L'autre "Trocadéro", celui de Nicolas Sarkozy

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Alain Tranchant pour FranceSoir
Publié le 05 octobre 2020 - 20:17
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Nicolas Sarkozy le 14 mai 2017 à Paris
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© FRANCK FIFE / AFP/Archives
© FRANCK FIFE / AFP/Archives

HISTOIRE  Dans la vie politique de notre pays, il y a des formules qui restent, et il en est qui disparaissent.

 

Il est encore trop tôt pour prédire le sort qui attend "la droite du Trocadéro" du Premier Ministre dans la campagne pour l'élection européenne du 26 mai 2019. Le mot du locataire de l'Hôtel Matignon rejoindra -t-il le célèbre "bonnet blanc et blanc bonnet" de Jacques Duclos à propos du second tour de l'élection présidentielle de 1969 opposant Georges Pompidou à Alain Poher ? Ou le non moins célèbre "abracadabrantesque" de Jacques Chirac ? Ou bien tombera -t-il dans les oubliettes ? Seul l'avenir le dira.

"La droite du Trocadéro" d'Edouard Philippe visait à l'évidence le rassemblement de la dernière chance organisé par François Fillon pour maintenir coûte que coûte sa candidature à l'élection présidentielle de 2017. Mais une chose est de rabattre des troupes convaincues d'avance, et une tout autre est de conquérir les suffrages des électeurs. Les Républicains viennent à nouveau de le vérifier lors de la récente élection européenne.

 

Du reste, dès la fin janvier 2017, après avoir surjoué l'homme moralement inattaquable, François Fillon était politiquement mort, et ceux qui l'ont poussé à aller au bout de son chemin de croix, parfois en pensant à leur propre intérêt de carrière (il faut bien un Premier Ministre à un Président de la République !), auraient été plus avisés de lui conseiller de jeter l'éponge afin de ne pas faire perdre son camp dans une élection présentée comme imperdable et qui n'en finit pourtant pas de produire ses effets dévastateurs.

Alors que sa famille politique se trouve aujourd'hui encore à l'heure des comptes, des mécomptes, voire des règlements de comptes, je voudrais revenir sur l'autre "Trocadéro", sur le premier Trocadéro, celui de 2012 organisé le 1er mai par Nicolas Sarkozy, et conter la petite histoire de la "présence" du Général de Gaulle dans cette campagne présidentielle.

Nous sommes le 24 avril 2012. Les socialistes et le pouvoir médiatique reprochent alors à Nicolas Sarkozy de diviser les Français en organisant un rassemblement le 1er mai, jour de la Fête du travail. La "une" du journal "L'Humanité" ose mettre en parallèle deux portraits, ceux de Nicolas Sarkozy et du Maréchal Pétain. Le soir même, François Hollande est en meeting à Limoges.

 

Dans mes dossiers, je retrouve la note manuscrite que j'ai rédigée ce jour-là, en lui donnant pour titre : "COUP DE COLERE".

La voici, sans y changer une virgule :

"J'ai regardé l'avant-meeting de Hollande à Limoges.

"Les camarades hurlaient : "résister", et entonnaient le chant des partisans. Puisque maintenant, si on n'est pas socialiste, on est pétainiste. Ainsi en ont décidé Mélenchon et le dernier journal communiste d'Europe : "L'Humanité".

"Falsification de l'Histoire !

"Quelle est l'Assemblée qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 ? Sinon l'Assemblée du Front Populaire de 1936. Sinon les ancêtres des socialistes d'aujourd'hui.

"Certes, ils ne sont pas responsables de leurs "glorieux" anciens. Mais, tout de même, un peu de pudeur. Car il ne faut pas oublier que l'abdication de cette Assemblée du Front Populaire a ensuite conduit à la collaboration et à la poignée de mains de Montoire entre Pétain et ... Hitler".

 

Ce même 24 avril, j'adresse un bref "Point de vue" à la presse, qui a publié quelques semaines plus tôt ma tribune "Socialistes : le déni de réalité".

 

En voici le texte :

"1er mai 2012 : NICOLAS SARKOZY DANS LA TRADITION DU RASSEMBLEMENT DU PEUPLE FRANCAIS

"Nicolas Sarkozy vient d'annoncer l'organisation d'un grand rassemblement à Paris, le 1er mai 2012.

"Son initiative suscitant tant de réactions hostiles, voire indignées, il me paraît important de rappeler que, sous la IVème République, pendant les années où il a dirigé le Rassemblement du Peuple Français (RPF), le Général de Gaulle a organisé chaque année une manifestation à l'occasion de la Fête du travail.

"C'est ainsi qu'il prit la parole le 1er mai 1948, au Parc de Saint Cloud, puis les 1er mai 1949, 1950, 1951, 1952, à la pelouse de Bagatelle.

"Le 1er mai 2012, Nicolas Sarkozy pourrait reprendre à son compte ces mots prononcés par le Général de Gaulle le 1er mai 1951 : "Alors que la nation s'apprête à fixer son destin (...) à chaque Française, à chaque Français, je demande son aide et son suffrage (...). Il s'agit maintenant, ensemble, de refaire la France forte, prospère, fraternelle".

 

Ce communiqué n'est pas polémique, il n'a pas la virulence de mon "Coup de colère". Je ne fais que livrer des faits, qui sont évidemment incontestables. Il reste lettre morte ...

