L’Inde, une puissance d’hier et de demain (Partie 3)

Auteur(s)
Catherine Roman, pour France-Soir
Publié le 12 février 2024 - 20:51
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Tribune Inde partie 3
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L'Inde cherche à devenir un acteur incontournable du Sud global.
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IV – Les défis économiques de l’Inde et l’"Amrit Kaal" (âge d’or) ambitionné par son Premier ministre, Narendra Modi 

Avec une croissance de 6 % en 2023 et 7 % en 2024, selon les projections de l’OCDE, l’Inde se classe en tête des grandes économies. En 2023, elle a franchi deux caps marquants : sa population a dépassé celle de la Chine avec 1,43 milliard d’habitants et l’économie indienne a doublé celle du Royaume-Uni, son ancien colonisateur. Toutefois, les défis sociaux, avec une population très jeune, des créations d’emplois insuffisantes et des tensions entre groupes religieux, créent encore beaucoup d’incertitudes. Parallèlement, l’épargne indienne est abondante, le déficit de la balance des paiements se réduit et reste contenu autour de 2 % du produit intérieur brut (PIB) tandis que le système bancaire a été assaini. 

Le niveau d’investissement reste cependant encore en retrait si on le compare à son voisin chinois. Au cours des dix dernières années, l’investissement a représenté environ 31% du PIB, un niveau conforme à l’épargne du pays (30% du PIB). Mais sur la même période, la Chine se situait 15 points au-dessus. Le grand décollage de l’économie indienne passe donc par une forte augmentation de l’investissement. Comme nous avons vu précédemment, l’argent ne manque pas, ni même l’or, puisque les Indiens possèdent les troisièmes réserves du monde avec 2 000 milliards de dollars du métal jaune, à rapporter à un produit intérieur brut (PIB) de 3 700 milliards de dollars. Les freins à l’investissement ne sont donc pas tant financiers que culturels. Ils s’expliquent notamment par un empilement de législations complexes appelé ‘’le règne de la licence’’. A savoir que pour toute activité économique, il est nécessaire de se procurer une multitude de licences auprès d’autant d’administrations. 

L’autre handicap majeur de l’économie indienne est qu’elle ne crée pas encore assez d’emplois pour un pays aussi jeune (l’âge médian est d’à peine 28 ans). Une grande partie de sa population est toujours employée dans l’agriculture (42 %) et la part de l’industrie dans la richesse nationale stagne encore à moins de 15 % (contre 28 % en Chine). Il est à noter qu’une demi-douzaine de conglomérats se partage le marché intérieur. Même si la part des services est en croissance, ce secteur n’arrive pas à absorber le flux des nouveaux entrants sur le marché du travail. 

  1. Les ambitions affichées

L’Inde est la cinquième économie mondiale et d’ici à 2047 ambitionne d’être dans les premières, avec un grand récit national, celui d’un pays uni autour d’une identité hindoue (80 % de la population). L’Inde vise à retrouver le rang qui était le sien avant la colonisation britannique : vers 1750, l’économie indienne représentait 22 % du PIB mondial. A l’époque de l’indépendance, deux siècles plus tard, elle ne pesait plus que 4 à 5 %... Selon le bras droit de Modi, Amitabh Kant, l’explication est à chercher du côté des colons britanniques, qui auraient sciemment ruiné l’industrie, dont celle liée au coton. 

1. Moderniser le pays grâce à la tech

L’investissement dans la technologie s’annonce un défi pour le gouvernement indien quand on songe que l’agriculture emploie encore environ 45 % de la population active. Il est toutefois à noter que l’Inde est le pays le plus digitalisé du monde avec des marchands ambulants installés sur les trottoirs disposant de QR Code permettant de se passer de billets et de pièces.

Alors qu’en Occident, les grands distributeurs se demandent comment survivre face à la pieuvre Amazon et se lamentent de ne pas disposer d’acteurs aussi puissants, l’Inde prend le problème à l’envers. Comme pour les paiements, le gouvernement est en train de bâtir une infrastructure publique unique et interopérable, Open Network for Digital Commerce (ONDC), sur laquelle les acteurs de la chaîne du commerce pourront se brancher. 

