Poutine ne cède pas à la provocation à la guerre globale

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Teresita Dussart, pour FranceSoir
Publié le 09 mai 2022 - 21:10
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Le président russe Vladimir Poutine lors d'un discours à l'occasion du 77e anniversaire de la victoire sur l'Allemagne nazie en 1945, le 9 mai 2022 à Moscou
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© Mikhail METZEL / SPUTNIK/AFP
Vladimir Poutine
© Mikhail METZEL / SPUTNIK/AFP

CHRONIQUE — Le 9 mai se célèbre en Russie, la victoire de la « Grande Guerre Patriotique », guerre mondiale par antonomase. En son 77ème anniversaire, cette édition est traversée d’un anachronisme apparent, au travers de la remise en service du terme "nazi" dans le discours officiel russe. Il désigne la familiarité biologique et idéologique des composantes de la plupart des bataillons intégrés à l’Armée régulière ukrainienne avec leurs ancêtres des bataillons nazi de Bessarabie et de l’ouest de l’Ukraine actuelle.

Le traditionnel défilé des troupes sur la Place Rouge, annoncé par les médias mainstream comme un événement à la nord-coréenne, avec un dispositif militaire et balistique de nature à intimider, a vu passer des formations dans un ordre nettement moins opulent qu’au cours des années précédentes. Pas de présentation de nouvel équipement, par exemple, pas de provocations anti-ukrainiennes non plus. Dans le même ordre d’esprit, alors que ces mêmes titres prophétisaient d’une plus que probable annonce de guerre formelle en Ukraine, de la part de Vladimir Poutine, il n’en a rien été.

Poutine a réitéré le motif pour lequel le 24 février l’invasion - "intervention" en terme russe - a été engagée en Ukraine. "Nous nous battons pour nos gens dans le Donbass". Sur l’élément déclencheur de l’opération, il a expliqué : "Nous avons vu de plus en plus de conseillers militaires étrangers venant en Ukraine et l’approvisionnement régulier des armes les plus modernes de l’Otan." C’est l’explication russe, en tous les cas. À prendre en compte dans une analyse, pour pondérer, infirmer ou confirmer d’autres données. Malheureusement, l’accès aux informations russes est censuré par un oukase de l’Union européenne. Il aura fallu ce 9 mai pour avoir un accès direct à un discours de Vladimir Poutine qui ne soit pas édité. 

Les propos de Poutine doivent comporter une part de vérité, car ils rejoignent les aveux de Gabriel Attal sur l’intensité de la fourniture d’armes de la France à l’Ukraine, de 2014 à 2022. Bien d’autres gouvernements affichent ouvertement avoir fourni en armement l’Ukraine, plateforme mondiale du trafic d’armes, alors même qu’une mission d’observation de l’OSCE sur place, au cours de ces huit années n’a rien vu, rien entendu.  

"Le danger augmentait de jour en jour (…) Nous devions faire quelque chose. C’était la seule décision correcte à prendre", a déclaré Poutine. "Nous n’abandonnerons jamais notre amour pour notre pays, notre foi, nos valeurs traditionnelles, nos coutumes ancestrales et le respect pour tous les peuples et cultures. En ce qui concerne l’Occident, il semble qu’il soit déterminé à effacer ces valeurs millénaires ". Poutine a ensuite qualifié la conduite d’Occident de « dégradation morale pavée par le cynisme et la falsification de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, dans une tentative d’inciter à la russophobie, de glorifier les traîtres, de moquer la mémoire des victimes et d’éradiquer le courage de ceux qui se sont battus et ont souffert pour la Victoire ". Il a évoqué les satellites des États-Unis, placés dans une position qu’il définit comme "humiliante", car ils "doivent prétendre qu’ils n’ont rien remarqué, et tout accepter avec obéissance."

Poutine n’a pas fait état des velléités "impérialistes-nostalgiques-de-reconstruction-de-l’Empire soviétique" que lui attribuent les spécialistes de plateau de la Russie. En revanche, il a appelé à "tout faire pour éviter qu’une guerre globale ne se répète."