M'y attendant quelque peu dans l'ambiance du moment, celle d'une quasi détestation de Nicolas Sarkozy dans beaucoup de milieux, indigné aussi de constater que personne ne répond vraiment aux accusations parfaitement excessives à l'encontre de Nicolas Sarkozy, je décroche mon téléphone et -pour la première, et unique, fois de ma vie- j'appelle le Palais de l'Elysée.

En expliquant le sens de ma démarche, j'obtiens l'adresse e-mail de Franck Louvrier, Conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, puis du secrétariat d'Henri Guaino, Conseiller spécial du Président, et je leur fais suivre ce texte donné à la presse.

Franck Louvrier me répond deux heures plus tard : "Bravo et merci".

Dans les jours qui suivent ce 24 avril, je m'attends à ce que l'équipe de campagne de Nicolas Sarkozy réplique aux partisans de François Hollande. Mais rien ! Je ne vois rien venir. Et je ne comprends pas ce silence assourdissant sur une accusation grossière certes (comparer Sarkozy à Pétain, parce qu'il ose parler un 1er mai), mais qui peut déstabiliser un certain nombre d'électeurs.

Dans la matinée du 1er mai, sous la forme d'un communiqué et avec pour titre : "1er MAI 2012 : SARKOZY COMME DE GAULLE", je reprends l'essentiel de mon "Point de vue" du 24 avril, en y ajoutant une ligne de conclusion : "Voilà la filiation, et ce n'est certainement pas celle de Pétain, comme on l'a dit honteusement". Et je signe : "Alain TRANCHANT, ancien Délégué pour la Loire-Atlantique du Mouvement pour l'Avenir du Peuple Français (Président : Christian FOUCHET) (1), ancien Directeur du Cabinet du Maire de Nantes (1983-1985)".

Peine perdue ! Ce communiqué n'est pas davantage publié que le précédent.

L'après-midi du 1er mai, je regarde devant mon ordinateur le meeting de Nicolas Sarkozy sur la Place du Trocadéro à Paris.

Et, là, je reçois le début du discours de Nicolas Sarkozy comme un choc. Je ressens une très forte émotion.

 

Nicolas Sarkozy commence ainsi son allocution :

"Merci, merci, merci beaucoup ! Du fond de mon coeur, merci !

"Mes chers amis, vous êtes 200 000 ! Vous êtes le peuple de France !

"Ecoutez le Général de Gaulle ! C'était le 1er mai 1950, devant la foule des Français de toutes conditions qu'il avait réunis sur la pelouse de Bagatelle.

"Ecoutez-le parler : "A la bonne heure ! Nous sommes bien vivants ! Il n'est que de nous voir pour être sûr que notre peuple n'est aucunement disposé à terminer sa carrière. Il n'est que de nous voir -disait le Général de Gaulle- pour discerner où les travailleurs mettent aujourd'hui leur espérance. La masse immense que voilà prouve aux insulteurs que rien n'est perdu pour la France".

"Voilà comment parlait le Général de Gaulle, et comment nous parlons aujourd'hui sur la place du Trocadéro.

"Avec le Général de Gaulle, les Français écrivaient l'Histoire. Nous aussi, nous voulons l'écrire face aux insulteurs qui nous ont dénié le droit de parler aux Français le 1er mai, comme s'ils en étaient les propriétaires.

"Le Général de Gaulle nous a montré la voie".

 

Et voilà maintenant la conclusion de Nicolas Sarkozy, toujours en référence au Général de Gaulle :

"Pour finir, écoutons le Général de Gaulle une dernière fois.

"Le Général de Gaulle, toujours ce 1er mai 1950, dans un discours d'une actualité bouleversante :

"Travailleurs -car le Général de Gaulle ne parlait pas des statuts, il parlait des travailleurs. Travailleurs ! C'est avec vous, d'abord, que je veux bâtir la France nouvelle. Quand encore une fois, ensemble, nous aurons gagné la partie, en dépit des excitations des destructeurs et des intrigues des diviseurs, on apercevra tout à coup une nation joyeuse et rassemblée où, je vous en réponds, vous aurez votre digne place. Alors, on verra sortir, des voiles qui le cachent encore, le visage radieux de la France !"

 

"Vous êtes le visage radieux de la France", concluait Nicolas Sarkozy.

Ceci pour la petite histoire, puisque hélas ! la réussite du Trocadéro n'aura pas suffi à inverser le cours des choses, oserai-je dire le cours de l'Histoire.

François Hollande a été élu. Chacun connaît la suite. Celle d'un Président qui n'a même pas été en situation d'être candidat à l'élection présidentielle de 2017.

Au moment où les Républicains sont amenés à faire leur aggiornamento, qu'ils n'oublient pas la formule du Général de Gaulle : "La France forte" certes (slogan de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012), mais aussi "la France prospère, fraternelle". Et la France du "métro à 18 heures", pour reprendre un mot demeuré célèbre, lui aussi, celui d'André Malraux.

 

Alain Tranchant

 

(1) Dans le tome 2, "Les lauriers sont coupés", de ses "Mémoires d'hier et de demain", Christian Fouchet consacre 40 pages à "La grande aventure du Rassemblement du Peuple Français". Il écrit notamment : "Les "grands-messes" de la région parisienne, c'étaient les Vel d'Hiv et les 1er mai", "grande fête populaire sur le terrain d'entraînement du bois de Boulogne" réunissant entre 120 et 150 000 personnes.

 

 

 

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