Le secteur privé n’est pas oublié à travers notamment l’Indian Institute of Technology de Madras (Chennai) qui ambitionne de transformer le pays en développant des startups et des partenariats entre le public et le privé. 

2. L’Inde, négociant mondial de matières premières 

L’Inde raffine du pétrole russe pour en réexporter une partie, notamment vers l’Europe. L’accord actuel situe l’Inde à une place indispensable sur le marché énergétique global en contribuant à répondre aux besoins extérieurs en maintenant les prix à un niveau relativement abordable. L’Inde est le troisième importateur mondial de pétrole. Il est actuellement envisagé de fixer le prix de certaines matières premières, dont le pétrole en or, afin de répondre aux sanctions occidentales, en particulier vis-à-vis de la Russie. A ce titre, l’Inde et la Chine pourraient prendre la place des négociants mondiaux de matières premières à la place de Glencore et Trafigura. 

3. Le changement climatique

Outre, le problème de la pollution de l’air dans les grandes agglomérations, au sud de Calcutta et à cheval avec le Bangladesh, les Sundarbans (zone à l’embouchure du Gange et du Brahmapoutre), où vivent environ 14 millions de personnes, essuient de plus en plus de violentes tempêtes qui compliquent les efforts des autorités. D’après une étude de la Banque mondiale, il est prévu que dans de nombreuses zones du Sundarbans, le taux de salinité va approcher celui de l’océan d’ici 2050, ce qui conduirait à la fin de l’extrême diversité des espèces présentes dans le delta et à des conséquences néfastes sur la santé humaine (déshydratation, hypertension). 

L’ambition indienne est de passer de la ferme à la frontière verte, c’est-à-dire à une production compétitive et durable, ce qui implique un énorme investissement dans la technologie comme mentionné ci-avant. 

4. Le travail des femmes

A cause du patriarcat (on attend des femmes qu’elles restent à la maison pour s’occuper des enfants et s’acquitter des tâches ménagères), le taux d’activité des femmes en Inde reste très en deçà de la moyenne des pays émergents. Seulement 24 % des Indiennes occupent ou cherchent un travail contre 74 % chez les hommes. En Chine, le taux d’activité des femmes est de 61 % par exemple. Depuis une quinzaine d’années, les revenus des ménages indiens ont également sensiblement augmenté, ce qui a poussé beaucoup de femmes à arrêter de travailler dans les zones rurales, car leur travail n’était plus vital. Selon McKinsey, la contribution des femmes à l’économie indienne n’est que de 18 %. L’Inde dispose ainsi d’un énorme réservoir de croissance. La Banque mondiale estime que le PIB pourrait croître de 1,5 point supplémentaire par an si 50 % des femmes intégraient le marché du travail, ce qui générerait un taux de croissance autour de 9 %. 

5. La lutte contre la malnutrition ou l’illusion des cultures biofortifiées

Fin 2018, le gouvernement indien a annoncé que l’utilisation du riz biofortifié deviendrait obligatoire dans tous les programmes de repas scolaires et les programmes publics de nutrition. La biofortification est un processus consistant à augmenter la teneur de quelques nutriments dans des plantes grâce à la sélection végétale, que ce soit à l’aide de techniques conventionnelles ou en recourant aux biotechnologies. Du Pérou à la Tanzanie en passant par l’Indonésie, les gouvernements nationaux acceptent ces cultures à bras ouverts afin de lutter contre la malnutrition, mais sans tenir compte qu’à terme, elles pourraient nuire à la capacité des populations à renforcer leurs systèmes alimentaires locaux. Il est bien connu qu’un régime alimentaire varié, riche en légumes, fruits, légumineuses, noix et céréales complètes, fournit tous les nutriments nécessaires à une bonne santé. 

