La monnaie, partie 1 : apocalypses monétaires 

Auteur(s)
Charles de Mercy, pour FranceSoir
Publié le 20 septembre 2022 - 15:15
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La monnaie
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Pixabay
"Ils ne savent pas définir ce qui s'appelle monnaie".
Pixabay

TRIBUNE - « L’argent magique » existe-t-il ?  

Cette question revient sans cesse depuis la crise financière de 2008. Et celle du coronavirus lui a redonné une actualité, par les centaines de milliards sortis de nulle part qui ont été dépensés à tout va à cette occasion : six mois avant, trouver 100 millions pour des crèches d’enfants et d’autres nécessités de ce genre c’était comme impossible.   

J’ai pour vous deux nouvelles : l’argent est jusque-là absolument magique. Mais pas tel que vous pouvez l’imaginer, de l’invention de valeur à partir de rien : l’édition de billets sur des imprimantes, ou du crédit fabriqué depuis un ordinateur. Et il se fait aussi que si l’argent reste magique, ce sera pire nouvelle du reste votre existence, nous le verrons plus loin.  

Pour commencer : qu’est-ce que la monnaie ? (1)  

À ceux que la question intéresse en détail, il faut dire que la nature de la monnaie a été établie 2500 ans en arrière par Aristote, le philosophe Grec. Vous pourriez demain interroger les présidents de la Banque de France, de la Banque centrale européenne et même celui de la FED, la banque centrale des USA, ils ne vous diront rien de neuf à ce sujet. Pour eux comme pour tous les autres depuis trois millénaires, l’argent est encore ce que le Grec en a dit : c’est un moyen de paiement, c’est-à-dire le support des échanges économiques. C’est aussi une unité de compte, ce qui fixe tous les prix de tout. C’est enfin une réserve de valeur, l’épargne qu’on trouve sur vos comptes bancaires ou sous un matelas dans un bas de laine.  

Si vous en doutiez, ouvrez donc votre portefeuille et observez bien vos billets en euros, vous trouverez ces trois choses en une : le moyen d’acheter et de vendre n’importe quoi ; le moyen de fixer la valeur du n’importe quoi ; et celui de l’accumuler si au lieu de dépenser vos biftons, vous les placez par exemple dans un cochonnet.  

Voyez, la théorie monétaire, c’est pour commencer comme un jeu d’enfant.  

Sur une base aussi simple, 2500 années passant et c’est bien long…, on a fini par créer, définir ou réfléchir plein d’autres choses autour de l’idée de monnaie. Citons par exemple : l’inflation ; le taux d’intérêt ; la plus-value ; le crédit ; la dette souveraine ; les obligations ; les masses monétaires M0, M1, M2, M3 …oubliez, c’est technique. Et puis tout ça s’est actuellement terminé dans les TAEG, TRI et autres DTS, auquel presque personne ne comprend rien (2). Ici d’ailleurs, nous parlerons d’argent et de monnaie, en mettant ces deux termes en équivalence. Puisque pour la plupart des gens, l’argent, c’est de la monnaie, et vice-versa. Ce qui n’est pourtant pas tout à fait exact. Il existe aujourd’hui beaucoup de formes de monnaies (1). Mais lorsqu’on s’interroge sur la vraie nature de l’argent et qu’on veut parler au plus grand nombre, prendre en compte toute cette complexité financière n’a pas beaucoup d’intérêt, et elle ne change rien au fond des choses.  

Il vaut mieux simplifier l’exposé des termes de la question, d’autant que ce bazar monétaire a aussi été complexifié par la sarabande des inventions fiscales : taxes, impôts, droits de douanes, de tout sur tout. Jusqu’au cocasse : le Canada a pu ainsi taxer la quantité de Chinois sur son territoire pour en réduire la population (1885). On peut en sourire mais pas très longtemps : pas plus tard qu’en 2010 en Allemagne, pour cinquante euros pièce, une mairie vendait à ses contribuables les nids de poule réparé des routes, en contrepartie d’une plaque commémorative (3). Ça ou des timbres fiscaux, pourquoi non ? 

