Chronique estivale - Ces étonnantes anecdotes de l'histoire de notre justice

Auteur(s)
Laurence Beneux, France-Soir
Publié le 21 juillet 2023 - 19:30
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Une allégorie de la Justice.
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©Damien Meyer/AFP
©Damien Meyer/AFP

CHRONIQUE - Pour distraire votre été, France-Soir se propose de vous raconter des anecdotes judiciaires, récentes ou très anciennes, et souvent surprenantes. Toutes démontrent que, quelle que soit l’époque, au-delà de normes changeantes, la justice doit composer avec l’imperfection humaine de ceux qui entendent, et parfois prétendent, la servir. L’instauration, et le respect, de règles procédurales objectives sont indispensables pour éviter l’arbitraire. De tous temps, l’institution judiciaire a dû composer avec la difficulté d’établir la preuve, et les moyens insuffisants dont elle disposait. En résumé, à chaque époque, l’idéal de justice se heurte à l’imperfection humaine. 

Ce qui était considéré comme juste hier peut paraitre parfaitement inique aujourd’hui. Si on y regarde bien, une "bonne justice" est une valeur subjective : le critère de justice est dépendant des normes sociétales dominantes à un moment donné. La société évolue, sa justice aussi. 

Du Moyen Âge jusqu’au début du 20ème siècle, la France ne se veut pas un pays laïc. Pendant des siècles, la justice est d’ailleurs très majoritairement rendue par des juridictions ecclésiastiques. Il faut attendre Napoléon 1er et le code portant son nom, promulgué en 1807, pour que la justice des hommes prenne le pas sur une justice où la norme religieuse domine. Et ce n’est qu’en 1830 que le roi cesse d’être considéré comme monarque de "droit divin", comme il le fut durant des siècles.  

Des siècles durant, le droit pénal juge les conséquences des actes sans s’interroger sur la responsabilité du commettant. La notion "d’intention délictuelle" n’existe pas. 

Et pour cause, toute créature est considérée comme une créature de Dieu, sans réelle volonté propre, et pouvant malgré elle être habitée par les forces du mal. Aussi, pendant des siècles, animaux, et même parfois végétaux, ont-ils été traduits en justice. 

La justice du roi de droit divin, qui tient sa puissance par la volonté de Dieu, doit pouvoir régler tous les désordres. La confiance du peuple envers le bon souverain en dépend. 

La loi de 1905 sur la laïcité marque la séparation de l’Église et de l’État et l’institution judiciaire devient rigoureusement laïque. Elle n’en reste pas moins un instrument et un devoir du pouvoir, ce que l’on appelle une fonction régalienne. 

rat
AUTUN - 1510 : DES RATS BIEN DÉFENDUS 

1510 marque la fin d’une saga judiciaire qui dura plusieurs années et opposa des habitants de la ville d’Autun aux rats de leur commune. Le représentant de ces derniers, maître Barthélémy de Chassanée (1480 -1541), voit son talent couronné du succès et ce procès le rend célèbre. L’avocat aura d’ailleurs une carrière juridique brillante. Il terminera son parcours comme 1er Président du Parlement de Provence. 

Si hommes comme animaux ne peuvent impunément déroger aux lois de Dieu et de la société, il est crucial, pour que la justice puisse être rendue en toute équité, que les règles de procédure soient scrupuleusement respectées et que tout accusé soit défendu par un avocat. 

Méfaits et nuisances variées valent aux rats d’Autun de se retrouver traduits en justice. Heureusement pour eux, ils ont un avocat à la hauteur de la situation et qui va défendre avec passion les intérêts de ses clients à quatre pattes. 

Maître Chassanée commence par obtenir l’annulation de la première assignation en pointant que l’action intentée concerne tous les rats. L’avocat plaide qu’il est donc injuste d’en assigner seulement quelques-uns. Or, c’est le cas.  

Le juge se voit donc contraint d’ordonner une nouvelle assignation des quadrupèdes. Cette fois-ci les curés de chaque paroisse de la commune sont mis à contribution : la convocation doit être rendue publique au prône, afin que chaque rongeur soit régulièrement cité en justice. 

L’affaire se corse ensuite pour notre brillant avocat : bien que dûment convoqués, les accusés ne jugent pas utile de se rendre au prétoire et leur absence ne manque pas de susciter la désapprobation que l’on imagine !  

