Réduire le risque médicamenteux : le plan de François Pesty (partie 6)

Auteur(s)
François Pesty
Publié le 02 novembre 2023 - 19:12
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DOSSIER - Erreurs médicamenteuses, mésusage, non-pertinence et inefficience des prescriptions, le talon d’Achille se trouve dans les logiciels métiers des professionnels de santé. Mon plan pour y remédier.

Une tribune en dix épisodes, dix propositions faisant appel au "numérique en santé", mon projet de loi citoyen en dix amendements au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024.

Sixième épisode : proposition n°6

Prévoir un contrôle pour éviter les erreurs de dispensation, imposer la lecture code-barres dans les PUI (Pharmacies à usage intérieur), et dans les unités cliniques lors des cueillettes infirmières.

Sixième amendement proposé : "La HAS doit remédier au plus vite à l’absence de contrôle pour intercepter les erreurs de dispensation – Les dernières versions des référentiels de certification des logiciels d’aide à la dispensation (LAD) ne prévoient aucun contrôle à ce sujet ! Dans les PUI (Pharmacies à usage intérieur ou pharmacies hospitalières) chaque dispensation pharmaceutique devra à l’avenir être sécurisée par la lecture code-barres. Il en va de même des opérations de réception, de mise en stock, de cueillette, de gestion des périmés, et à chaque fois qu’une identification est recommandée. Cela dans une logique également de gestion optimisée des dates de péremptions selon la méthode FIFO (first in-first out)."

L'article L. 161-38 du Code de la sécurité sociale (ici) est également modifié de la manière suivante :

7° Après la seconde phrase du premier alinéa du III, sont insérés les mots : "La HAS dans son référentiel de certification des LAD (logiciels d’aide à la dispensation) veillera à exiger l’exécution des contrôles à partir de l’historique médicamenteux (délivrances) permettant d’éviter des erreurs de dispensation et de produire les alertes correspondantes : erreur de dosage, erreur de forme ou de voie d’administration par rapport aux dernières délivrances. Lors de la mise en place de la e-prescription, un contrôle de bonne correspondance entre les caractéristiques de la présentation pharmaceutique scannée lors de sa cueillette avec celles de la prescription électronique devra être obligatoirement réalisé : même spécialité pharmaceutique, même dosage, même voie d’administration et forme pharmaceutique. Une alerte sera produite avant la validation finale dans le cas contraire."

Exposé des motifs :

Les dernières versions des référentiels de certification des logiciels d’aide à la dispensation (LAD) en officine de ville (daté du 13 janvier 2022 : ici) comme à l’hôpital (daté du 22 décembre 2022 : ici) n’imposent aucune exigence fonctionnelle minimale pour identifier et intercepter d’éventuelles erreurs de dispensation :

- Erreur de patient ;

- Erreur de présentation pharmaceutique ;

- Erreur de spécialité pharmaceutique ;

- Erreur de dose ;

- Erreur de voie ;

- Erreur de durée de traitement ;

- Erreur de moment de prise.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, ces contrôles ne sont pas exigés par les référentiels en vigueur. Aucun des 117 critères du référentiel de certification des logiciels d’aide à la dispensation en officine de ville (LAD Ville) n’adressent ce sujet, aucun des 158 critères du référentiel de certification des logiciels d’aide à la dispensation des pharmacies à usage intérieur (LAD PUI) n’adressent ce sujet.

Les objectifs de certification des LAD visent pourtant à :

- Améliorer les pratiques de dispensation des médicaments ;

- Garantir la conformité des logiciels à des exigences minimales en termes de sécurité, de conformité et d'efficience de la dispensation ;

Il suffirait néanmoins de vérifier la concordance entre la présentation pharmaceutique scannée par le pharmacien (ou la/le préparatrice/teur) habilité(e) en officine de ville, lors de sa cueillette de boîte(s) de médicament(s) à dispenser, dans les tiroirs de la pharmacie, tout particulièrement pour les renouvellements de délivrance, avec les données de l’historique médicamenteux (délivrances sur au moins quatre mois dans le dossier Pharmaceutique et bien davantage dans "Mon espace Santé"). En cas de discordance avec l’historique récent des délivrances, une alerte doit être produite avant la validation finale de la dispensation. Par exemple : "Attention, le dosage à 20 mg de Pravastatine que vous vous apprêtez à délivrer au patient, diffère de celui à 10 mg délivré lors des quatre derniers mois, confirmez-vous ce choix ?" En cas de modification du traitement, le patient doit pouvoir la confirmer.

