Comment la philosophie utilitariste nous permet de penser le pass sanitaire ?

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Guy Courtois, pour FranceSoir
Publié le 08 septembre 2021 - 18:18
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Dans le droit français, beaucoup de règles sont liberticide alors qu'est-ce qu'un abus de loi liberticide ?
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TRIBUNE - Que pensez-vous du pass sanitaire ? Pour répondre à cette question, il s’agit de savoir à quels objectifs répond le pass sanitaire. Il me semble qu’il poursuit deux principaux objectifs distincts. Et cela de façon directe et indirecte :

  • Obliger les gens à se vacciner pour se protéger eux-mêmes ;
  • Obliger les gens à se vacciner pour protéger les autres.

Cela n’en fait-il pas une loi liberticide ?

Que veut dire liberticide ? Cela veut dire « qui porte atteinte, qui détruit » la liberté. Donc une loi liberticide est une loi qui porte atteinte, qui détruit la liberté. On comprend évidemment ce que cela signifie dans un pays non démocratique. Il suffit de penser à la Corée du Nord pour comprendre ce que peut signifier une loi liberticide dans une dictature.

Mais il faut aussi se rappeler que dans nos sociétés démocratiques, il existe beaucoup de lois qui portent atteinte aux libertés et qui sont donc par définition liberticides. Et cela pour de nombreuses raisons.

D’abord, il y a les lois qui portent atteinte aux libertés de groupes de personnes particulières dont on considère que le jugement n’est pas suffisant. Un mineur n’a pas le droit d’acheter de l'alcool, tout comme il n’a pas le droit de voter. Un handicapé mental se voit également refuser de nombreux droits. Il existe de nombreux autres cas, comme la mise sous tutelle…

Ensuite, il y a les lois qui portent atteinte aux libertés des personnes ayant commis des délits. Un assassin qui va en prison n’est plus libre de ses mouvements, un conducteur qui n’a plus de points sur son permis n’est plus libre de conduire, un élu qui a fraudé n’est plus libre de se présenter aux élections… Il existe une multitude d’exemples de lois qui portent atteinte à la liberté d’un groupe de personnes, dans le cas présent les personnes ayant commis des délits.

Puis, il y a aussi les lois qui portent atteinte aux libertés des personnes afin de protéger celles a priori vulnérables. Un parent ne peut pas frapper son enfant pour lui donner une leçon. Un professeur de lycée ne peut avoir une relation amoureuse avec une élève mineure de 18 ans. Une infirmière ne peut percevoir l’héritage d’un testament de l’un de ses patients âgés… Là aussi les exemples sont nombreux où la loi entrave les libertés individuelles dans le but de protéger les plus vulnérables.

Il existe aussi des lois liberticides qui concernent tous les citoyens, cela afin de les protéger eux-mêmes contre ce que la société considère comme dangereux. Il est interdit de se droguer, à l’héroïne ou à l’opium… Cet exemple est intéressant, car on voit bien ici que ces lois liberticides dépendent de la morale et de la perception ambiante. Elles changent selon les époques et selon les pays. Il est autorisé de prendre du cannabis au Canada, mais pas en France. Il est autorisé de faire des partouzes en France, mais pas en Chine. Il est aujourd’hui autorisé de boire de l’alcool aux États-Unis mais pas à l’époque de la prohibition.

Enfin, il existe des lois liberticides qui nous interdisent des choses si cela empiète sur la liberté des autres. Je ne suis pas libre de tuer mon voisin pour le plaisir. Je ne suis pas libre de construire n’importe quoi sur mon terrain, mais je dois me soumettre au plan local d’urbanisme. Et dans certains pays, je ne suis pas libre de blasphémer la religion d’État. D’ailleurs, le philosophe utilitariste John Stuart Mill souligne avec intelligence que « la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres ». Son propos est facile à comprendre, tant est si bien qu’on le cite à tout bout de champ aux enfants pour leur faire comprendre qu’ils ne sont pas libres de faire tout ce qui leur passe par la tête.

En résumé, il existe déjà de très nombreuses lois liberticides. Et elles ont toutes en commun de prétendre servir l’intérêt général. Il n’y a donc rien de nouveau en soi de voir votée une loi liberticide. C’est extrêmement commun. Et c’est toujours l’intérêt général qui est mis en avant pour la justifier. Que cela soit pour protéger les plus faibles, ou encore pour protéger le plus grand nombre ou bien pour préserver l’ordre public.