6. L’Inde et le Big Pharma  

En 2009, une ONG (PATH) financée par la Fondation Bill et Melinda Gates et le gouvernement des Etats-Unis a procédé à des essais cliniques non autorisés d’un vaccin sur certains des enfants les plus pauvres et les plus vulnérables du monde. Elle l’a fait sans fournir d’informations sur les risques encourus, sans le consentement éclairé des enfants ou de leurs parents et sans même déclarer qu’elle menait des essais cliniques. A ce titre, Big Pharma a utilisé des enfants, entre autres, indiens (jeunes filles de Khammam) comme cobayes (vaccin contre le papillomavirus, HPV) en dehors de tout cadre juridique. Une enquête a été diligentée, et a conclu que la sécurité et les droits des enfants ont été fortement compromis et violés et que PATH, bien qu’opérant en Inde depuis 1999, n’avait aucune autorisation légale pour le faire. 

De même, quelques années plus tard, au titre de la lutte contre le Covid, l’Association du barreau indien a signifié un avis juridique pour crimes contre l’humanité au directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Dr. Tedros Adhanom Gebreyesus et, au scientifique en chef de l’OMS, le Dr. Soumya Swaminathan, du fait que l’OMS a diffusé de la désinformation sur le médicament ivermectine dans le cadre du traitement des patients du Covid (l’efficacité de l’ivermectine a été minimisée et l’OMS a dissuadé les gens d’utiliser ce médicament en créant des doutes dans leur esprit quant à sa sécurité). 

7. La problématique du Cachemire

L’Inde a annoncé, le 6 août 2019, la révocation de l’autonomie constitutionnelle du Jammu-et- Cachemire (13 millions d’habitants), ainsi que sa dislocation. Cette décision a placé sous tutelle directe de New Delhi cette région rebelle, à majorité musulmane, revendiquée par le Pakistan. Le différend opposant l’Inde et le Pakistan à propos du Cachemire depuis la partition a débouché sur deux conflits armés en 1949 et 1965, auxquels s’ajoute la guerre de 1971, à l’issue de laquelle le Bangladesh est devenu indépendant. 

En conclusion, l’Occident vise et attise les tensions entre l’Inde et la Chine afin de creuser un fossé entre les deux rivaux (sur le papier) asiatiques et saper notamment l’unité des BRICS+. Mais, fondamentalement, malgré un différend frontalier non résolu, l’Inde et la Chine partagent la même vision selon laquelle les BRICS+ jouent un rôle essentiel sur la scène multilatérale mondiale et leur permettent d’améliorer leur statut et leur influence au niveau international. Il est dans l’intérêt de New Delhi, de Pékin et de l’ensemble des pays du Sud que les liens sino-indiens se développent. Les deux pays les plus peuplés au monde continuent d’enregistrer des niveaux de croissance inconnus dans la plupart des régions. Les dirigeants indiens répètent une phrase sanskrite qui signifie que le monde entier est une grande famille, tandis que leurs homologues chinois insistent sur la nécessité pour les nations les moins développées de grandir ensemble afin que personne ne soit laissé de côté. Il n’y a manifestement aucune contradiction entre les objectifs globaux des deux pays, et il est dans leur intérêt et celui du monde multipolaire de suivre le principe de l’harmonie dans les différences. La Russie, à ce titre, est l’un des principaux défenseurs des liens amicaux entre l’Inde et la Chine. 

Principales sources : Réseau international (M.K.Bhadrakumar, Peter W.Logghe), Les Echos (Nicolas Barré, Clément Perruche), India Punchline (M.K.Bhadrakumar), Mondialisation.ca (René Naba, Olivier Renault, Andrew Korybko, Alexandre Lemoine, Pepe Escobar, Alfredo Jalife-Rahme, Ajay Kamalakaran, Tyler Durden, Chine Magazine, Jade, Faouzi Oki, Bernard Marx), TASS, Grain. 

Française, Catherine Roman a vécu quelques années en Russie. Elle travaille dans le secteur des chiffres et se passionne pour la géopolitique et l'intelligence économique.

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