Pour résoudre les pénuries d’Amoxicilline, le gouvernement fait payer les Français plutôt que de mettre à l’amende les industriels

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Chloé Lommisan, France-Soir
Publié le 01 septembre 2023 - 15:00
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Photo de danilo.alvesd sur unsplash.com
Quelles sont les conséquences des orientations décidées par le gouvernement pour faire face à la pénurie d'antibiotiques essentiels ?
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SANTÉ - Les promesses gouvernementales de mettre fin à la pénurie d’Amoxicilline et d’acide clavulanique se sont multipliées ces derniers mois. Entre annonces sans lendemain et constats qui n’identifient pas les causes profondes du problème, ces antibiotiques - classés comme "médicaments d’intérêt thérapeutique majeur" (MITM) - manquent toujours dans les pharmacies. Une source d'inquiétude pour les parents qui n’arrivent pas à se procurer leur formulation pédiatrique. Le Comité économique des produits de santé (CEPS), dont le rôle est en théorie d’alléger les dépenses de la Sécurité sociale, vient d’appliquer une solution discrètement annoncée par l'exécutif en début d’année : augmenter les prix de certains médicaments "anciens" et hors brevet délaissés par les industriels, car devenus moins rentables. Voilà qui revient à faire payer aux Français le prix du maintien d'une production pourtant essentielle et déresponsabilise l'industrie pharmaceutique.

Le 3 février 2023, François Braun annonçait la fin proche de la pénurie d'Amoxicilline (et d'acide Clavulanique). L'ancien ministre de la Santé promettait alors en quelques semaines le retour de cet antibiotique essentiel dans les pharmacies. Sept mois plus tard, le 31 août 2023, la liste qui indique la disponibilité des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) sur le site de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) demeure inchangée : il y a toujours des "tensions d'approvisionnement".

Un problème structurel

Cela n'est pas une surprise. Le 9 février dernier, la présidente de la Haute Autorité de Santé (HAS), Dominique Le Guludec, alors auditionnée par une Commission d'enquête sénatoriale, tempérait l’enthousiasme de M. Braun et résumait la situation : "Il ne s’agit pas d’un problème récent, mais d’un problème qui s’aggrave. Il est clair que les pénuries de médicaments que nous vivons sont de plus en plus récurrentes". Autrement dit, les causes de la pénurie sont structurelles.

En 2016, 600 signalements de "rupture de stock" ont été faits. En 2019, 1.500. En 2021, 2.400. En 2023, 3.500. Sont concernées les molécules "anciennes", autrement dit celles qui se retrouvent hors brevet. Moins chères à la vente, non exclusives, elles sont par conséquent délaissées par l’industrie pharmaceutique qui ne peut plus en tirer de gros bénéfices. L’une des pistes envisagées par les autorités pour faire face à ce constat est de se reposer sur un grand marché européen unifié. Ce qui n’a cependant pas réussi à dissuader les industriels de délocaliser leurs productions en Chine ou en Inde...

D’autres solutions existent néanmoins, cette fois légales avec l'article L. 5121-29 du Code de la Santé Publique, prévu pour assurer la disponibilité des MITN : l'ANSM exige un stock capable d'assurer les besoins du pays durant deux mois de couverture. Jusqu'en juillet 2023, trois laboratoires, EG Labo/Strada Group, Zydus Lifesciences France et Biogaran, ont dû s’acquitter par exemple d’amendes de 87.000 à 225.000 euros pour n'avoir pas assuré leurs productions d'Amoxicilline. Des montants toutefois bien faibles en comparaison avec le chiffre d'affaires du secteur qui équivaut à près de 300 milliards d'euros en 2021.

Une hausse de prix de 10% à la charge des patients

Mais c'est une tout autre orientation qui a été appliquée par le Comité économique des produits de santé (CEPS), sous l'impulsion du ministère de la Santé, représenté désormais par Aurélien Rousseau. Une hausse de prix de 10% sur certains conditionnements de ce type d'antibiotiques a été décidée, temporairement, du 1er octobre 2023 jusqu’au 1er mai 2024. Ce choix permet de mieux comprendre l’abrogation du tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) pour ces produits (6 groupes sont concernés) qui a été publiée le 9 août dernier au Journal Officiel.

Les tarifs forfaitaires de responsabilité (TFR) permettent en théorie de fixer les prix des médicaments génériques (des copies moins chères de médicaments de marque très consommés). Le but est à la fois d'encourager leur utilisation et de faire diminuer les prix. En effet, une fois le tarif forfaitaire établi, basé sur le prix du médicament de référence d'une marque, il sert de base pour le remboursement de la Sécurité sociale et détermine le reste à charge du patient. 

Dans le cas présent, le fait de se débarrasser du TFR permet de laisser les prix augmenter, à l'avantage de l'industriel. Quant au reste à charge, c'est le patient qui devra s'en acquitter. Qu’est-ce à dire concrètement ? Aujourd’hui, un patient à qui l’on prescrit de l’Amoxicilline doit débourser près de 2 euros 10, sur un coût total de 5 euros 90. Si 65% sont pris en charge par l’Assurance maladie, les Français devront payer demain 2,30 euros, soit 20 centimes d’euros de plus.

Une paille ? En France, on peut considérer jusqu’à 50 millions de prescriptions d'antibiotiques par an (700 prescriptions pour 1.000 habitants en 2021, hors hospitalisation. Soit près de 47 millions pour la totalité de la population française). L'Amoxicilline représente la majorité des prescriptions, environ 60%, soit plus de 28 millions. Au-delà des chiffres, c’est le principe même qui a de quoi étonner, en ces temps d'inflation carabinée : le gouvernement préfère faire reposer le coût du désengagement de l’industrie pharmaceutique sur les citoyens plutôt que sur cette dernière.

Autres perdants : les pharmacies

Biogaran France a d’ores et déjà promis de produire 30% de boîtes en plus, soit près de 13 millions, en recourant aux lignes de production en Mayenne du laboratoire britannique GSK. L’industriel feint donc d’obéir aux règles du jeu communiquées par la CEPS et le ministère de la Santé, et promet de ne plus laisser apparaître de pénurie... Dans les faits, il s’agit plutôt d’un engagement à peu de frais, voire tout à l'avantage de l'industriel puisque celui-ci ne fait aucun effort particulier et peut continuer à vendre par ailleurs des traitements plus récents, sous brevet, à des prix exorbitants et sans éventuelle contrepartie.

Autres perdants potentiels des dernières décisions du gouvernement pour essayer d'éradiquer ces pénuries récurrentes : les pharmacies. Un rapport de la mission interministérielle sur le financement et la régulation des produits de santé, commandé par Élisabeth Borne, recommande en effet une diminution des remises commerciales (remises accordées par les laboratoires aux pharmacies sur les médicaments) sur les génériques de 40 à 20%.

Les officines perdraient alors une "marge" directement récupérée par les laboratoires pharmaceutiques (une somme totale de 650 millions d'euros est évoquée). L’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) a réagi dans un communiqué publié le 30 août 2023, considérant le rapport "rédigé par les industriels pour les industriels, ce rapport ressemble beaucoup à un chantage aux pénuries".

Bref, à long terme, le fond du problème n'est pas résolu et tout le monde est perdant. Sauf Big Pharma, qui ne connaît pas la crise.

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