Toute la difficulté est de savoir si une loi sert vraiment l’intérêt général ou non. Et la réponse n’est pas simple. Nous l’avons vu, elle change fortement selon les époques et les pays. Et cela est vrai pour tous les exemples que nous venons de citer. Car mesurer l’intérêt général n’est pas chose facile. C’est pourquoi, dans les démocraties, nous avons des représentants politiques qui votent des lois dans l’intérêt général, qui décident de restreindre ou non les libertés selon leurs propres paradigmes, leurs propres convictions. Et nous pourrions ajouter que si une démocratie vote une loi, il faut la respecter, car elle est le fruit d’une démocratie qui lui confère toute sa force. Montaigne disait : « On n'obéit pas aux lois parce qu'elles sont justes, mais parce qu'elles sont lois ». Voilà qui est clair. Et c’est d’ailleurs le seul moyen de pouvoir construire un vivre-ensemble. Car sinon, ce serait l’anarchie et chacun pourrait faire ce qu’il veut à partir du moment où il considère qu’une loi n’est pas juste.

Dans le cas d’une dictature, il n’y a pas beaucoup de doute sur le fait de contester une loi, voire de s’y opposer. On parle d’ailleurs de résistants pour parler des personnes qui s’opposaient aux lois nazies. Personne ne conteste d’ailleurs ceux qui ont bravé la loi pour sauver des vies, que ce soit celle des juifs, des résistants ou autres. Leurs actes de résistance sont aujourd’hui qualifiés d’héroïques. Mais dans une démocratie, la question est plus complexe. Lorsque des citoyens se sont retrouvés devant les tribunaux pour aider des « sans papier » par pur but humanitaire, les juges se sont trouvés bien en difficulté entre l’application de lois votées démocratiquement qui exigeaient des sanctions et leur sens moral qui leur exigeait de l’indulgence. On le voit même, votée démocratiquement, une loi liberticide pose débat après son vote. Cela a été le cas notamment des lois dites scélérates, des lois de 1893 et 1894 sur l'anarchisme. Cette série de lois controversées, votées en France sous la Troisième République visait à réprimer le mouvement anarchiste et finalement abrogées cent ans après en 1994. Ces lois furent très critiquées car considérées comme liberticides, mais il n’en reste pas moins des traces dans notre code pénal, notamment la loi du 12 décembre 1893 relative à l'apologie du terrorisme. D’ailleurs, aujourd’hui, l’expression de lois scélérates est parfois reprise pour dénoncer des lois liberticides.

Donc oui, pour répondre à la question, le pass sanitaire est une loi liberticide, mais cela n’a rien de nouveau dans nos démocraties.

Pour moi, la vraie question est de savoir si cette loi sert l’intérêt général ? Et j’ajouterai une deuxième question essentielle, si elle ne lèse pas une minorité. Car on ne saurait penser l’intérêt général sans parler des minorités qui pourraient être lésées par une telle loi.

N’est-ce pas justement le cœur de la philosophie utilitariste ?

Absolument. L’utilitarisme est une philosophie qui apparait avec Jeremy Bentham au XIXe siècle et qui vise à maximiser le bonheur du plus grand nombre. Ce terme d’utilitarisme vient du calcul de l’utilité devant être maximisée afin justement de maximiser le bonheur du plus grand nombre. Si cette philosophie est tombée aujourd’hui plutôt dans l’oubli, nos sociétés démocratiques en sont pourtant pétries. Certes nous ne parlons pas d’utilité mais d’intérêt générale. Certes nous avons remplacé la maxime « maximiser le bonheur du plus grand nombre » par celle de « servir l’intérêt général », mais au fond l’approche est bien la même. Et il s’agit toujours de faire de savantes analyses pour arriver justement à maximiser l’intérêt général. Je dirais même que l’utilitarisme est au cœur du fonctionnement de nos sociétés démocratiques. C’est John Stuart Mill, le fils du secrétaire personnel de Jeremy Bentham qui popularisera cette philosophie, devenue sans que nous ne nous en soyons rendu compte, le socle de notre monde moderne démocratique.

Alors, selon vous, le pass sanitaire sert-il l’intérêt général ?

