Nuisances sonores aériennes : que fait Clément Beaune pour les deux millions de Parisiens ?

Auteur(s)
Corine Moriou*, pour France-Soir
Publié le 15 août 2023 - 09:30
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Aéroport
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Philippe Lopez
Aéronefs Air France sur le tarmac à Roissy-CDG.
Philippe Lopez

ENVIRONNEMENT/ENQUÊTE - Les Parisiens vivent un cauchemar. Toutes les trois minutes, un gros-porteur décolle de Roissy et survole la capitale. La faute à qui ? À des nouveaux logiciels d’Intelligence Artificielle (IA) et à l’utilisation intensive des pistes sud, entre autres… À ce jour, Clément Beaune, le ministre des Transports, n’a pris aucune décision pour revenir à une situation normale. Un silence assourdissant.  

"J’ai l’impression de vivre dans un avion. Il m’est impossible de trouver le sommeil avant une heure du matin, car les vols d’Air France et de FedEx sont de plus en plus nombreux à survoler Paris la nuit", déplore Norbert qui vit près du Sacré-Cœur.  

"Je ne peux plus ouvrir mes fenêtres l’été, se lamente Florence, une habitante du 17e arrondissement à Paris. Toutes les trois à cinq minutes, j’entends un avion qui passe dans le ciel. Mon cardiologue m’a prescrit un traitement pour l’hypertension et le stress. Je n’en peux plus, j’envisage de déménager !"  

Des témoignages parmi tant d’autres. On connaissait le désespoir des riverains des aéroports. Maintenant, ce sont les Parisiens qui sont affectés par les nuisances sonores. Jamais ils n’auraient imaginé vivre un tel enfer à 23 kilomètres de Roissy-CDG (à partir du nord-est de Paris).  

Les Parisiens ont tiré la sonnette d’alarme auprès de Clément Beaune, Ministre délégué chargé des Transports, lors de la mobilisation qui s’est tenue devant le ministère de la Transition écologique, le 9 mai dernier, avec une cinquantaine d’élus et d’associations de riverains.

Dans un courrier daté de ce même jour, il a été demandé que la voix des Parisiens soit entendue.  

La réponse du 11 mai n’était pas spécifiquement adaptée à la situation des habitants de la capitale : "D’ici l’été, des études d’impact vont être lancées à très court terme en accélérant le calendrier initialement établi. Cette démarche permettra d’établir et d’analyser plusieurs scénarios de restrictions complémentaires sur les aéroports franciliens (plafonnement, couvre-feu, etc...)." 

Après le nord de la capitale, les habitants de la rive gauche subissent le vacarme aérien 
flightradar

Aux riverains des aéroports, s’ajoutent désormais deux millions de Parisiens en colère. Au départ, les arrondissements du nord de Paris étaient plus particulièrement touchés.  

Désormais, les habitants de la rive gauche (6,7,14,15,16e arrondissements) sont aussi impactés par les nuisances sonores. Cela fait du monde… Beaucoup de monde.  

Et pendant ce temps à 5,5km à vol d’avion de l’aéroport : "Je n’entends plus d’avion. Je croyais qu’il y avait une grève aérienne", s’amuse à raconter l’occupant d’une maison près de Goussainville, une commune du Val d’Oise au bout des pistes du terminal 1.  

Le prix de l’immobilier à Paris va-t-il s’effondrer, la capitale devenant invivable avec ce trafic aérien incessant ?  

Il s’agit d’un phénomène nouveau qui remonte à l’automne 2022. Les Parisiens subissent les nuisances sonores des gros-porteurs qui décollent de Roissy à basse altitude, de jour comme de nuit.

À lire : Les décollages de Roissy cassent les oreilles des Parisiens (18/12/2022)

Dans une tribune du Monde en décembre dernier, plus de 300 professionnels de la santé ont dénoncé les bruits aériens qui causent de nombreuses maladies et entraînent un surcroît de mortalité.  