Bref, toute cette ingénierie financière n’a cessé d’être finement imaginée, peaufinée, fixée, réglementée. Conservez néanmoins à l’esprit que tout cela n’a qu’une seule source, la monnaie : le moyen d’acheter et de vendre ; de fixer la valeur ; ou bien de l’accumuler.  

Tout le reste n’est que conséquences, folie fiscale comprise.  

Il se fait qu’au jour le jour vous êtes sans arrêt enquiquiné par ces conséquences-là, mais ce faisant, on vous fait perdre de vue l’essentiel.  

D’ailleurs, dans ce que vous venez de lire, avez-vous remarqué une chose bizarre ?  

Une étrangeté passée ici complètement inaperçue à propos « d’argent magique ». C’est une information cruciale que les spécialistes du bazar monétaire, eux, connaissent très bien : ils ne savent pas définir ce qui s’appelle : monnaie. 

Oui, jusque-là, on ne le sait pas du tout. Vous pouvez le vérifier par vous-même en fouillant les secteurs spécialisés d’Internet. À un moment donné, vous tomberez toujours sur un professionnel de l’argent ou un théoricien de la monnaie qui glissera au détour d’une phrase, qu’on ne sait toujours pas définir la monnaie…  

Pourtant, cela n’a empêché en rien l’espèce humaine de s’en servir depuis trois millénaires : de ce fait néanmoins, l’argent, c’est vraiment magique ! Et pour bien le comprendre, - nous en verrons ensuite les effets -, recommençons par ce parallèle éloquent : si je vous parle de quelque chose qui est gris, gros, et muni d’une trompe, je vous ai sans doute parlé de choses intéressantes, mais c’était sans jamais définir ce dont il s’agit là, un éléphant.  

  • Gros = fixer la valeur. 
  • Gris = accumuler de la valeur. 
  • La trompe = le moyen de tout acheter et vendre. 

Voilà, vous l’avez compris. Avec la monnaie, on se trouve depuis 2500 ans dans la même situation conceptuelle que celle de cette devinette éléphantesque. On connait et on a défini trois de ses caractéristiques, - plus exactement trois de ses fonctions : commercer, fixer les prix, épargner -, mais on ne sait toujours pas de quoi il s’agit. Et c’est un problème de logique élémentaire : les qualités de la chose ne sont pas la chose elle-même.  

Par conséquent, chaque fois qu’on s’en sert, tous les jours…, et bien on manipule un objet dont on ignore ce qu’il est. Si ce n’est pas de la magie généralisée, de quoi s’agit-il donc…? 

(Et vous, vous êtes un sorcier l’air de rien ; bonne journée  !) 

Les pragmatiques ou les blasés diraient sans doute : et alors  ? Qu’est-ce que cela peut bien faire ? Puisqu’on s’en sert tous les jours et que ça marche à peu près … 

Non, justement.  

Non, définitivement.  

Quand un objet est mal défini, vous manipulez forcément mal cet objet, simple logique des choses là-encore. Et en détails : si vous ne savez pas définir précisément une chose, en particulier aussi importante que la monnaie, cela emporte deux effets. Deux conséquences qui sont aujourd’hui parties pour mettre toute votre existence ventre à l’air. La première, c’est que faute de définition exacte et précise, et bien chacun, - comprenez : surtout ceux qui gèrent la monnaie… - peut en penser à peu près ce qu’il veut : « aussi bien, l’éléphant, c’est un gros rat …non ? ».  

La deuxième conséquence est que partant de là, et toujours faute de définition exacte, et bien on peut manipuler cet objet à peu près comme on le souhaite. En fonction des besoins ou des nécessités du moment, pas toujours sainement inspirés. Il suffit d’avoir la Force pour soi, la Loi aussi, et am stram gram, si par exemple je décide que le dollar ne vaut plus rien en or (dimanche 15 août 1971, 19 heures), et bien vous êtes priés de vous y faire sans discussion.  

Plouf, plouf, c’est comme ça : mon nom est Richard Nixon, Président des États-Unis (4).  