Il n’y a pas de réponse facile à cette question, mais voici à mon avis la façon d’y répondre. Si il permet de protéger des vies, alors a priori oui, il sert l’intérêt général. Mais pour y répondre vraiment, je pense que l’approche utilitariste développée par les philosophes Jeremy Bentham et John Stuart Mill, peut nous aider. Que disent-ils ? Que ce qui maximise le bonheur de l’humanité est utile et doit donc prévaloir. Voilà pour simplifier, comment nous pourrions définir l’intérêt général.

Comment calculer cette utilité, cette maximisation de l’intérêt général ?

Il faut d’abord mettre en avant les avantages du pass sanitaire, puis les mettre en perspective de ses inconvénients. C’est ainsi que l’on calcule l’utilité. Ce n’est pas un travail simple, et c’est d’ailleurs cette difficulté de calcul qui a été l’une des principales critiques de l’utilitarisme. Néanmoins, et quoi qu’on en dise, c’est me semble-t-il, la principale méthode utilisée aujourd’hui tant par les politiques que par les juges pour prendre leurs décisions.

Quel est l’intérêt du pass sanitaire ?

Le principal intérêt mis en avant dans le pass sanitaire est qu’il protège les autres. Une personne vaccinée serait moins contaminante qu’une personne non vaccinée et donc représenterait un danger moins important pour les autres que les personnes non vaccinées. On retrouve ici le concept de « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». On restreint une liberté pour préserver la liberté des autres. Et effectivement, entre un confinement et un pass sanitaire, nous voyons bien que l’on restreint bien moins de libertés sur l’ensemble de la population. Donc d’un point de vue du calcul utilitariste, il semble évident, compte tenu de ces hypothèses, que le pass sanitaire maximise l’intérêt général.

N’est-ce pas une infantilisation de la population ?

Bien entendu, nous pourrions voir dans cette approche une sorte d’infantilisation de la population. Il est aujourd’hui avéré que le vaccin protège efficacement les personnes vaccinées. Or, nous sommes dans un monde où chacun est sensé prendre ses responsabilités. Et pour le libéral, au sens des libertés, que je suis, l’État n’a pas a priori à décider à la place de chacun. Nous devrions chacun être responsables de nos choix. Mais dans nos sociétés d’aujourd’hui, nous voyons que ce n’est plus le cas dans de très nombreux domaines. Nous sommes obligés de nous assurer, nous sommes obligés de porter une ceinture de sécurité… et les exemples sont nombreux. De telles obligations que nous pourrions qualifier de liberticides s’expliquent par un calcul utilitariste fait par l’État. Il considère que le bénéfice de telles obligations est supérieur aux contraintes induites, aux libertés qui sont atteintes par ces obligations. Mieux vaut mettre sa ceinture que de mourir dans un accident. Voilà, un exemple d’infantilisation où l’État décide à notre place et sans aucun doute dans l’intérêt général, dans un calcul utilitariste qui maximise le bonheur du plus grand nombre. Il fait de même en interdisant dans certains pays le cannabis, mais il ne le fait pas en autorisant chacun de fumer librement. Il se contente alors d’éduquer en rappelant sur chaque paquet de cigarette que fumer tue. Nous le voyons, le calcul avantages/inconvénients pour décider de voter une loi qui restreint les libertés est très fluctuant selon l’analyse qui en est faite.

Concernant les personnes non vaccinées, nous pourrions penser qu’elles sont responsables de leur santé, qu’il s’agit à elles de décider et non à l’État. Que l’État n’a pas à les infantiliser. Avec un raisonnement aussi simple que cela : « Je me fais vacciner donc je suis très fortement protégé contre les formes graves du Covid-19 ». « Je ne me fais pas vacciner, je ne suis pas protégé contre les formes graves et si je garde de graves séquelles ou encore je meurs, à moi d’en assumer les conséquences. Je ne pourrai n’en vouloir qu’à moi-même. »

Mais ce raisonnement ne tient pas pour deux raisons. D’abord, Il existe une part de la population qui ne peut se faire vacciner et qui a donc besoin d’être protégée : des personnes souffrant de maladies spécifiques… Il ne s’agit que d’un faible pourcentage de la population, mais nous ne saurions ne pas en tenir compte. Si nous revenons à notre « La liberté commence là où s’arrête celle des autres » alors nous comprenons bien le devoir moral de se faire vacciner pour protéger les autres qui n’ont pas la chance de se faire vacciner. Mais il y a une autre raison. En cas d’augmentation importante des hospitalisations, alors il n’y aurait plus suffisamment de lits pour accueillir tous les malades graves à l’hôpital. Se poserait alors la question de savoir si l’on prioriserait les personnes vaccinées et celles qui n’ont pas pu se faire vacciner pour des raisons médicales sur celles qui refuseraient tout simplement de se faire vacciner. Une question philosophique qui partirait du principe de responsabilité et s’inscrirait dans la logique du refus de l’infantilisation de chacun. C’est bien à chacun d’assumer les conséquences de ses actes. Néanmoins, mettre en place une telle politique ne manquerait pas de poser des questions éthiques dont tous les politiques souhaiteraient bien ne pas avoir à affronter. Car la question d’un triage sur une telle base est difficile à expliquer dans le cadre d’une démocratie.

