Connaissance scientifique et savoirs d’action (partie 2)

Auteur(s)
Yves Darcourt Lézat pour France-Soir
Publié le 28 février 2024 - 14:27
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Tribune Connaissance scientifique et savoirs d’action (Partie 2)
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Conjuguer science et expérience à bon escient est aujourd'hui nécessaire dans le débat public.
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TRIBUNE - La notion de “savoir d’action” mérite qu’on s’y arrête. Dans la première partie de cette tribune, nous avons vu qu'elle avait été éveloppée et déployée en France par Michel Berry à l’Ecole de Paris du management, et reprise également au CNAM par Jean-Marie Barbier. Elle donne un élan renouvelé à l’expérience pratique comme productrice de savoirs et de modes de transmission... 

Et la science ? Conjuguer science et expérience à bon escient est aujourd'hui nécessaire dans le débat public 

Cependant, la démarche scientifique est devenue de plus en plus cloisonnée par des découpages disciplinaires structurels qui entravent sa transversalité et brident l’universalité systémique à laquelle elle aspire.  

Elle souscrit à des exigences de compréhension, d’épreuves expérimentales reproductibles, de preuves formelles à caractère générique. Comme l’a souligné Gaston Bachelard dans La formation de l’esprit scientifique, la science est réservée vis-à-vis du bon sens, du jugement a priori et des valeurs. En revanche, l’expérience terrain de bon sens est transverse, sinon systémique. 
Souvent à contre-courant de l’observation courante, la science est légitime lorsqu’elle s’appuie sur un débat sérieux au sein de la discipline et sur des effets constatés conformes à ses prévisions théoriques, en conditions expérimentales et dans la complexité du monde et des choses.  

Sa légitimité est conditionnée par l’exigence d’honnêteté intellectuelle, valeur qu’entraîne précisément toute démarche scientifique digne de ce nom.  Il va de soi, pour beaucoup, que ses avancées se conjuguent à celles du technique. 

Expérience et science : la conjugaison des registres ne va pas de soi  

L’expérience terrain, la science, leurs productions de savoirs respectives ne sont pas exclusives comme l’ont montré l’expérience des fontainiers de la renaissance ou la mise en œuvre de matériaux composites dans la fabrication des grands voiliers de course des dernières décennies. Pour autant, leur conjugaison ne va pas de soi, car elles s’inscrivent dans des temporalités et sur des registres différenciés : 

Le doute et le débat sont incontournables en sciences > la production de savoirs légitimés par la science prend du temps. 
L’expérience est cruciale en situation > l’enchaînement pertinent d’analyses et de gestes entraînés, la mobilisation de savoirs d’action acquis sont essentiels pour faire face. 

La science achoppe sur la rapidité des réponses alors que la rapidité prime dans l’action. 

Récuser l’expérience, au nom de la science, condamne à l’immobilisme dans un monde qui change, à l’attentisme lorsqu’une réponse s’impose en urgence. Qu’il soit intentionnel ou irréfléchi, le déni de son bien-fondé relève d’une confusion des registres. 
Une indexation exclusive de toute production de connaissances sur la démarche scientifique abusivement érigée en mode exclusif d’énoncé de “vérité” est insoutenable. 

A contrario, récuser la science au nom de l’expérience, c’est se priver de voies nouvelles de dépassement de l’adversité. 

Disons pour conclure sur le dilemme science/expérience qu’agir d’expérience en situation, sans attendre la science, est légitime pour des professionnels expérimentés et doit le rester lorsque les circonstances l’exigent. Cela n’exclut pas, le moment venu, de croiser les retours d’expérience avec les connaissances scientifiques lorsqu’elles sont disponibles, tangibles et dénuées de biais dans leurs processus de production.

Pour renouer avec un indispensable débat 

Inspiré du fond des âges par la démocratie athénienne et par l’accomplissement du religieux dans la révélation chrétienne, le philosophe Hegel positionnait l’Etat en instance de dépassement et d’harmonie de la famille et de la société civile, un Etat qu’il ne réduisait pas à une organisation politique et administrative mais un Etat consubstantiel au débat public, creuset et produit indissociable de la participation de ses citoyens.  

Retenons ici de sa réflexion l’urgence vitale à remettre un débat public non biaisé au cœur de cité. Retenons de l’expérience récente l’impérieuse nécessité d’écarter les tentations de scientismes exclusifs de l’expérience terrain et de nourrir le débat public par des vulgarisations professionnelles et opportunes des acquis de l’expérience et des acquis et de la science distinguant les deux registres. 


Pas d’accord avec ce texte nécessairement concis ? Avec ses conclusions ? Débattons, “disputons” ! 

 

Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, Yves Darcourt Lézat est sociologue, ingénieur, alpiniste et pyrénéiste.

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