Un sondage contradictoire sur l’Ukraine
CHRONIQUE — Le 29 juin dernier, le Wall Street Journal a publié un article sur un sondage effectué par téléphone auprès de la population ukrainienne sur la guerre qui affecte leur pays.
Cette étude a été mise en œuvre par le National Opinion Research Center de l’université de Chicago, auprès d’un échantillon de 1005 adultes sélectionnés via leurs numéros de téléphones – d’où ont été exclus les habitants de Crimée et du Donbass non contrôlé par l’Ukraine à la date du 24 février, soit quelque 6 millions de personnes officiellement considérés comme Ukrainiens par l’Ukraine elle-même. La précision d’emblée est importante.
« 89% des Ukrainiens sondés contre la cession de territoires en échange de la paix »
C’est l’information principale de ce sondage, légèrement exagérée, qu’a mis en avant le Wall Street Journal, avec le fait que 78% des sondés approuvent la gestion de la guerre par leur président, et 84% lui font confiance en général. Le président russe bénéficiant d’un taux d’approbation tout aussi haut, les auteurs de l’étude soulignent qu’aucun des deux chefs d’État ne subit la pression de son peuple pour faire la moindre concession pouvant mener à un règlement du conflit. Il n’y a donc pas de perspective de paix, ni même de cessez-le-feu à court terme, et cela semble même peu probable à moyen terme.
Le président Zelensky et son entourage ont récemment réaffirmé qu’il n’y aurait pas de négociations avec la Russie tant que la totalité du territoire ukrainien, Crimée incluse, ne sera pas « libérée ». Est-ce le leadership ukrainien qui influence son peuple ou l’inverse ?
Coresponsabilité de l’Ukraine et des Occidentaux dans le conflit
Le média africain francophone Ebene Media TV, par lequel on m’a fait initialement découvrir ce sondage, en a retenu un message différent. Pour eux, l’information principale est qu’une majorité des sondés ne blâment pas uniquement la Russie pour cette guerre (85%), mais aussi leur gouvernement (70%), les États-Unis (58%) et l’OTAN (55%).
Comment 78% des sondés peuvent-ils approuver la conduite de la guerre par Zelensky et le rendre coresponsable à 70% de cette même guerre ? Voilà un mystère. S’agit-il d’un réflexe de solidarité nationale face à l’invasion russe, malgré les erreurs passées ? Cela veut-il dire qu’ils ont souhaité la guerre ? Beaucoup de nationalistes, notamment dans l’armée, ne rêvaient que de ça, un scénario à la croate, se référant à l’opération Storm de 1995, une guerre-éclair de 3 jours pour récupérer les territoires perdus. Sauf qu’ils se voyaient prendre l’initiative, attendant le bon moment. L’adhésion à l’OTAN était perçue comme le parapluie ultime pour une offensive majeure. Et, c'est bien ce que craignaient les Russes.
D’ailleurs, 35% des sondés rendent aussi coresponsables du conflit les « nationalistes d’ultra-droite ukrainiens », ceux-là même dont on nous dit en Occident, soit qu’ils n’existent pas, soit que leur influence est négligeable. C’est bien mal connaitre l’Ukraine. La réalité est que leur idéologie, à travers menaces, intimidations, violences et suractivité médiatique, a imprégné l’Ukraine jusque dans les médias dominants, jusqu’au sommet de l’État. En avril 2019, Zelensky, alors en campagne électorale, déclarait que vénérer Stepan Bandera – pourtant responsable du massacre de dizaines de milliers de civils Polonais et juifs - est tout à fait acceptable, « normal et cool ». Mais l'Ukraine, pays récent à la culture démocratique très superficielle, n’a jamais fait l’aggiornamento de son histoire. Et aujourd’hui, elle la réécrit pour servir la cause de la défense nationale contre l’ennemi russe honni. Et pour ne pas se mettre à dos une partie importante et puissante de son peuple, un futur président juif en arrivait à réhabiliter un tueur de juifs.
Quant à la question de blâmer les États-Unis ou l’OTAN, elle est à double-face. Les gens reprochent-ils à l’Occident de ne pas en avoir fait assez pour inclure l’Ukraine une bonne fois pour toutes dans l’OTAN, ou en annonçant que les troupes américaines n’interviendraient pas en cas d’invasion russe ? Ou bien reprochent-ils aux Américains d’en avoir trop fait, en prônant officiellement vouloir intégrer l’Ukraine dans l’OTAN, malgré les avertissements répétés de la Russie d’abandonner une telle perspective ? Sans oublier que cette politique de la porte ouverte n’était pas sincère, comme l’a affirmé l’ancien ambassadeur américain en Russie Michael McFaul, et que l’organisation n’avait dans le fonds aucune intention d’y laisser entrer l’Ukraine, certains pays membres y étant opposés, mais sans oser le dire publiquement.
Quand on lit plus bas dans le sondage les taux d’approbation des différents pays, on voit qu’il reste très élevé pour les États-Unis. Nouvelle contradiction apparente : si 58% des sondés estiment que les USA ont une responsabilité dans cette guerre, 73% sont satisfaits de l’aide donnée par ce pays, contre seulement 27% pour la France ou 22% pour l’Allemagne. Les États-Unis semblent avoir remporté leur pari de faire basculer l’Ukraine dans leur camp, un projet sur lequel ils travaillent activement depuis au moins 15 ans, d’après Scott Ritter, un Américain ancien inspecteur des armements, critique de la politique des États-Unis. L’intervention de la Russie en Ukraine, dont certains comme le journaliste d’investigation Lee Stranahan, pensent qu’ils l’ont savamment provoquée, a amplifié et accéléré le mouvement de manière certainement durable, voire irrémédiable.