Voilà des arguments forts en faveur du pass sanitaire.

Le pass sanitaire n’est-il pas aussi un moyen de forcer les gens à se faire vacciner ?

Si bien sûr et c’est bien pourquoi il fait débat aujourd’hui. En effet, il ne se contente pas de vouloir protéger les autres, mais il est utilisé comme un moyen de forcer les gens qui ne souhaitaient pas se faire vacciner. Dans une sorte de ce que certains appellent un chantage du type « Si tu ne te fais pas vacciner, tu ne peux plus avoir de vie sociale ». Et il y a de quoi se poser la question lorsque l’on voit qu’il faut un pass sanitaire pour visiter le Zoo du parc de tête d’or qui est en plein air. Rien ne saurait justifier réellement un tel choix, si ce n’est l’application de règles strictes sans réelle réflexion ou bien justement cette volonté de forcer les gens à se faire vacciner. La volonté de forcer les gens à se faire vacciner va donc bien au-delà de la protection des autres, mais tout comme la ceinture de sécurité ou le port du casque, cette volonté entend décider à la place de chacun ce qui est bon pour sa sécurité, ici sanitaire. L’État fait ce calcul en considérant que dans l’intérêt général, il vaut mieux que le plus grand nombre de la population soit vaccinée. Cela limitera les morts, et permettrait même peut-être d’atteindre l’immunité de groupe, bien qu’il n’y ait pas de démonstration certaine d’une telle possibilité.

Force est de constater que cette approche visant à forcer les gens à se faire vacciner a fonctionné, car après l’annonce de la mise en place du pass sanitaire, le nombre de personnes allant se faire vacciner est reparti fortement à la hausse. Beaucoup préférant finalement se faire vacciner plutôt que de se voir restreindre un grand nombre d’activités dans leur vie quotidienne. « Mieux me faire vacciner que de ne plus aller au bar, au restaurant, à la salle de sport… », se sont dit beaucoup de gens.

Que répondre aux anti-vaccins qui prétendent qu’il y a un risque à se faire vacciner ?

Tout d’abord, il me semble important de distinguer les anti-vaccins et les anti-pass sanitaire. Car l’on peut être effectivement un pro-vaccins mais un anti-pass sanitaire. Les premiers le seront a priori pour des raisons d’ordre scientifique, les autres le seront a priori pour des raisons d’ordre philosophique ou politique.

Sans aucun doute, tout vaccin comporte des risques. Il y a des risques à se faire vacciner. Il y a d’abord les effets secondaires qui peuvent être plus ou moins forts. Et il y a bien entendu parfois, mais a priori très rarement, des cas de décès : thromboses, myocardites…

Mais il faut raisonner en bénéfices–risques. Il faut comparer les risques du vaccin aux risques du Covid-19. Comme nous l’avons toujours fait dans le passé pour les autres vaccins qui ont été rendus obligatoires dans de nombreux pays démocratiques. Dans le cas de la France, une première loi oblige en 1902 les gens à se vacciner contre la variole. Puis, suit en 1938 l’obligation pour les élèves de se vacciner entre autres contre la diphtérie, le tétanos. Au même moment, les personnes faisant leur service militaire ont l’obligation de se vacciner contre la typhoïde et le typhus. Déjà à l’époque, ces obligations vaccinales ont déchainé les esprits et les oppositions étaient fortes. Force est de constater que près de 100 ans après, ces obligations vaccinales peuvent être considérées comme des grands succès de santé publique.

Mais qu’en est-il du calcul bénéfices–risques de la vaccination du Covid-19 ? C’est là que les choses se compliquent, car les anti-vaccins, outre les questions de liberté, mettent en avant trois arguments d’ordre scientifique qui font débat.

