La loi sur les "agents étrangers" - une leçon magistrale de l'hypocrisie atlantiste - partie 2

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Oleg Nesterenko pour France-Soir
Publié le 17 mai 2024 - 10:00
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TRIBUNE - À la suite de l’adaptation par le parlement de la Géorgie (pays du Caucase), le 1er mai dernier, de la loi sur les « agents étrangers », toute une avalanche de critiques, d’avertissements et de menaces directes et voilées s’est écroulée sur le gouvernement géorgien de la part des « défenseurs de la liberté, de la démocratie, de la libre parole et des droits de l’homme » composés de l’intégralité des pays du camp Occidental, les Etats-Unis d’Amérique en tête. 

Suite de la partie I publiée le 16 mai 2024

Un petit « oubli » dans les indignations occidentales  

En mettant en lumière les « dérives anti-démocratiques » prétendument commises par la Russie et, ensuite, par la Géorgie via l’adaptation des lois sur les « agents étrangers », l’appareil de la propagande occidentale a « oublié » de mentionner qu’il ne parle que de l’arbre qui cache la forêt.  

L’air de rien, les « défenseurs de la liberté » oublient de mentionner un détail : la loi russe et la loi géorgienne sur les « agents étrangers » n’est rien d’autre que l’adaptation de la même loi déjà existante aux États-Unis. Et non seulement déjà existante, mais existante depuis 1938 (Foreign Agents Registration Act- FARA - loi pour l'enregistrement des Agents étrangers), aujourd’hui en vigueur sous sa rédaction de 1995. 

Les actes normatifs régissant ce domaine des relations publiques ont été adoptés et appliqués dans plusieurs pays du monde, dont en Russie que très tardivement par rapport à des pionniers dans le domaine que sont les Américains. En dehors des Etats-Unis, les lois sur les « agents étrangers » et leurs équivalents existent belle et bien dans d’autres pays, notamment en Australie (Australia Foreign Influence Transparency Scheme Act Nr.63 de 2018 - FITSA) ou en Israël.  

La position de certains prétendus experts stipulant qu’il y a une grande différence au niveau des contraintes entre la version russe et la version américaine ou, par exemple, australienne au niveau de la législation sur les « agents étrangers » est parfaitement mensongère. Une étude de près des textes des bases légales respectives le confirme. Les normes de la législation américaine et australienne sont les plus similaires en termes de contenu avec les normes russes. 

Par ailleurs, la rigueur de la loi américaine est bien plus prononcée par rapport à la version russe. Notamment, en ce qui concerne l’activité politique, cette notion est très vague dans le cadre de FARA, soit, l’appréciation de l’activité d’une personne morale/physique est très arbitraire. De son côté, la législation russe décrit très en détail et délimite clairement l’application de cette notion. 

Côté répressif, la sanction maximale prévue aux Etats-Unis pour une activité irrégulière d’un « agent étranger » est de 10.000$ et de 10 ans de prison ferme. Du côté de la Russie, la sanction maximale est de 500.000 roubles (dans les 5.500$) et aucune (!) peine de prison n’est encourue (art. 19.34. de la loi N 195-FZ du Code sur les infractions administratives). L’activité des « agents étrangers » en Russie est régie exclusivement par le droit administratif ; celle menée aux Etats-Unis est également régie par le droit pénal.  

En ce qui concerne le nombre de personnes physiques et morales soumis au statut d’« agent étranger » au Etats-Unis - il est incomparablement plus élevé qu’en Russie. Au mois de mai 2023, le nombre d’« agents étrangers » sur le sol américain était supérieur à 3.500 contre près de 400 en Russie. La surveillance et le contrôle par l’état américain s’est considérablement accru durant les dernières années : sur plus de 3.500 « agents », 1/3 a reçu ce statut qu’entre l’année 2016 et 2023.  

Il est à souligner que jusqu’en 2017, en Russie, les médias financés par les sources étrangères ne tombaient guère sous la loi russe sur les « agents étrangers », même si leur activité était de nature foncièrement anti-gouvernementale. Ce n’est que le 25 novembre 2017 et qu’en réponse à l’exigence du ministère de la justice des États-Unis d'enregistrer les médias financés par la source russe « Russia Today » et « Sputnik » en tant qu’« agents étrangers » sur le sol américain que la loi (n°327-FZ) a été adoptée en Russie, introduisant le concept de « médias - agent étranger ».  

Contrairement aux « oppresseurs de la liberté de parole » que sont les gouvernements russes et géorgiens respectivement, les gouvernements de l'UE - « défenseurs des droits démocratiques » ne faisaient pas dans la dentelle en perdant leur temps dans la classification des médias « pro-russes » parmi les « agents étrangers » - il les ont fait, tout simplement, interdire sur l'ensemble de leur territoire. 