Stop à l’utilisation intensive des pistes du doublet sud à Roissy  

 

passagers
 76 millions de passagers par an à Roissy-CDG (DR)

Petite leçon d’anatomie de l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle. Roissy-CDG a été inauguré en 1974 et s’est progressivement agrandi au cours des dernières décennies. L’aéroport dispose d’un doublet de pistes au nord et d’un doublet de pistes au sud. Sur chaque doublet, une piste est réservée aux décollages, une autre piste aux atterrissages.  

Le doublet nord dessert les Terminaux 1 et 3 tandis que le doublet sud correspond à l’exploitation des terminaux 2A,2B,2C,2D,2E,2F.

En 2011, Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, avait acté que le doublet nord et le doublet sud devaient être utilisés de manière équitable à 50/50.  

Il semble que cet équilibre ne soit plus respecté. Le doublet nord est nettement moins utilisé que le doublet sud. Quelles en sont les causes ? Les Terminaux 1 et 3 seraient-ils boudés par les compagnies aériennes ? Pas assez modernes, moins prestigieux ?  

Le trafic aérien est aujourd’hui majoritairement opéré sur le doublet sud, plus proche de Paris que le doublet nord. De ce fait, les mouvements sur le doublet sud touchent un grand nombre de citadins par rapport aux zones du nord nettement moins peuplées.

"Il est certain que l’utilisation des pistes du doublet nord impacte moins d’habitants, surtout ceux qui vivent dans le nord du Val-d’Oise, le sud de l’Aisne et le nord de la Seine-et-Marne", reconnaît un haut fonctionnaire du ministère des Transports sous couvert d’anonymat.  

Certes, il y a eu des travaux aux terminaux 1 et 3, mais ces terminaux ont réouvert respectivement le 1er décembre 2022 et le 31 octobre 2022. Puis, il y a eu la fermeture de la piste sud du doublet nord pour des travaux du 15 juillet au 30 octobre 2022.  

On pouvait espérer qu’après ces travaux, il y ait un "retour à une situation normale". Mais non. Le trafic aérien au-dessus de la capitale est toujours aussi infernal. Résultat : Les habitants de Paris, de l’ouest de la Seine-Saint-Denis et du nord des Hauts-de-Seine sont plus particulièrement impactés.  

Certains d’entre eux ont déposé des plaintes auprès des organismes habilités à les recevoir : la DSNA (Direction des services de la navigation aérienne), l’ACNUSA (Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires), l’ADP (Aéroport de Paris), ADVOCNAR (Association de défense des nuisances aériennes de Paris-CDG et de Paris-Le Bourget) à partir de l’automne 2022. En vain.  

Avec les travaux du 16 juillet au 6 novembre 2023 sur le doublet nord, le ballet des avions au-dessus de Paris est à son comble. On aimerait qu’il ne s’agisse que d’un épisode provisoire. Mais il est permis d’en douter.  

Les chiffres de la DSNA sont-ils le reflet de la réalité ? 

Ainsi, les infographies relèvent qu’entre 22h et 6h du matin, le doublet sud peut être utilisé certains mois à hauteur de 60% (62 % pour juillet 2023). Cela veut donc dire que le doublet sud est déployé de manière très intensive certains jours. Hélas, la DSNA ne donne pas de chiffres journaliers.  

On attend avec impatience les chiffres de la DSNA du premier semestre 2023 (période sans travaux du 1er janvier au 30 juin 2023) - indisponibles à ce jour - que l’on pourra alors comparer à la situation avant la pandémie, soit le premier semestre 2019. Des chiffres fort intéressants pour comprendre les nuisances sonores aériennes au-dessus de la capitale.  

OptiClimb casse les oreilles des Parisiens : au secours Elon Musk !

Il n’y a pas que ChatGPT qui fait des victimes. Des outils basés sur l’IA seraient l’une des causes de ce ramdam au-dessus de Paris.  

En mars dernier, nous avions interviewé Laurent Lafontan, directeur du Développement des Opérations Aériennes chez Air France. Il nous avait expliqué avec un parti pris assumé : "Les pilotes d’Air France ont été formés à l’éco-pilotage. Dans ce contexte, ils utilisent OptiClimb pour optimiser leur consommation de kérozène lors des décollages."