  • La rapidité de la mise en place des vaccins contre le Covid-19 est hors norme et n’a pas permis de réaliser tous les contrôles nécessaires pour s’assurer d’un rapport bénéfices-risques positif.
  • Les vaccins seraient responsables d’une mortalité bien plus importante que celle mise en avant par les médias.
  • Les vaccins à ARN sont d’un nouveau genre et représentent un potentiel danger sur le long terme, à tout le moins une inconnue que personne n’est vraiment capable de mesurer ou d’anticiper.

Et à cela, s’ajoutent deux autres arguments d’ordre politique et juridique :

  • Le manque de réel débat démocratique à l’Assemblée nationale sur le vote de la loi du pass sanitaire.
  • Les risques d’incohérences juridiques levées par la loi sur le pass sanitaire.

La question du calcul bénéfices–risques semble donc plus complexe que celui des vaccins déjà obligatoires et ayant, nous l’avons dit, permis une grande avancée sanitaire au XXe siècle. Dans le cas du Covid-19, le bilan présenté par le gouvernement et la réponse n’iraient pas de soi.

Nous comprenons ainsi que le pass sanitaire, considéré par les anti-vaccins comme un moyen de les obliger à se faire vacciner, devient pour eux insupportable. Car leur analyse bénéfices–risques est selon eux défavorable, voire très défavorable. Et force est de constater que l’État ne prend pas vraiment soin de leur répondre sur ces questions. Qu’en est-il réellement de la mortalité des jeunes ? Certaines études ont montré que le risque avec certains vaccins était supérieur pour les plus jeunes par rapport au risque qu’ils encourent avec le Covid. C’est d’ailleurs pourquoi, certains vaccins ont été interdits aux moins de 50 ans. Nous voyons que l’enthousiasme vaccinal du début a laissé place au doute. Ce doute a d’ailleurs été suivi par la mise en place de nouvelles stratégies vaccinales visant à réduire au maximum les risques, afin justement d’augmenter le ratio du calcul bénéfices-risques. Force est donc de constater que les craintes initiales des anti-vaccins que l’on balayait d’un revers de main, n’étaient pas si injustifiées.

Et tout cela bien entendu, ne fait que conforter les anti-pass sanitaires qui n’étaient pas a priori forcément contre la vaccination.

Le vaccin est-il utile contre les formes graves du Covid-19 ?

Oui, sans aucun doute. Toutes les études montrent aujourd’hui l’efficacité réelle des vaccins contre le développement de formes graves du Covid-19. Ainsi, une personne à risque face au Covid-19 devrait a priori se faire vacciner, car il semble que le calcul bénéfices–risques lui soit très favorable. Les personnes obèses, les personnes souffrant de diabète ou encore souffrant d’hypertension et bien d’autres, ont tout intérêt à se faire vacciner. Elles prennent a priori bien moins de risque à le faire qu’à ne pas le faire.

Il est difficile d’en dire autant pour les jeunes et les plus jeunes. Bien sûr, au niveau mondial, on trouvera toujours des exemples à mettre en avant de cas graves du Covid-19, mais statistiquement, ils sont marginaux. Et dans le cas présent, la balance bénéfices–risques n’est pas du tout évidente pour l’individu qui se fait vacciner.

Ne faut-il pas aussi vacciner les jeunes pour protéger le reste de la population ?

Nous l’avons déjà dit, si nous considérons que chacun peut se faire vacciner, alors toute personne qui sera vaccinée sera a priori protégée contre une forme du Covid-19. Donc nous pourrions nous dire que cela n’est pas nécessaire. Mais c’est oublier, nous l’avons déjà vu, les quelques pourcents de la population qui souhaiterait se faire vacciner mais qui ne le peut pas. Ne pas vacciner les jeunes reviendrait probablement à mettre en danger ces quelques pourcents de la population. Pour revenir à notre approche utilitariste, il s’agit alors de faire ce calcul complexe entre deux voies possibles.

  • Ne pas vacciner les jeunes et sacrifier les personnes ne pouvant se faire vacciner.
  • Protéger les personnes ne pouvant se faire vacciner en vaccinant les jeunes. Les anti-vaccins diront en sacrifiant les jeunes.

