Novembre 1945 : le cri d’alarme d’Einstein sur la bombe atomique

Auteur(s)
Jean-Michel Comte
Publié le 30 octobre 2015 - 12:40
Mis à jour le 01 octobre 2016 - 00:23
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Une FranceSoir 04.11.1945 Bombe Atomique Einstein
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La Une du 4 novembre 1945.
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Trois mois après Hiroshima et Nagasaki, Albert Einstein lance un cri d’alarme sur les dangers de la bombe atomique pour l’avenir de l’humanité. Dans un texte que publie "France-Soir" en première page, il en appelle à la création d’un "gouvernement du monde".

Le 4 novembre 1945, un an presque jour pour jour après sa création (c’était le 8 novembre 1944), France-Soir s’offre un pigiste prestigieux. En Une, le quotidien de Pierre Lazareff  publie une "Exclusivité France-Soir: un article du professeur Einstein".

Le titre qui s’étale sur toute la largeur de la première page affirme que "Les 2/3 du globe peuvent être anéantis par la bombe atomique", comme le rappelle Albert Einstein dans le long article qui suit. Pour lui, "un seul remède: confier le secret à un gouvernement du monde".

Einstein a 66 ans quand il écrit cet article, trois mois après l’explosion des bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Le physicien d’origine allemande, Prix Nobel de physique en 1921 (pour ses recherches sur l’effet photoélectrique, et non pour ses travaux sur la relativité, reconnus plus tard), avait fui l’Allemagne nazie en 1933 et obtenu la nationalité américaine en 1940.

Il est indirectement impliqué dans la fabrication de la bombe atomique puisque, dans une lettre –restée célèbre– au président Roosevelt le 2 août 1939, il avait mis en garde sur le risque que l’Allemagne se dote de l’arme atomique. A la suite de cette lettre (inspirée par les physiciens Leo Szilard, Edward Teller et Eugen Wigner, eux aussi immigrés allemands et hongrois), le président américain avait lancé le "Projet Manhattan" qui allait déboucher sur la fabrication de la bombe atomique.

Einstein commence son article en affirmant que "la libération de l'énergie atomique n'a pas posé un nouveau problème. Elle a simplement rendu plus urgente la nécessité d'en résoudre un qui était déjà connu". Car bombe atomique ou pas, "aussi longtemps que des nations souveraines possèderont une grande puissance, la guerre est inévitable", selon lui. "Ce qui a changé, c'est le pouvoir destructeur de la guerre".

"Je ne crois pas que la civilisation sera anéantie dans une guerre où sera utilisée la bombe atomique", tempère cependant le Prix Nobel. "Il se peut que les deux-tiers de la population du globe soient tués, mais il restera assez d'hommes capables de penser et assez de livres pour permettre à l'humanité un nouveau départ et à la civilisation d'être restaurée".

Il n’en reste pas moins que la bombe atomique est un danger pour l’humanité, et Albert Einstein fait donc une proposition révolutionnaire: "Je ne crois pas que le secret de la bombe doive être donné à l'Organisation des Nations Unies. Je ne crois pas qu'il doive être donné à l'Union soviétique. (…) Le secret de la bombe doit être confié à un +gouvernement du monde+ (…). Un tel gouvernement doit être fondé par les Etats-Unis, l'Union soviétique et la Grande-Bretagne, les seules trois grandes puissances disposant d'une grande force militaire".

Einstein n’a pas confiance en l’ONU, créée cinq mois et demi auparavant, et lui préfère donc l’idée d’un "gouvernement du monde", qui rédigerait une constitution –à laquelle seraient invitées à adhérer "les nations plus petites"–, et serait "compétent en toute matières militaires" avec "le droit d'intervenir dans tous les pays où une minorité opprimera une majorité".

Visionnaire, le physicien ajoute: "on doit en finir avec ce concept de non-intervention, car en finir avec ce concept est une des conditions de la sauvegarde de la paix". Somalie, Bosnie, Rwanda, Afghanistan, Libye, Syrie: il faudra attendre des décennies pour que l’ONU transgresse le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat qui est inscrit dans sa charte.

Tout faire pour éviter la guerre, c’est la position d’Albert Einstein en cette fin d’année 1945. "Dois-je craindre la tyrannie d'un gouvernement du monde? Evidemment. Mais je crains encore davantage l'éclatement d'une ou de plusieurs nouvelles guerres", écrit-il dans France-Soir.

Ce long article d’Albert Einstein est en droite ligne avec ses opinions pacifistes, qu’il exprimera tout au long de sa vie, en dépit de son engagement en faveur du sionisme et d’Israël. Il sera l’un des plus ardents, dès la fin de la guerre et au début des années 50, à dénoncer la course aux armements entre les Etats-Unis et l’URSS.

Et, peu avant sa mort le 18 avril 1955, il signera, avec d’autres Prix Nobel, le"Manifeste Russell-Einstein" appelant les grandes puissances à rechercher des solutions pacifiques aux conflits internationaux.

Le sentiment de culpabilité d’avoir contribué à la fabrication de la bombe atomique le hantera jusqu'à ses derniers jours, au point de lui faire regretter d’avoir envoyé sa fameuse lettre à Roosevelt. "J’ai fait une grande erreur dans ma vie, quand j’ai signé cette lettre", confessera-t-il au physicien et Prix Nobel Linus Pauling, à la fin de sa vie.

 

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