Renault : L'accusateur mis en examen

Auteur(s)
Matthieu Suc
Publié le 14 mars 2011 - 10:50
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Le siège de Renault à Boulogne-Billancourt, le 18 janvier 2013
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© BERTRAND GUAY / AFP/Archives
Dominique Gevrey a été arrêté vendredi à l’aéroport de Roissy alors qu’il s’apprêtait à prendre l’avion pour Conakry.
© BERTRAND GUAY / AFP/Archives

L’enquêteur de Renault à l’origine du licenciement des trois cadres soupçonnés d’espionnage, Dominique Gevrey, a été mis en examen et écroué dimanche.

A un syndicaliste de Renault, il avait dit il y a quelques jours : « On cassera la croûte ensemble à mon retour ! » Dominique Gevrey ne faisait pas secret de l’aller-retour en Guinée qu’il devait effectuer ce week-end. En lieu et place de l’Afrique, cet homme de bientôt 53 ans a passé 48 heures en garde à vue au siège de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).

Comme France-Soir l’avait révélé, cet agent du service de sécurité de Renault a été arrêté vendredi en fin de matinée à l’aéroport de Roissy alors qu’il s’apprêtait à prendre l’avion pour Conakry. Les policiers de la DCRI avaient craint que ne prenne la fuite celui qui est devenu leur principal suspect dans l’affaire à tiroirs qui ébranle depuis trois mois maintenant le constructeur automobile. Dimanche soir, Dominique Gevrey était présenté à un juge d’instruction et mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » et écroué. Egalement placés en garde à vue, ses deux supérieurs au sein du service de sécurité ont été remis eux en liberté. Désormais Dominique Gevrey est seul.

La justice lui reproche son silence obstiné alors qu’il est au cœur de l’affaire présumée d’espionnage industriel. En charge de l’enquête pour le compte de la marque au losange, Gevrey a géré la mystérieuse « source », rémunérée à hauteur de 250.000 €, à l’origine des accusations contre les trois cadres licenciés. Mais les informations livrées par la « source » se sont révélées erronées. Et malgré les demandes de la direction de Renault ou des policiers, Gevrey refuse de donner son identité. A cela s’ajoute qu’il avait mis en place avec l’aide d’un ami, ancien parachutiste, un système de fausse facturation pour payer son informateur. Du coup, certains se demandent si sa « source » existe bien.

« Un gars très secret »

Dominique Gevrey a fait sa carrière militaire à la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD). Sa spécialité ? Il gérait les « sources », déjà. Il avait notamment travaillé sur l’univers des mercenaires français en Afrique, ce qui lui aurait valu quelques franches inimitiés.

Un connaisseur du monde du renseignement évoque également « des tensions entre personnalités du renseignement militaire, dont Gevrey, et des ex de la DST », sans vouloir en dire plus. D’autres mentionnent une affaire de corruption. Un de ses proches le défend : « Toutes ces histoires, ce n’est que de la jalousie parce qu’il avait des informations que les autres services n’arrivaient pas à avoir. Quand Renault l’a débauché, la DPSD ne voulait pas le laisser partir tellement ils en avaient besoin. » Contacté le mois dernier à propos de son passé militaire, Gevrey nous avait avoué qu’il avait « certainement des ennemis ».

Le directeur de l’époque du service de sécurité du constructeur, un ancien militaire chef du bureau sécurité industrielle à la DPSD, va tout de même le convaincre de venir dans le privé. Là, Dominique Gevrey obtiendra quelques résultats, participant au démantèlement notamment d’un réseau de prostitution au sein même d’un local syndical chez Renault.

Il continue de se rendre régulièrement en Afrique, surtout en Guinée et à Madagascar, ce qui alimente les suspicions à son encontre. Gevrey laisse dire. « C’était un gars très secret », résume un ex des RG qui avait ses entrées au Technocentre de Guyancourt. 

Des fleurs synthétiques

Dominique Gevrey se verra reprocher par un rival, issu lui aussi des rangs de l’armée, d’avoir autorisé les agents de sécurité sous sa responsabilité à repartir à la fin d’une soirée avec quelques bouteilles de champagne et… un bouquet de fleurs synthétiques.

Aujourd’hui, ses problèmes sont beaucoup plus graves. Cette semaine encore, Gevrey répétait à l’envi qu’il avait bien fait son travail, que son informateur ne s’était pas trompé et que surtout il avait mis en garde la direction de Renault : « Ne sortez pas l’affaire, c’est prématuré ! » Un enquêteur est sceptique : « Ça ne transparaît pas du dossier… »

Ses proches, eux, le croyaient, ils le croient toujours mais ils ne cachent plus leur inquiétude. Un de ses mentors dans le métier, contacté samedi : « Je reste persuadé de son innocence, c’est un mec droit mais qu’il balance son prestataire ! Maintenant, il faut mettre les cartes sur la table ! » Pour l’heure, Dominique Gevrey préfère s’enfermer dans son silence.

Ses supérieurs sont libres

Rémi Pagnie et Marc Tixador, les supérieurs de Dominique Gevrey, sont ressortis libres de leur garde à vue à la direction centrale du renseignement intérieur. Il y a deux semaines, une source interne à Renault nous confiait : « Pagnie, je ne le porte pas dans mon cœur. Mais Tixador et lui sont d’une prudence extrême, ce ne sont pas des alarmistes. Ils n’ont jamais survendu l’affaire d’espionnage. La sécurité de Renault va être décapitée mais ils ont simplement fait leur travail. »

Selon nos informations, Marc Tixador a en effet un CV sans tache au sein de la police. Quand il a été débauché par Renault, il était officier de liaison à l’ambassade de France à Caracas, au Venezuela. Auparavant, il avait été chef de groupe à la brigade financière de la PJ de Versailles. « C’est lui qui a sorti les scandales politico-financiers dans l’Essonne dans les années 1990, se souvient un de ses anciens supérieurs à la PJ. C’était un policier très rigoureux, pas quelqu’un qui se lançait dans des aventures chimériques. »

Avant de devenir le directeur de la sécurité de Renault en 2005, Pagnie a lui été recruté en tant que chef de la sécurité chez Nissan au début des années 2000. Cadre civil à la DGSE, l’agent matricule OT 2927 est alors patron de la zone Extrême-Orient pour le service secret français. Diplômé de langues orientales et fin connaisseur du Japon, il correspond au profil recherché alors par Carlos Ghosn. « C’était un agent sérieux, sans plus. Il n’a jamais fait d’étincelles », juge aujourd’hui un ancien collègue espion.

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