Résister à l’appel à une guerre globale est un enjeu bien plus critique que de résister aux provocations sur base de tirs de missiles dans le Donbass, à chacune des déclarations de Joe Biden, annonçant que la guerre est pour demain. Selon Viatcheslav Volodin, le porte-parole de la Chambre basse de la Douma, dans des déclarations reprises par l’agence de presse Itar Tass (équivalent russe de l’AFP, tout aussi proche de son gouvernement, quoique son rédacteur en chef ne soit pas nommé, officiellement du moins, par le Premier ministre), l’implication des États-Unis dans le conflit est déjà un fait établi. "Les États-Unis sont impliqués dans la coordination des opérations de combat en Ukraine, et donc, ils participent des actions contre la Russie". Selon Volodin, il s’agit non seulement de l’envoi d’équipement, mais aussi d’actions contre toute tentative de négociation, en dynamitant au travers d’écoutes les canaux d’intelligence par lesquels elles pourraient passer. Il est un fait que les États-Unis ne veulent pas de négociation. Ils ont très mal vécu l’interposition turque. Volodin Zelensky, qui a fait de la mendicité une branche de la géopolitique, utilise la négociation comme épouvantail dans son rapport à Washington. "Arme et argent ou négociation de paix, vous choisissez". En substance, tel est le dilemme, et ça marche.  

Outre les informations provenant de la Pologne devenue la base arrière en matière d’équipement militaires de l’Ukraine, celles de la propre voix de leaders européens, tels que Boris Johnson, lequel assume depuis longtemps verbalement la fourniture en armes offensives à l’Ukraine accompagnées d'instructeurs, il y a la dimension politique. Ursula von der Leyen a récemment déclaré que l’Union européenne "voulait la victoire de l’Ukraine". L’Union européenne a pris parti dans ce qui pour les Russes est de depuis le début, une opération pour protéger les populations du Donbass, limitée à la zone sous tension. Le bloc régional a tout fait pour installer l’idée d’une guerre entre deux nations avec un agresseur et une victime nets, dans le cadre d'un conflit qui démarre en 2022 et non pas 2014.

Tous les éléments de langage de la part des États-Unis et de ses alliés appellent à une extension de ce conflit ultra local, vers un développement de guerre globale, de la part des acteurs occidentaux. Le mot "paix" ou "désescalade" n’est jamais prononcé. En revanche, entre la conférence des donateurs pour l’Ukraine, les aides bilatérales, celle des États-Unis, de l’Union européenne, un monstre a été créé dans une des républiques considérées comme les plus corrompues et promptes à tous les trafics. Pourquoi ce si intense effort, et cette différence de traitement comparé à d’autres nations en conflits ouverts ? Car l’Ukraine ne fait pas partie de l’Otan et pas un pas n’a été franchi depuis le 24 février dernier en vue de son intégration, pas plus que depuis 2014.

Un analyste d’intelligence, militaire en poste jusque récemment à l’Otan, "les Etats-Unis ne peuvent assumer politiquement de déclarer une guerre", déclare-t-il à FranceSoir. "L’idée est donc de créer les conditions, armer l’Ukraine, jouer sur une forme d’exaspération russe, d’asphyxie économique, de sentiment de frustration national. Cette déclaration de guerre doit impérativement être formulée par Poutine". Démarrerait alors ce qui serait le vrai jeu américain dont le rôle central serait réservé à la Pologne.

Le problème est que les États-Unis sont de piètres joueurs d’échec. Le résultat de leurs aventures est inversement proportionnel au degré de sophistication de l’armement dont ils disposent et des médias qui relaient sans le moindre début de commencement de doute, la fiction imposée. Une fois de plus, cette histoire va très mal se terminer. Pour l’instant - le discours aujourd’hui de Vladimir Poutine le conforte, bien que l’Occident mène une guerre de basse intensité sous forme de coalition internationale à tous contre un, cela reste unilatéral. Depuis Moscou, il continue à s’agir d’une intervention ponctuelle et locale, tout en prenant acte de l’implication concrète d’une coalition active opérationnellement. Si Poutine perd son sang-froid et entre dans le jeu de Biden, il y aura une troisième guerre mondiale. Et elle ne sera pas de basse intensité.

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