Agressions sexuelles dans l'Eglise : évaluer "sa douleur" pour se "réparer"

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Par Karine PERRET - Paris (AFP)
Publié le 15 février 2022 - 16:03
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Le président de la Commission reconnaissance et réparation Antoine Garapon (d) écoute le témoignage de Michèle-France Pesneau, un ancienne carmélite victimes de violences sexuelles de la part de deux
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© JULIEN DE ROSA / AFP
Le président de la Commission reconnaissance et réparation Antoine Garapon (d) écoute le témoignage de Michèle-France Pesneau, un ancienne carmélite victimes de violences sexuelles
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Une indemnisation financière, pour aider à "tourner la page", mais pas seulement: à la Commission reconnaissance et réparation (CRR), tout récemment installée à Paris, les premières victimes d'instituts religieux catholiques viennent déposer leur récit et évaluer leurs souffrances pour pouvoir se réparer.

En ce lundi d'hiver, Michèle-France Pesneau a poussé la porte des locaux de la CRR, un épais dossier sous le bras, pour une première audition avec son président Antoine Garapon.

Cette ancienne carmélite, qui dit avoir été pendant 25 ans sous emprise spirituelle et sexuelle de deux dominicains - les frères Marie-Dominique Philippe et Thomas Philippe, connus pour leurs théories et pratiques déviantes - n'en est pas à son premier témoignage. Elle s'est déjà confiée à plusieurs médias et dans un livre, "L'Emprise", sorti en 2020.

Lors de ce rendez-vous, auquel assiste l'AFP, il s'agit d'aller plus loin: "enclencher un processus qui va peut-être me permettre de tourner la page et de vivre paisiblement le reste de ma vie, ce que je ne peux faire aujourd'hui", confie la septuagénaire, coupe au bol et grands yeux clairs interrogateurs.

La CRR est née de la décision, en novembre, de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) de mettre en place une instance permettant aux victimes de prédateurs de ces instituts de demander réparation.

Au-delà d'être un espace de dialogue, elle propose une médiation entre la victime et la congrégation, notamment quand la réparation passe - même si ce n'est pas toujours le cas - par une demande d'indemnisation financière.

"Quel montant ? Je ne sais pas dire", déclare Michèle-France Pesneau à Antoine Garapon.

"On ne va pas se décider aujourd'hui", lui explique-t-il, précisant que la CRR réfléchit à mettre en place "un questionnaire d'auto-évaluation du préjudice par la victime", mesuré en fonction des conséquences sur "la vie personnelle, affective, sociale et professionnelle, familiale et spirituelle".

- "Tiers de justice" -

"C'est pas si facile de noter sa douleur", répond Michèle-France, qui fait valoir des "souffrances psychiques", qui lui ont valu six ans de thérapie, et une "souffrance "économique".

Dans la réflexion - en cours - de la CRR sur les barèmes d'indemnisation, explique plus tard M. Garapon à l'AFP, la question est de savoir ce qu'on indemnise: la gravité de l'acte ? ses conséquences ?". "Les deux, mais comment les combiner ?"

La CRR entend "s'inspirer" de "la jurisprudence des tribunaux français en matière de viol", mais examine aussi des démarches des Boy Scouts of America, accusés d'agressions sexuelles, qui ont ouvert un fonds d'indemnisation, dit-il.

Sur les 180 dossiers reçus par la CRR depuis début janvier, "la plupart demandent une réparation financière mais ne savent pas la chiffrer. Très peu établissent un montant", souligne M. Garapon.

"Certains ne souhaitent pas d'argent. D'autres encore demandent à être aidés à écrire leur histoire", selon lui.

Pour le dossier de Mme Pesneau, la suite de la procédure sera de définir l'indemnisation souhaitée, de contacter l'institut et d'obtenir, si possible, son accord.

"Un certain nombre d'instituts masculins ont écrit aux victimes en leur disant être prêts pour la démarche", affirme Véronique Margron, présidente de la Corref, engagée depuis deux ans dans la sensibilisation des 450 congrégations françaises (soit 30.000 moines, moniales, frères et sœurs de l’Église) à cette "justice restauratrice".

"Pour eux, le fait d'avoir un +tiers de justice+ (la CRR, ndlr) est fondamental. Certains disent même à la CRR +on vous laisse décider ce que vous croyez juste et on s'engage à faire ce que vous proposez+", ajoute-t-elle.

La création de la CRR était l'une des préconisations du rapport de Jean-Marc Sauvé qui a révélé en octobre l'ampleur de la pédocriminalité dans l'Eglise catholique depuis 70 ans. Ce rapport a aussi dénoncé les agressions sexuelles subies par les religieuses, majeures mais plus facilement sujettes aux abus de pouvoir, spirituel ou sexuel, du fait de leur isolement.

"Le gros défi, à présent, est d'installer la CRR dans le paysage et de la faire connaître sur le long terme", observe Véronique Margron.

Une autre instance, qui s'adressera, elle, aux victimes agressées dans d'autres enceintes catholiques (catéchisme, scouts, enseignement) sera installée la semaine prochaine.

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