La totalité des pharmacies d’officines de ville pratiquent depuis plusieurs décennies la lecture code-barres de chaque boîte de médicaments avant dispensation (délivrance). Au vu des présentations pharmaceutiques présentes sur l’ordonnance, le pharmacien ou par dérogation la préparatrice, le préparateur, réalise une cueillette dans les tiroirs de la pharmacie des boîtes de présentation pharmaceutiques prescrites, scanne leur code-barres ou Datamatrix… Mais, à l’exception peut-être de la rétrocession (médicaments rétrocédés, c’est-à-dire dispensés par une PUI à un patient ambulatoire), tel n’est pas le cas au sein des pharmacies à usage intérieur. Nous pouvons estimer à seulement un tiers les pharmacies hospitalières qui utilisent la lecture code-barres pour sécuriser les opérations de réception, d’entrée en stocks, de sortie de stocks, et de dispensation, que cette dernière soit "globale", "reglobalisée", ou "individuelle et nominative". Or, les codes-barres ou Datamatrix apposés sur les boîtes de médicaments, outre le code de la présentation pharmaceutique, embarquent depuis 2010 leur numéro de lot et leur date de péremption (code CIP13 attribué par l’ANSM et code UCD, pour unité commune de dispensation à l’hôpital, attribué par le Club inter-pharmaceutique), ce qui pourrait ou aurait pu faciliter justement la gestion des péremptions courtes à l’hôpital et dans les établissements médico-sociaux. Il est donc nécessaire de rendre obligatoire cette lecture code-barres pour toutes les dispensations par les PUI ! Un préalable à tout contrôle visant à intercepter une erreur de dispensation. Dans un souci permanent d’évitement des erreurs de cueillette, que ce soit au niveau de la pharmacie ou dans les unités cliniques lors de de la cueillette infirmière des médicaments à préparer ou à administrer, il convient de rendre obligatoire aussi cette lecture code-barres. Les logiciels infirmiers devront produire des alertes en cas de date de péremption dépassée.

Une étude pivot américaine a mesuré l’impact sur les erreurs de dispensation et sur leurs potentiels événements indésirables avant (115 164 médicaments dispensés) et après (253 984 médicaments dispensés) le déploiement de la lecture code-barres pour sécuriser la dispensation des médicaments en pharmacie hospitalière (Brigham and Women's Hospital, Harvard Medical School, and Partners Information Systems, Boston, Massachusetts). Lorsque toutes les doses de médicaments dispensés ont été scannés, la réduction relative des erreurs de dispensation a été de 93 % à 96 %. L’incidence des potentiels événements indésirables médicamenteux a chuté de 86 % à 97 % en réduction relative (Eric G. Poon et al. Medication dispensing errors and potential adverse drug events before and after implementing bar code technology in the pharmacy. Ann Intern Med, 19 Sept 2006 : ici)

Lorsque la e-prescription des médicaments entrera en vigueur, il faudra aussi qu’un contrôle de convergence soit réalisé entre les caractéristiques de la présentation pharmaceutique cueillie et scannée, avec celles de la prescription électronique (même spécialité pharmaceutique, même dosage, même voie d’administration et forme pharmaceutique). Les contrôles pour intercepter une éventuelle erreur de dispensation devront aussi être prévus à partir de l’historique des dernières délivrances…

A contrario, le critère n°31 "7.3.3. Histoire médicamenteuse du patient" (page 22 du référentiel des LAD d’officines de ville) est obsolète. En effet, nous lisons comme formulation de ce critère : "Pour un patient déterminé, le LAD permet d’afficher toutes les dispensations réalisées avec ce LAD", et comme description / cas d’usage : "Ce critère demande pour un LAD de préciser toutes les données de dispensation enregistrées dans ce LAD. Il n’est pas attendu dans cet affichage les dispensations effectuées dans une autre officine, avec un autre LAD ou lues dans le dossier pharmaceutique (DP) ». A quoi sert donc le dossier pharmaceutique, si ce n’est justement pour colliger toutes les dispensations faites au patient, quel que soit (soient) le(s) pharmacien(s) dispensateur(s) et le(s) médecin(s) prescripteur(s) ! De plus, chaque délivrance pharmaceutique de médicament(s) dispensé(s) en ville comme à l’hôpital, doit être dorénavant tracé dans "Mon Espace Santé" ! Cette "boulette" est d’autant plus regrettable que seul le dossier pharmaceutique peut enregistrer les médicaments d’automédication !

De la même façon, le critère n°22 "8.2.3. L’historique médicamenteux du patient" (page 21 du référentiel des LAD PUI hospitaliers) formulé ainsi : "Pour un patient donné, l'historique médicamenteux comporte toutes les prescriptions antérieures telles qu’enregistrées dans le LAD", est à revoir. L’historique médicamenteux du patient à son entrée à l’hôpital doit aussi pouvoir être consulté (intégration d’un module d’aide à la conciliation médicamenteuse s’appuyant sur l’exploitation de l’historique médicamenteux présent dans "Mon Espace Santé" = Proposition n°1). 

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