Une mesure aussi démocratiquement expéditive est tout à fait compréhensible : dans le cadre de la guerre en Ukraine il était nécessaire de couper net et en urgence la possibilité de l’accès par le grand public européen formaté à des informations alternatives à celles propagées par les médias mainstream contrôlés par le pouvoir « atlantiste », aux risques de voir des soulèvements populaires révoltés par la vérité qu'ils pourraient y découvrir. 

Il est également à souligner que depuis le début de l’année 2023, l’Union-Européenne elle-même est bien en train d’élaborer sa propre loi sur les « agents étrangers ». La loi obligerait les organisations non gouvernementales à divulguer des informations sur tout financement provenant de l'extérieur de l'UE. Les nouvelles règles seront très similaires à celles déjà en vigueur aux États-Unis, en Australie, en Russie et en Géorgie. 

En ce qui concerne la France, la proposition de loi répressive (n°269) « visant à prévenir les ingérences étrangères en France » a déjà été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, le 27 mars dernier. Nul doute sur le résultat positif de l’examen de cette loi qui aura lieu au Sénat, le 22 mai prochain. Le texte de la loi française prévoit la création d'un registre des représentants d'intérêts étrangers - personnes physiques/morales agissant pour le compte d'un « mandant étranger » dans le but, notamment, d'influencer la décision publique ou de mener des activités de communication. Les sanctions prévues en France pour une activité irrégulière d’un « agent étranger » sont bien plus répressives que celles connues en Russie : 45.000 euros d’amende et 3 ans de prison.  Les peines prévues pour les personnes morales vont aller jusqu’à 225.000 euros. 

De même, une loi similaire est en préparation en Estonie depuis le mois de mars 2018.  

En mai 2019, le ministre britannique de l'intérieur, Sajid Javid, a déclaré qu'il était nécessaire d'introduire une pratique consistant à « enregistrer les agents étrangers », afin de réduire les « activités hostiles » menées contre le Royaume-Uni par un certain nombre d'États, dont la Russie, et ceci est en plus de la loi sur la sécurité nationale instaurant un registre relatif aux influences étrangères (Foreign Influence Registration Scheme – FIRS) déjà existant depuis 2023. 

Bien évidemment, si dans le cas de la Fédération de Russie et de la Géorgie l’adaptation des lois du contrôle sur les « agents étrangers » n’est que l’outil de l’oppression de la liberté et le reflet de l’obscurantisme - dans le cas des Etats-Unis et de leurs vassaux il ne s’agira que du perfectionnement de la « défense de la démocratie ». 

Les dessous des cartes  

La loi nouvellement adoptée par le parlement géorgien ne met guère en danger imminant les projets d’une grave déstabilisation politique de la région du Causasse que les « atlantistes » sont en train de réaliser depuis plusieurs décennies et, surtout, dans les dernières années. Néanmoins, elle est considérée en tant qu’un bâton assez sérieux dans les roues des processus engagés par ce dernier. La pression sur le gouvernement géorgien ne va donc que s’accentuer et le pays doit s’attendre à de mauvaises surprises dans un avenir proche.  

Pour le camp politico-militaire Occidental, l’intérêt primaire de la région du Caucase et des pays tels que la Géorgie ou l’Arménie ne réside que dans leurs situations géographiques frontalières vis-à-vis de la Russie. L’instauration dans cette zone de « l’anti-Russie », des régimes politiques, dont le principal vecteur serait la russophobie, à l’instar de leur réalisation sur le territoire de l’Ukraine, est l’objectif primaire des initiatives occidentales menées à la frontière sud de la Russie depuis la chute de l’URSS en 1991.  

Les petits peuples du Caucase, quant à eux, n’intéressent pas davantage les pays « démocratiques » en action dans la région que ceux de l’Irak, de la Lybie ou de l’Ukraine dont ils ont déjà détruit l’avenir des générations à venir.   

Avec la vive contestation de l’adaptation souveraine par la Géorgie de la loi sur les « agents étrangers », une fois de plus, les Etats-Unis d’Amérique en tête de l’armée de ses satellites n’ont fait que revendiquer leurs droits. Les droits appliqués selon la bonne vieille expression romaine : « Quod licet Iovi, non licet bovi » - ce qui est permis à Jupiter ne l'est pas aux vaches. 

Oleg Nesterenko 

Président du CCIE (www.c-cie.eu) 

(Spécialiste de la Russie, CEI et de l’Afrique subsaharienne ; ancien directeur de l’MBA, ancien professeur auprès des masters des Grandes Ecoles de Commerce de Paris) 

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