Mais c’est au travers de clients difficiles que le talent se révèle ! Afin d’éviter aux accusés que leur manque de considération pour les injonctions judiciaires ne leur vale une condamnation trop lourde, maître Chassanée fait appel à l’indulgence du magistrat : il plaide que les délais imposés à ses clients sont trop courts, compte tenu de la petitesse de leurs pattes et des grandes distances à parcourir pour remplir les exigences du tribunal !  

Il souligne que, de surcroît, le parcours est rempli de dangers, notamment à cause de la présence de prédateurs dans les quartiers qu’ils doivent traverser : il y rôdent une multitude de chats, dangers qui, à n’en point douter, contraignent ses prévenus à courtes pattes à de nombreux détours ! 

Maître Chassanée obtient ainsi une prolongation du terme de la comparution. 

Et finalement, en 1516, de longues et obscures plaidoiries s’appuyant sur des textes bibliques et des auteurs latins acculent un juge, probablement las et ayant envie d’en finir avec cette affaire et cet avocat retors, à ne prononcer que la peine minimale à savoir la malédiction et l’anathème. 

Quand on sait que d’autres justiciables, moins bien défendus, n’échappèrent pas à l’excommunication pour des nuisances moins graves, on mesure à quel point les rats d’Autun sont redevables à leur défenseur ! 

taureau Photo de Hans Eiskonen
MOISY LE TEMPLE - 1314  : UN TAUREAU VICTIME D’UN VICE DE PROCÉDURE 

La justice est chose sérieuse et chaque justiciable a droit au respect des procédures ! La sécurité de justiciables exige de l’institution qu’elle sache reconnaître ses erreurs et faire amende honorable. Et surtout, on ne peut laisser n’importe qui l’exercer ! 

En 1314, Moisy le Temple est le théâtre d’une tragédie : un taureau s’est échappé d’une ferme et a encorné un homme qui va décéder des suites de ses blessures.  

Mis au courant du crime, le comte de Valois ordonne dûment l’arrestation du coupable à cornes et son procès. Les preuves sont accablantes, les témoignages concordants et le taureau est condamné à être pendu. Il est exécuté dans la foulée aux fourches de Moisy le Temple. 

L’affaire aurait pu en rester là si le procureur de l’hôpital de la ville n’avait pas estimé les officiers du comté incompétents en l’espèce ! Le droit doit être affirmé même si la sentence a pris un caractère assez définitif dans ses conséquences, du fait de la mort du condamné. On voit donc, dès le début du XIVème siècle, une prémisse de procès en révision post-mortem.  

Appel est interjeté de la décision des officiers du comté. Bien que la sentence soit reconnue juste, le jugement est contredit dans la mesure où les officiers du comté sont bel et bien déclarés incompétents !  

En effet, la cour est estime que le comte de Valois n’a aucun droit de justice sur le territoire de Moisy et que ses officiers n’auraient donc pas dû y intervenir ! 

Le taureau de Moisy a donc été victime d’un vice de procédure ! N’était-il pas important que la justice le reconnaisse ? 

Limace - Photo de Sharon Waldron
1487-1488 : LIMACES TÊTUES ! 

La justice a une mission de dissuasion. Pour la remplir efficacement, elle doit savoir se montrer ferme !  

En effet, d’aucuns peuvent être obstinés à commettre des crimes, et la perspective de sanctions trop  indulgentes échoue alors à dissuader ces délinquants rebelles.  

En 1487, les grands vicaires du cardinal évêque d’Autun sont saisis d’une plainte contre des limaces qui dévastent depuis plus d’un an des terres du diocèse de Mâcon. Le crime est grave : les conséquences sont terribles pour les paysans qui ont déjà beaucoup de difficultés à se nourrir ! Et puis, la dîme (impôt portant notamment sur les productions agricoles et versé aux ecclésiastiques) s’en ressent !  

Dans une décision du 17 août 1487, les grands vicaires ordonnent donc aux curés trois jours de processions et d’enjoindre aux gastéropodes de quitter les lieux sous peine de malédiction. 

Hélas, la menace ne doit pas suffire, car l’année d’après, des paroissiens continuent de se plaindre auprès du grand vicaire de Mâcon qui se voit contraint de frapper fort. Le 8 septembre 1488, il ordonne aux curés d’inviter par trois fois les limaces à cesser de nuire sous peine de prendre le maximum : l’excommunication ! 

La menace de cette terrible sanction semble porter ses fruits : il n’y a pas de plainte en 1489. 

  • À vendredi prochain, pour d’autres histoires !  

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