sort d'un délinquant avéré. Le sens commun comme l'honneur s'y opposent. Et surtout le sens de l'État, qui suppose l'un et l'autre. Mais voilà, pour que le sens de l'État s'exerce, encore faut-il qu'il y ait un homme d'État. M. Macron, sophiste prétentieux à la moralité discutable égaré dans la politique, n'en est assurément pas un. C'est pourquoi l'indignité absolue de son appel à la compassion nationale pour un délinquant ne l'a même pas effleuré. 

En haut aussi la dignité du service et l'amour de la France, et en bas ceux qui ne font pas tout pour l'aimer. En bas aussi ceux qui par leur lâcheté, leur aveuglement et leur incompétence conduisent cette société à la violence, sans jamais y trouver d'autre remèdes, des décennies durant, que des subventions, des politiques de la ville stériles, des discours démagogiques ou des répressions, et qui ne paraissent réserver leurs haines qu'à ceux qui aspirent à voir redresser ce pays sans eux.  

Notes :

(1) Cf. l'ouvrage d'Aurélie Laroussie et de Perrine Sallé, Putes à flicsl'enfer quotidien des familles des forces de l'ordre, Ed. Ring, Paris 2022.

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