Manifestations : les arrestations abusives condamnées

Auteur(s)
Hédy Sellami pour France-Soir
Publié le 21 mars 2024 - 14:16
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Manifestants
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F. Froger / Z9
Arrestation lors de la manifestation du 1er mai 2021
F. Froger / Z9

La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a jugé qu'emmener des manifestants au poste de police, peut constituer une privation de liberté. Selon les cas, cette privation peut être justifiée ou non.

Le 1er mai 2011, en Suisse, après une manifestation, la police instaure un cordon encerclant de nombreux individus (technique dite de l'encerclement, ou kettling, ou confinement, ou encore nassage). L'identité de plusieurs personnes est vérifiée sur place. Elles sont ensuite conduites en fourgon au poste de police. Leurs mains sont entravée par des menottes attache-câble, puis ces personnes sont placées dans des cellules de masse. La police justifie ces mesures par la nécessité de procéder à des contrôles d'identité plus poussés. Elle met également en avant le fait que, les années précédentes, des manifestations non autorisées ont entraîné des violences. Or, justement, ce 1er mai 2011, des manifestants dissimulaient leur visage, pendant que des groupes d'extrême-gauche appelaient à des débordements.

Saisie, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) devait répondre à deux questions (CEDH, Arnold et Marthaler contre Suisse, 19/12/2023, n° 001-229373) : l'encerclement, puis la retenue au poste de police, constituent-ils une privation de liberté au sens où l'entend l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme (ConvEDH) ? Et, en l'espèce, étaient-ils justifiés ?

Le kettling

La CEDH décide au cas par cas si l'encerclement des manifestants sur la voie publique, constitue ou non une privation de liberté. Cela peut être le cas, mais pas nécessairement. Cela résulte notamment de son arrêt "Austin et autres c. Royaume-Uni", 15/3/2012, n° 001-109582. Concernant ce 1er mai 2011, la Cour ne s'est finalement pas prononcée pour déterminer si le kettling avait constitué une privation de liberté (1).

La Cour rappelle cependant qu'une telle privation peut être constituée même si l'individu n'est ni menotté, ni maîtrisé physiquement, ni incarcéré ou placé en cellule (CEDH, M.A. contre Chypre, 23/7/2013, n° 001-123351). Pour déterminer s'il y a privation de liberté, il faut tenir compte de plusieurs critères, notamment le genre, la durée, les effets et les modalités d'exécution de la mesure prise contre l'individu. Il faut évaluer aussi le degré de coercition quand la police interpelle ou fouille la personne.

Détention au poste de police

La CEDH juge que, ce 1er mai 2011, la retenue d'individus au poste de police a bien constitué une privation de liberté au sens où l'entend la CEDH. Elle invoque en particulier la durée de cette retenue : 2h30 pour une personne, et 3h30 pour une autre, après que ces dernières eurent été confinées dans le cordon de police sur la voie publique.

La CEDH considère que, dans certains cas, la privation de liberté à l'encontre de manifestants, peut être justifiée, mais, dans d'autres cas non.

Tout d'abord, l'une des dispositions légales invoquées par la Suisse pour légitimer la détention, ne mentionnait pas spécifiquement ladite détention en tant que mesure propre à maintenir la sécurité et l'ordre publics. Dès lors, la retenue au poste ne pouvait pas se baser sur cette disposition légale.

Ensuite, la Cour reconnaît aux autorités le droit de procéder à un contrôle d'identité en deux étapes : d'abord, sur la voie publique ; puis, une vérification plus poussée au poste de police. Mais, encore faut-il que cela soit nécessaire. Or, en l'occurrence, selon la CEDH, le contrôle d'identité plus poussé ne nécessitait pas d'emmener les gens au poste ; il était possible de transmettre leurs noms par radio au dit poste, afin qu'il se charge d'une investigation plus étendue.

Enfin, les individus emmenés dans les locaux de la police n'avaient pas l'intention de participer aux violences. Ils ne se trouvaient d'ailleurs pas à l'endroit où des signes laissaient présager de problèmes.

En l'espèce, donc, les deux citoyens avaient bien subi une privation de liberté, qui plus est injustifiée. Dans d'autres affaires, aux circonstances différentes, ce ne serait pas obligatoirement le cas.

Dommages-intérêts

Quand la retenue au poste de police constitue une privation de liberté, les citoyens doivent bénéficier de toutes les garanties prévues par l'article 5 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, et notamment celles-ci :

  • Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas prévus par l'article 5, et uniquement en respectant les voies légales
  • Un individu peut notamment être privé de sa liberté en vue de garantir l'exécution d'une obligation légale
  • L'individu peut être arrêté et détenu pour être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction, ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci
  • Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention, a le droit d'introduire un recours devant un tribunal. Ce dernier doit statuer dans les plus brefs délai sur la légalité de la détention. Il doit ordonner la libération si la détention est illégale
  • Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de l'article 5, a droit à réparation (2)
  • Toute personne arrêtée doit être informée des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. Cette information doit intervenir dans le plus court délai.

     

(1) L'un des justiciables avait été coincé par le cordon de police sur la voie publique pendant 1 heure, l'autre pendant 2h30.

(2) Dans l'affaire présente, les deux justiciables ont obtenu des dommages et intérêts : 2 000 euros chacun pour préjudice moral, plus 10 000 euros pour frais de procédure alloués conjointement. A ces sommes, s'ajoutent les montants que les impôts leur réclameraient dessus.

Diplômé en droit, Hédy Sellami est journaliste et juriste. Il a écrit pour un mensuel juridique, la rubrique juridique d'un hebdomadaire, pour une maison d'édition spécialisée en droit social, et pour des sites de conseils juridiques aux citoyens. Il est également l’auteur d’un ebook brossant les aspects légaux qui concernent la vaccination. 

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