Bien que, à partir de cette décision instantanée, les billets en dollars ont depuis perdu 86 % de la valeur et du pouvoir d’achat qu’ils avaient alors (5). Et qu’il a fallu en imprimer des trillions de trillions pour rééquilibrer tout le système, histoire que ça passe tant que ça le pouvait : de l’argent impuissant, oui, mais beaucoup plus mis en circulation. L’un dans l’autre, cet autre tour de passe-passe était jouable. Si la manipulation était adossée à la première économie du monde, la mainmise sur son énergie, le pétrole (6), et puis surtout la plus puissante armée du monde à l’usage des récalcitrants, et complètement boucler ce dispositif en fait surnaturel. 

Oui, les choses sont bien ainsi : si le Luxembourg avait promu la même opération dans son petit coin forestier, on l’aurait vite retrouvé sur Leboncoin, rubrique immobilière, section « à vendre d’urgence pour cause de faillite ».  

Avec les Etats-Unis non, et l’Oncle Sam y veilla toutes dents dehors.  

Voilà, après 1945 et les années 70, vous aviez pensé vivre dans un monde en paix relative… ?

En réalité, il était sans le dire presqu’aussi violent, le sourire Colgate en prime pour éteindre la plupart des questionnements et des débats.  

Pourtant, vous pouvez-vous-même le constater : savoir quelle est exactement la nature de l’argent, c’est un sujet qui devient vite autant fondamental que très concret. Définir la monnaie relève donc d’un impératif catégorique. En particulier aujourd’hui où, manifestement, la planète monétaire est en train de se dérégler pour de vrai : avez-vous remarqué la perte de 20 % de la valeur de l’Euro en 6 mois ? Pas vraiment ? Pourtant à la fin, cette dégringolade-là veut dire que tous les produits que vous allez acheter et qui sont importés, car ils sont produits ailleurs et vendus en dollars, - gaz, essence, produits électroniques, etc. -, et bien vous devrez les payez en euros 20 % plus cher. Ou bien réduire, contraint et forcé, toutes vos consommations  : avec un tel écart, et si rapidement, la plupart des gens et des entreprises n’ont plus les moyens de faire face.  

C’est la bourse ou la vie, version mathématisée.  

Et oui, les effets de la question qui nous occupe ne plaisantent pas du tout.  

Si peu d’ailleurs que, pour définir la monnaie précisément, et en finir en même temps avec sa magie…, il faudra briser au passage un des grands tabous contemporains. Le genre de fétiche qui, aujourd’hui, dès que vous le mettez sur la table trop clairement, met en transe un tas d’excités vite tentés de vous qualifier de conservateur pour commencer.  

Puis de réactionnaire.  

Et bientôt d’extrême droite crypto-nazie. 

Tout ce qu’il faut pour ne jamais avoir à réfléchir la question - et laisser tout le monde se ruiner l’air de rien. Il se trouve que j’ai passé ma vie dans l’innovation, la découverte, le progrès, l’invention, la recherche et la création, etc. Alors me trouver un demi-gramme de réactionnaire, ce sera dur.  

Et puis surtout je me moque de ce qu’en dira-t-on.  

Par contre, je compte sur vous pour relayer cette discussion sur les réseaux sociaux et qu’elle démarre enfin : qu’est-ce donc que la monnaie  ?! 

 

Notes : 

(1) Dans ce texte, le concept « argent » a donc été mis en équivalence avec le concept « monnaie », car pour la majorité des gens, l’argent c’est la monnaie, et vice-versa. Comme on a pu le lire, notre objectif est de parler au plus grand nombre. Dans cette série d’articles donc, le concept « argent » sera mis en équivalence avec celui de « monnaie ». 

On doit néanmoins préciser que, de nos jours en particulier, l’argent à proprement parler, celui que vous avez dans vos poches, n’est pas exactement la monnaie aux sens que, i) l’argent est l’une des formes de la monnaie, ii) il existe aujourd’hui de nombreuses formes de monnaies, à commencer par des dettes, des créances, des obligations, etc., qui peuvent tout aussi bien faire l’objet de monétisations et de commerces, et donc se comporter dans les faits comme de la monnaie. C’est-à-dire des supports de commerce et de thésaurisation de toutes sortes de valeurs – de la dette d’états et d’entreprises ; de biens immobiliers ; en passant par la monétisation anticipée des revenus garantis d’un agent économique quelconque. Et ce qu’on appelle alors une titrisation : de la mise en forme de monnaie d’un revenu anticipé, ce qui possible quand celui-ci est bien garanti (exemple : loyers immobiliers). 