Ce calcul n’est pas simple et bien entendu, chacun selon où il se situe calculera un résultat différent. C’est pourquoi le débat est si complexe et les raisons si difficiles à s’accorder. Un parent dont l’enfant décèdera suite à une vaccination, sera difficile à convaincre de l’intérêt général d’une démarche vaccinale généralisée. À l’inverse, les personnes à risque ne pouvant se faire vacciner considèreront les anti-vaccins comme des criminels. C’est toute la difficulté de l’utilitarisme, le calcul de la maximisation du bonheur de la population que l’on traduit aujourd’hui comme l’intérêt général.

Cela veut-il dire qu’il nous faut admettre le sacrifice de certains pour protéger les autres ?

C’est là toute la difficulté de la philosophie utilitariste qui tend à prévaloir aujourd’hui dans nos sociétés. L'utilitarisme, par définition, promeut le sacrifice de certains au profit du plus grand nombre. C’est d’ailleurs sur ce point que cette approche a été la plus critiquée depuis le XIXe siècle. En réalité, l’utilitarisme ne prône pas en soi le sacrifice, mais si il est nécessaire pour le plus grand nombre, alors il doit entrer dans l’équation. Un exemple simple pour le comprendre, sont les soldats envoyés dans la première vague du débarquement. Les généraux qui ont conçu ce plan savaient que beaucoup mourraient. Mais c’était bien le prix à payer pour se libérer du nazisme. Il s’agissait d’un sacrifice légitime pour maximiser le bonheur du plus grand nombre. De même que certains canots de sauvetages du Titanic n’hésitaient pas à empêcher d’autres personnes de monter à bord, de peur de voir le canot sombrer. La mort de quelques-uns se justifiait à leurs yeux pour le sauvetage de tous ceux à bord du canot. Bénéfice évident comparé à la mort de tous.

L’utilitarisme a toujours essayé de répondre à cette critique sacrificielle. Et nos sociétés démocratiques modernes y ont pour partie répondu, en mettant en place des politiques strictes de lutte contre les discriminations de toute nature : de sexe, religieuses, d’âge, sur l’orientation sexuelle…

Ainsi, ici, face au potentiel sacrifice des populations à risque ne pouvant se faire vacciner, l’obligation vaccinale indirecte via le pass sanitaire tend à éviter le sacrifice de cette population. Mais bien entendu, les anti-vaccins avanceront que ce sont eux les sacrifiés, et il est difficile de ne pas les écouter.

Tout cela ne repose-t-il pas sur l’hypothèse que la vaccination permet de réduire le fait d’attraper le virus et surtout de réduire la contagiosité des personnes vaccinés ?

Absolument, et c’est là que le débat se complexifie. Car l’apparition du variant delta change la donne. Il est devenu aujourd’hui majoritaire car beaucoup plus contagieux. Et ce variant delta baisse notoirement l’efficacité des principaux vaccins. Leur efficacité serait aujourd’hui de l’ordre de 66% uniquement, selon les dernières études anglo-saxonnes sur de larges populations. Par ailleurs, ces études démontrent qu’une personne vaccinée atteinte du Covid-19 semble aussi contagieuse qu’une personne non vaccinée. Cela remet donc fortement en question l’intérêt du pass sanitaire quant à son rôle de protection des autres. Son efficacité sur la protection de la personne elle-même vaccinée n’est en revanche pas remise en question.

Cela ne remet-il pas en question l’intérêt du pass sanitaire ?

Rappelons-le, le pass sanitaire poursuit deux objectifs de façon directe et indirecte :

  • Obliger les gens à se vacciner pour se protéger eux-mêmes ;
  • Obliger les gens à se vacciner pour protéger les autres.

Nous l’avons déjà vu, dans le premier cas, il s’agit d’une sorte d’infantilisation de la population qui tend à donner à l’État la décision à notre place. Mais comme déjà dit, cela n’est pas nouveau, comme en attestent l’obligation des ceintures de sécurité ou du port du casque. Toutefois, cela n’a de réel sens que pour les personnes à risque face au Covid-19, à savoir les personnes plutôt âgées, ou ayant des comorbidités ou encore les personnes surexposées comme le personnel soignant. Ainsi, seules ces personnes devraient être la cible de ce projet vaccinal, si l’on s’en tient au premier objectif.

