Un "certificat numérique" pour empêcher les mineurs d'accéder aux sites pornographiques

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FranceSoir
Publié le 08 février 2023 - 14:25
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Certificat numérique pornographie
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Riccardo Milani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Selon Jean-Noël Barrot, à partir de septembre, un « certificat de majorité » devra être exigé avant d'avoir accès au contenu d'un site pornographique.
Riccardo Milani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

“En 2023, c'est la fin de l'accès aux sites pornographiques pour nos enfants”. Le ministre délégué en charge du Numérique Jean-Noël Barrot a annoncé que la France va imposer un outil de vérification de l’âge afin de bloquer aux mineurs l’accès aux sites pornographiques. Un “certificat de majorité” sera instauré en septembre 2023 “pour mettre fin à ce scandale et faire respecter la loi une bonne fois pour toutes”. Un défi à la fois juridique et technique qui ne devrait pas, comme le craignent de nombreux internautes, porter atteinte à leur vie privée, affirme-t-il.

Les contours de ce projet, développé depuis neuf mois, seront dévoilés dans les prochains jours par la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) et l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique). Jean-Noël Barrot a déclaré dimanche 5 février 2023 au quotidien Le Parisien que cette “solution technique” devrait pouvoir “faire respecter les limites d’âge qui existent dans notre droit, mais qui ne sont pas suffisamment respectées en ligne”. La solution est inédite et “la France est la première à la proposer dans le monde”, s’est-il réjoui.

Se contentant actuellement d’afficher sur leur page d’accueil une déclaration sur l’honneur, les sites pornographiques seront “réellement” obligés de contrôler l’âge de leurs utilisateurs. “Ils devront s'y conformer sous peine de voir leur diffusion interdite sur le territoire national”.

Protéger les enfants sans atteinte à la vie privée

La loi prévoit déjà l’obligation pour ces plateformes de vérifier l’âge de leurs utilisateurs. L’article 227-23 du Code pénal punit l’exposition des mineurs à la pornographie. Néanmoins, les systèmes juridiques comme techniques, mis en place jusque-là, se sont révélés inefficaces. Depuis octobre 2021, un décret d’application permet à l’ARCOM de mettre en demeure les sites qui ne se soumettent pas à la loi. L’ex-CSA peut également veiller à la fiabilité du procédé technique “mis en place” par l’éditeur-même des contenus pornographiques.

La législation a toujours été “critiquée” car, de l’avis de l’avocat spécialiste du droit du numérique, Etienne Drouard, les textes prévoyaient que le processus de vérification soit réalisé par les sites. “Ceci impliquait de leur remettre des éléments d'identification d'un internaute”. Il s’agit d’un “problème d'équilibre entre la protection des mineurs et le respect de la vie privée”, affirmant qu’aucun “État démocratique n'a trouvé la solution dans cette configuration-là”.

En 2022, l’ARCOM, après plusieurs mises en demeure, a saisi la justice pour demander le blocage de cinq sites pornographiques pour ne pas avoir interdit l’accès des mineurs. Le procès à Paris a débouché sur une médiation entre les deux parties.

Pour leur défense, les avocats de ces plateformes expliquaient qu’il était “très difficile de trouver une solution satisfaisante de contrôle de l’âge des internautes”. Interrogé par La Croix, Thomas Rohmer, fondateur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN), rappelle que “plusieurs outils de vérification de l’âge existent déjà mais aucun n’a obtenu les faveurs de la CNIL”. Le même dilemme se posait : enfreindre le droit et le respect de la vie privée ou exposer les enfants à ces contenus. “Comment comprendre que la hiérarchisation entre la protection des données personnelles et la protection des enfants se fasse au détriment des enfants ?”.

Parmi les solutions proposées figurait l’utilisation d’une carte bancaire. Une proposition rejetée par la CNIL, car une telle démarche impliquait le transfert d’éléments identifiants aux sites pornographiques.

La CNIL et l'ARCOM, apprend-on, ont sollicité - cela fait presque une année - des sociétés spécialisées pour développer des solutions permettant de confirmer la majorité d’un internaute sans dévoiler son identité. “Cela fonctionnera un peu comme le contrôle demandé par votre banque lorsque vous réalisez un achat en ligne, sauf que ce certificat de majorité sera anonyme”, a affirmé le ministre délégué chargé de la Transition numérique.

Cette attestation numérique sollicitera une application mobile, sur laquelle un internaute souhaitant accéder à un site pornographique devra confirmer sa majorité. Des opérateurs ou fournisseurs d’accès à Internet pourraient être sollicités à cet effet.

Le porno en attendant de cibler d’autres sites ?

“Ce fournisseur d’identité pourrait être public comme FranceConnect, ou privé comme une banque ou un fournisseur d’accès à Internet, qui disposent de l’âge de ses clients”, explique Olivier Blazy, professeur d’informatique à l'École polytechnique, dans une déclaration à La Croix. Cette “instance tierce” serait en mesure de fournir à la plateforme pornographique l’âge de l’utilisateur sans dévoiler son identité. Les opérateurs, quant à eux, ne sauront pas s’il souhaite se connecter à un site pornographique. 

La vérification de l’âge des internautes est un dilemme auquel sont confrontés plusieurs pays occidentaux. Les solutions techniques proposées se montrent souvent intrusives, enfreignant le droit à la vie privée. En Australie, la possibilité de scanner les visages des utilisateurs à l’aide d’une reconnaissance faciale capable d'exprimer leur âge a été proposée. En Louisiane, depuis le mois de janvier, les utilisateurs ne peuvent plus accéder aux sites X sans fournir une copie de leur pièce d’identité.

Dans Le Parisien, l’avocat Etienne Drouard a aussi insisté sur la nécessité d’étendre la solution en France aux autres États membre de l’Union européenne, car “les éditeurs de ces sites ne prendront pas la peine de s'adapter à la douzaine de millions de visiteurs français sur leurs plates-formes”.

Jean-Noël Barrot affirme que “l’attestation numérique” garantit l’anonymat des usagers. Ceci ne rassure pas pour autant des internautes qui craignent que cette solution soit utilisée à des fins de surveillance. “Et demain, ce sera pour accéder à d’autres sites ?”, s’interroge l’avocat Fabrice Di Vizio. Le ministre délégué a d’ailleurs révélé le projet du gouvernement d’étendre ce “certificat de majorité” aux sites de vente d'alcool, “où il faut seulement déclarer sa date de naissance pour acheter”, ou aux réseaux sociaux, “sur lesquels un jeune ne peut s'inscrire qu'à partir de 13 ans avec l'accord expresse de ses parents”.

Sur Twitter, des internautes accueillent ce projet avec enthousiasme et humour, mais également avec inquiétude. Certains expriment une réticence quant à l’efficacité de ce certificat puisque les contenus pornographiques sont également disponibles sur certains réseaux sociaux ou surtout certaines messageries instantanées. D'autres encore font le parallèle entre “certificat numérique” et “passe sanitaire”.

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