Comment l'Union Européenne veut contrôler l'information grâce aux Big Techs. Partie 4) La dépendance des médias et l'avènement du fact-checking

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Gilles Gianni, France-Soir
Publié le 09 juin 2023 - 11:00
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journalisme digital
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Photo de Marvin Meyer sur unsplash.com
Une influence pernicieuse des Big Techs s’est traduite par l'avènement d'un journalisme "low cost" qui s'est implanté au cœur des rédactions.
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Enquête en plusieurs parties - Comment l'Union Européenne veut contrôler l'information grâce aux Big Techs. Du fact-checking aux agences de renseignements américaines : aux origines d’une prison digitale.

INTRODUCTION - Pendant la crise du Covid-19, les principaux médias français ont relayé, sans réelle distanciation, la communication gouvernementale et les positions de l'industrie pharmaceutique. La défense des confinements et du “tout-vaccin” est devenue un axiome inattaquable, défiant toute approche scientifique raisonnable et équilibrée. Au lieu d'enquêter, de vérifier et de varier les sources afin de nourrir un débat contradictoire, des cellules de "fact-checking", intégrées au sein des rédactions de presse et financées par les Big Techs, ont court-circuité le rôle du journaliste et ont torpillé tout débat critique et complexe. Sous prétexte de lutte contre la désinformation, ces partenariats invasifs ont été appuyés par l'Union Européenne, y compris avec des subventions. Ils font apparaître un nouveau mécanisme capable d’influencer les opinions publiques sur n’importe quel sujet. En coulisses, d’autres acteurs troubles modèlent l’information, des think-tanks mais aussi diverses agences internationales du renseignement. Au sein de ce décor, le journalisme se transforme peu à peu en un inquiétant outil de contrôle et de surveillance des idées, avec des velléités de museler la liberté d’expression. L'Europe est-elle en train de devenir une prison digitale de l'information ?

PARTIE 4 - La toile d'araignée des dépendances aux Big Techs s'est aussi développée autour des médias, de façon implacable. Avant l'arrivée des GAMAM-BATX, l'état de santé du monde de la presse était déjà dégradé. La concentration des acteurs de l'information dans les mains d'une poignée de milliardaires, qui possèdent environ 90% des journaux, radios et télévision a entraîné une peu regrettable uniformisation des lignes éditoriales.

Conséquences : verrouillage de nombreuses enquêtes, la fin des débats de fond, traitement partial des mouvements sociaux et, in fine, désamour du public et méfiance généralisée envers les journalistes, devenus des “communicants”. 

Grasses subventions étatiques

Pour faire face à la chute des tirages de la presse papier, de grasses subventions étatiques, sous la forme de divers plans d'aides, ont été versées, notamment sous la présidence Macron. Si cet argent a permis aux heureux propriétaires de magazines spécialisés dans la critique de la dépense publique (cherchez l'erreur) de faire de belles économies, elles représentent un obstacle à l'indépendance du secteur. Et un troisième "baiser de la mort" allait être accepté par les médias, celui des dons et contributions financières diverses des Big Techs. 

Facebook (Meta) a tout d'abord entretenu un partenariat de financement de la presse, à la hauteur de plusieurs millions d'euros, avec Libération, Le Monde, 20 Minutes, L'Express, BFM, l'Agence France Presse, France Télévisions, TV5 Monde, France 24, et RFI. Le milliardaire Bill Gates, historiquement lié à Microsoft et artisan d'une philanthropie très... profitable a quant à lui versé plus de 3 millions d'euros en 5 ans au Monde. Autre exemple, en 2012, Google, pour éviter les affres d'un redressement fiscal en France a fondé un "fonds d'aide au développement de la presse écrite" pour soutenir le journalisme "grâce aux technologies et à l'innovation" d’un montant supérieur à 6 millions d'euros, qui aura bénéficié à plus de 20 médias. 

Ces liens entre presse et Big Techs, industriels ou pouvoirs politiques, entraînent mécaniquement l’impossibilité d’une critique libre. Comment un journaliste du Monde pourrait-il désormais mettre en doute le bien-fondé des nouveaux business médicaux de Bill Gates, ou s'interroger de façon impartiale sur sa place devenue incontournable au sein de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ?

L'influence des Big Techs sur le monde médiatique ne tient pas seulement à des sommes d'argent et à l'achat d'encarts publicitaires, qui appellent des renvois d'ascenseur directs ou indirects. La dépendance est aussi technique, liée aux référencements et aux mesures d'audience, qui conditionnent la fabrique de l'information, ordonnent son tempo. Une autre influence bien plus pernicieuse qui s’est traduite par l'avènement d'un journalisme "prémâché" et "low cost", qui s'est implanté au cœur des rédactions. 

Ubérisation de l'information

Avatar de cette ubérisation de l’information, le "fact checking", souvent alimenté par de jeunes journalistes sans expérience, corvéables et manipulables à merci, (anciens collaborateurs du monde des jeux vidéos, de milieux conspirationnistes ou liés à l'ufologie...) sans réelles qualifications. Son danger réside essentiellement dans la fabrication des croyances de masse : du haut d'un petit article avec trois photos barrées de rouge, le "fact-checker" décrète ce qui est vrai et ce qui est faux. 

Cette négation du doute amène un rejet organisé du débat, de la disputatio scientifique à la pluralité des lectures politiques, en rendant l'approche de sujets complexes binaire et superficielle. Schéma classique du "fact-checking" : une question est posée, un élément d'une vaste problématique est isolé; la réponse donnée est alors biaisée, partielle, voire partiale. 

Durant la crise sanitaire, il est saisissant de constater que ces "rubriques" ont défendu systématiquement la parole gouvernementale. Toute critique, même construite et argumentée, de la gestion du Covid par l'exécutif a été étouffée, dénigrée, tournée en ridicule.

Utilisant essentiellement l’attaque ad hominem pour discréditer des idées en visant des individus, défendant une certaine vision de la science, le fact-checking a collé aux intérêts des laboratoires pharmaceutiques.

Par exemple en défendant l'idée, sans prise de distance, que les études en Evidence-Based Medicine (EBM, cette méthode utilisée par l'industrie avec ses moyens financiers considérables), étaient l'alpha et l'oméga de la recherche clinique et scientifique. Un parti pris qui n'empêche pas les nombreux biais possibles au sein de ce type d'étude.

Ainsi, le fact-checking a notamment attaqué, un institut de recherche français de référence, des sommités scientifiques et médicales mondiales, des prix Nobel français et japonais... qui refusaient d'entrer dans ce carcan.

Cette approche est en pleine adéquation avec la vision idéologique de la santé promue par les Big Techs et soutient leurs intérêts commerciaux. Des éléments qui seront abordés dans une partie ultérieure.

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