Dans le second cas, la nouvelle donne liée au variant delta remet fortement en question l’idée même que le pass sanitaire permette de protéger les autres. Puisque nous venons de le dire, les personnes vaccinées atteintes du variant delta semblent aussi contaminantes que les autres. Reste que le taux de protection demeure encore de 66%, ce qui n’est pas négligeable. La probabilité d’attraper le virus au sein d’une population vaccinée serait donc a priori plus faible. Ainsi, le pass sanitaire serait-il encore utile. Il n’en reste pas moins que ce difficile calcul de la maximisation de l’intérêt général devient, avec cette nouvelle variable, encore plus compliqué et le résultat encore plus incertain. Et cela n’est pas pour déplaire à ceux qui s’opposent aux vaccins, qui considèrent la défense du pass sanitaire injustifiable compte tenu de ces nouveaux éléments.

Cela veut-il dire que vous êtes pour ou contre la vaccination et le pass sanitaire ?

Mon avis personnel compte bien peu, mais si vous souhaitez absolument le savoir, je suis personnellement pour la vaccination et je me suis fait vacciner à titre personnel. Mieux ou pire encore, selon le camp dans lequel se trouvera le lecteur ; j’étais a priori plutôt favorable au début au pass sanitaire et cela même si j’ai toujours regretté l’infantilisation des populations. J’y étais favorable car il permettait de protéger les personnes à risque ne pouvant se faire vacciner.

Nous sommes en démocratie et il me semble important que le débat puisse être posé. Or, force est de constater qu’aujourd’hui, il y a peu de place au débat tant la politique vaccinale est assénée avec force par le gouvernement et les médias. Je comprends donc que certains soient entrés en résistance contre le pass sanitaire. Mais nous sommes en démocratie et rappelons-nous : « Nous ne respectons pas la loi parce qu’elle est juste, mais parce qu’elle est loi. » Cela veut dire que si certains ne partagent pas les tenants et aboutissants de cette loi, libre à eux d’entrer en résistance civile. Pour rappel, la résistance civile est un type d'action non-violente contre le pouvoir en place. On la compare souvent à la désobéissance civile prônée par Gandhi. C’est d’ailleurs dans ce cadre que me semblent entrer les manifestations anti pass sanitaire.

Je dois avouer que quatre choses me font douter.

  • L’apparition du variant delta qui dégrade fondamentalement le calcul utilitariste d’une politique vaccinale généralisée quant à la protection des autres. D’ailleurs, plusieurs scientifiques font un lien direct entre l’apparition de variants et une politique vaccinale massive plutôt que ciblée. Je ne parle pas bien sûr de la protection évidente que gagne chacun en se faisant vacciner.
  • Mon incompréhension réelle sur les effets secondaires et la mortalité mise en avant par de nombreux anti-vaccins, en particulier par plusieurs médecins. Et aussi les doutes mis en avant par certains scientifiques sur un risque de senescence.
  • La division profonde de notre société suite à la mise en place de ce pass sanitaire. Dans un calcul qui vise à maximiser le bonheur du plus grand nombre, cette division profonde crée beaucoup de malheur et est donc à prendre en compte dans notre calcul utilitariste.
  • Le fait que notre gouvernement semble avoir une stratégie uniquement vaccinale et ne prenne pas en compte de possibles autres approches.

De quelles autres approches voulez-vous parler ?

J’ai écrit 24 livres sur l’épidémie du Covid-19 (deux sont encore à publier, ceux sur la santé mentale et sur la méthode d’Asie de l’Est). Je me suis attelé à traiter de tous les sujets. Mais le fil conducteur de cette série Covid-19 est ce que j’ai appelé la méthode d’Asie de l’Est de lutte contre la pandémie à savoir : 1- Protéger ; 2- Tester ; 3- Isoler les malades ; 4- Traiter. Nous avons vu comment toutes ces étapes ont été négligées dans de nombreux pays occidentaux et comment les pays d’Asie, notamment la Corée du Sud, Hongkong, Singapour, Taiwan et bien d’autres, ont réussi à maîtriser l’épidémie avec un réel succès tout en préservant bien mieux que nous leur économie. Si nous avons fait des progrès considérables sur les deux premières étapes, force est de constater qu’il nous reste du chemin à faire sur les deux dernières, notamment en ce qui concerne la prise en charge précoce. Il me semble qu’un simple calcul utilitariste bénéfices–risques soit en faveur de sa mise en place. C’est bien dommage et c’est du pain béni pour les anti-vaccins et les anti-pass sanitaire.

Et je le dis pour conclure : si je ne partage pas forcément leur point de vue, je les respecte profondément et je me battrai pour qu’ils puissent exprimer leurs idées. Tout comme l’affirme la citation apocryphe de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »

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