Concrètement de quoi s’agit-il ?  

OptiDirect, OptiFlight et OptiClimb sont des logiciels qui ont été conçus par la société Safety Line, fondée par Pierre Jouniaux en 2011 et vendue, 10 ans plus tard, au groupe SITA, le premier spécialiste mondial des technologies de l’information et des télécommunications pour le transport aérien.  

Vive la "Start-up nation" ! Chaque logiciel a sa spécificité.  

Avec SITA OptiClimb, les aéronefs les plus modernes montent selon une pente différente et font leur premier virage avec une accélération plus forte. De ce fait, ils survolent plus systématiquement les arrondissements du nord de Paris lorsqu’ils partent à l’Est et sont particulièrement sonores.  

Ils sont alors à une altitude comprise entre 2.000 mètres (6.500 pieds) et 3.000 mètres (9.800 pieds). Mais ils cassent les oreilles des Parisiens !  

Ce n’est qu’à partir de 5.000 mètres (soit 16.000 pieds) que les gros-porteurs ne causent plus de nuisances sonores.  

Y aurait-il une nouvelle règle implicite entre la DSNA et les compagnies aériennes permettant à celles-ci de survoler très souvent la capitale à basse altitude - toutes les trois à cinq minutes - alors qu’avant l’automne 2022 le survol de Paris était l’exception ? Cela n’est écrit nulle part, mais tout indique que cette pratique est effective.  

Certes, il est louable de vouloir économiser du carburant. Mais la contrepartie est chèrement payée par la population : insomnies, apnées du sommeil, stress, dépressions, problèmes cardiovasculaires, asthme, absentéisme, burn-out, échecs scolaires, surmortalité… C’est un problème de santé publique majeur - avec un coût pour l’ensemble de la collectivité - que l’opérateur tricolore semble avoir occulté avec la bénédiction de la DGAC, la Direction Générale de l’Aviation Civile. Money is money... 

Est-ce le début d’une dystopie où les citoyens sont privés de la possibilité de mener une "vie normale" dans la journée et de dormir la nuit ?  

Vous l’avez compris, ces outils de Big Data et d’IA sont largement commercialisés pour équiper les flottes d’avions. Résultat : les compagnies aériennes gagnent des dizaines de millions d’euros par an sur le carburant et… font bien des malheureux. Don't look up !   

Au secours Elon Musk. Faites signer une pétition avec des experts, des scientifiques et des médecins du monde entier pour barrer la route à cette IA qui rend les gens fous. Elle constitue à court terme "un risque majeur pour la bonne santé d’une grande partie de la population".  

Au-dessus de Paris, des trajectoires raccourcies systématiquement à l’Ouest pour repartir vers l’Est... Cherchez l’erreur  

Au départ de Roissy, les aéronefs font des boucles vers l’Ouest pour décoller selon une configuration face au vent. Puis, ils survolent principalement les arrondissements du nord de Paris, pour ensuite partir vers des destinations à l’Est. Autre cas de figure : ils traversent Paris pour aller vers des destinations au sud.  

Dans un courriel aux plaignants, quelle que soit leur localisation dans Paris, la DSNA précisait, en novembre 2022 : "Il n’y a eu aucune modification de trajectoires ou d’altitudes, les survols de ce secteur sont tout à fait conformes au dispositif de circulation en vigueur en région parisienne. … En moyenne statistique, la configuration face à l’Ouest (vent d’Ouest dominant en région parisienne) est établie à 60% du temps sur une année." 

Mais les chiffres de la DSNA pointent une configuration face à l’Ouest à 73% en janvier, 77 % en mars 2023, 89 % en juillet 2023.  

Depuis le début de l’année 2023, il est rare de pouvoir profiter d’une journée sans bruit aérien au-dessus de la tête.  

Il n’y aurait donc plus (ou très peu) de départs de Roissy face à l’Est ? Comment expliquer un tel revirement ? La météo aurait-elle changé en Ile-de-France ? Est-ce le fameux changement climatique qui chamboule la doctrine de l’administration française ? Nous sommes preneurs de toutes explications.  