Mais toute cette diversification-complexité de la question monétaire n’est pas ici prise en compte dans le souci de ne pas injecter des considérations élaborées qui ne changent rien au fond de la question, la nature de la monnaie et celle de ses effets. En ayant l’inconvénient de la rendre inutilement plus difficile pour beaucoup de lecteurs non avertis des subtilités de ce domaine.  Ici par conséquent, chaque fois que nous parlons de « monnaie », il s’agit de la méta-catégorie représentant une valeur, une valeur monétaire, sous une forme ou une autre de manifestation concrète – argent, monnaie, capital, dette, créance, obligation, effets de changes, etc.

(2) Le TAEG est le taux d’intérêt effectif global d’un crédit, il représente le coût effectif d’un crédit pour l’emprunteur. Le TRI est le taux de rendement interne, il calcule la valeur actualisée d’un investissement, en tenant compte de ses flux de trésorerie. Les DTS, sont les Droits de Tirage Spéciaux. C’est une monnaie interne créée (1969) par le Fond Monétaire International, dont c’est unité de compte. Elle est indexée sur la moyenne d’un panier de devises (dollar, euro, yen,…) et fournit ainsi aux membres du FMI une sorte de langue commune, équilibrée et plus pratique au jour le jour : plus personne ne parle euros, dollars, et autres, mais DTS.  

Bref, la finance n’a eu de cesse d’inventer des outils monétaires.  

(3) La vente de nid de poules, à Niederzimmern, en Allemagne de l’Est. Voir l'article du Figaro "Adoptez un nid de poule" en Allemagne" 

(4) Convertibilité or-dollar : le 15 août 1971, 19 heures, M. Richard Nixon annonçait et imposait sans prévenir cette révolution du Système Monétaire International : la fin de la convertibilité du dollar en or, qui en faisait le fondement. Cette convertibilité avait constitué le socle de stabilité de ce système depuis août 1944 et les Accords de Bretton-Wood (USA). Des accords qui avaient également consacré par ce Gold Exchange Standard, la surpuissance du dollar et des États-Unis au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale. 

Six ans durant, le monde entier s’était chez eux fourni en tout, alors les affaires y avaient été très profitables et l’économie américaine rendue par là tout à fait florissante.  

Mais après 1968, les dépenses faramineuses des USA dans leur guerre au Viêt-Nam, ajouté au redressement de l’Europe, Monsieur Nixon s’est retrouvé avec beaucoup plus de dollars émis que d’or disponible pour en assurer la contrepartie : il a dû rompre cette relation.  

Vous pouvez voir ici cette allocution. Et ici, vous avez une foule de détails sur cette affaire  sur l'Institut Schiller "L’annonce de Nixon en août 1971 : l’aveu de John Connally"

(5) 86% de la valeur perdue du dollar : calcul en dollar constant depuis 1971.    

(6) Les USA sont l’un des premiers producteurs de pétrole-gaz au monde. Depuis 1945, ils assurent en outre la protection militaire de l’Arabie Saoudite - Pacte de Quincy, 14 février 1945.  

L’ensemble combiné représente 26% de la production mondiale de pétrole (2019).  

En outre, l’essentiel du pétrole dans le monde reste négocié en dollar. Ce qu’on désigne comme les pétrodollars, qui assurent une très large assise à cette monnaie, en la fondant sur la ressource stratégique par excellence. Aujourd’hui, l’emprise du dollar régresse par la montée en puissance de contrats pétroliers libellés en euro, yen, yuan, rouble, mais elle reste très importante.  

 

Charles de Mercy est analyste, président de BulletPoint, inventeur de la sémio-morphologie (2008), une méthode d’analyse du langage.   

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