Interdire le survol de Paris : une mesure indispensable à la veille des Jeux Olympiques  
taxis volants
Des taxis volants survoleront la capitale pendant les JO… et après. (DR)

D’autres pistes sont à l’étude. Sans jeu de mots… L’heure n’est pas à la rigolade. On a plutôt envie de pleurer.

Une solution consisterait à interdire le survol de la capitale par les gros-porteurs qui sont les plus bruyants (comme les Boeing 777, Boeing 737, Airbus A319, A 320, A321, A330, A380, A350) dès lors qu’ils sont à moins de 5.000 mètres d’altitude. 

La réglementation actuelle interdit à un aéronef de survoler la capitale et son périphérique en deçà de 1.981 mètres d’altitude, soit 6.500 pieds. Cette règle est respectée par les compagnies aériennes. Quoique des Parisiens ont parfois le sentiment que l’aile d’un avion va frôler le toit de leur immeuble tellement il est proche !  

Il faut se référer à un arrêté interministériel du 20 janvier 1948 (modifié par un arrêté du 21 février 2018 portant création d’une zone interdite LF-P 23) pour trouver le détail de cette réglementation. Ce texte ancien aurait besoin d’être toiletté pour l’adapter aux évolutions du trafic aérien. Remontons dans le temps.  

C’est en 1961 que l’aéroport d’Orly a été créé. Aujourd’hui, il accueille 29 millions de passagers, 600 mouvements par jour, soit environ 220.000 mouvements sur l’année.  

En 1974, l’aéroport de Roissy est venu porter renfort à Orly submergé par la demande touristique. Paris-CDG est le plus grand aéroport européen, un monstre tentaculaire qui reçoit 57,5 millions de passagers (76 millions en 2019), 1.300 vols par jour, soit environ 500.000 mouvements sur l’année.  

Il occupe la deuxième place aéroportuaire en Europe pour les passagers internationaux derrière Londres-Heathrow.  

Gilles Leblanc, Président de l’ACNUSA, propose une mesure phare  : "La règle des 2 000 mètres correspond à une réglementation ancienne qui ne tient pas compte des nuisances sonores qui se sont nettement amplifiées. A l’occasion des Jeux Olympiques 2024, il conviendrait de relever ce seuil minimum, notamment pour des raisons de sécurité que l’on comprend aisément. Mais ce seuil devrait aussi être relevé pour des raisons sanitaires et environnementales."  

L’ACNUSA et ses sages seront-ils entendus par Clément Beaune ? Les Parisiens s’inquiètent de ce survol incessant au-dessus de la capitale. À tout moment, le pire pourrait arriver. Il faut croiser les doigts pour qu’il n’y ait pas de tragédie aérienne pendant les Jeux Olympiques. La catastrophe des Twin Towers, liée aux attentats du 11 septembre 2001, a marqué les esprits.  

"Avec les JO, il y aurait une 'fenêtre d’opportunité' à ne pas manquer pour relever le seuil de survol de Paris. Cela concerne des zones exposées comme la capitale, mais aussi le village olympique, le stade de France et le centre aquatique en Seine-Saint-Denis. Par cette réforme, Emmanuel Macron laisserait une marque de son quinquennat dans le ciel aérien", note un proche du ministre de l’Intérieur.  

Une chose est sûre, les Parisiens sont priés de quitter la capitale s’ils ne veulent pas que leur tranquillité soit perturbée. Aux avions au-dessus de Paris vont s’ajouter les taxis volants à 300 mètres d’altitude. Bonjour les nuisances sonores !  

Gageons que Clément Beaune n’est pas dupe des informations qu’on lui distille. Une chose est sûre : sa meilleure décision serait d’imposer que les gros-porteurs qui décollent face à l’Ouest utilisent le doublet nord. Ainsi, il satisferait à l’intérêt du plus grand nombre d’habitants du Grand Paris. À suivre…

*Corine Moriou est journaliste indépendante, Grand Reporter.

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