Twitter Files, partie 11 (et 12)  : comment le réseau social est passé sous la coupe des services étasuniens du renseignement 

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FranceSoir
Publié le 01 février 2023 - 11:40
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Angela Weiss - AFP
La face obscure de l'oiseau bleu dévoilée.
Angela Weiss - AFP

#TWITTERFILES - Dans de nouveaux “threads” publiés le 3 janvier 2022, le journaliste Matt Taibbi détaille la mise en cage de Twitter par les services du renseignement américain. En 2016, des requêtes politico-administratives pressaient le réseau social de débusquer des influenceurs russes. Sans résultat, une mise sous pression médiatique et législative a pris le relais pour obliger à d’autres investigations (infructueuses). In fine, les agences dites d’intelligence ont intégré le processus de “chasse aux comptes”. Le Federal Bureau Investigation (FBI) apparaît être au centre de ce dispositif de surveillance et de contrôle (voir le deuxième thread, épisode 12 à venir). 

Début janvier, le journaliste indépendant Matt Taibbi a repris la main pour la suite des épisodes des #TwitterFiles. Le premier de ses deux nouveaux “threads” (“fil” en français, soit une suite de messages nommés tweets) revient sur l’affaire des prétendues “ingérences russes” durant la campagne présidentielle américaine de 2016. 

Des Russes introuvables 

Le 8 novembre 2016, Donald Trump remporte la course à la Maison Blanche. Le 12 décembre suivant, le Congrès, d’abord interrogatif sur l’efficacité de la campagne électorale du républicain ciblée sur Facebook, ouvre une enquête sur d’éventuelles interférences russes. Immédiatement, la sphère médiatique s’enflamme. Tous les soupçons se portent sur la Russie accusée d’avoir voulu faire basculer l’élection.  

Finalement, l’intrusion des Russes ne sera jamais confirmée, faute de preuves. Les agences américaines du renseignement pourtant très actives sur la question (nous avons vu dans les épisodes précédents des Twitter Files à quel point, voir lien) demandent à être crues sur parole, sans jamais apporter d’éléments tangibles au dossier.  

Selon un article du New York Times de janvier 2017 : “There is no discussion (…) of intercepted communications between the Kremlin and the hackers, no hint of spies reporting from inside Moscow’s propaganda machinery”. Soit : “Il n’y a pas de discussion autour de communications interceptées entre le Kremlin et des pirates, aucune allusion à des espions faisant trait à la machinerie interne de la propagande de Moscou”. 

En mars 2018, une enquête de la commission du Renseignement de la Chambre des représentants des Etats-Unis confirme l’absence de preuve de collusion entre l’équipe de campagne de Donald Trump et la Russie.  

La chasse doit continuer malgré tout 

Plusieurs élus démocrates souhaitaient pourtant coûte que coûte (tel le sénateur Adam Schiff – à suivre dans le treizième épisode à venir des Twitter Files) poursuivre les investigations : “There are a number of steps that I think any credible investigator would say, ‘These need to be done,’ and we still hope that they will be.” Traduction : “Je pense qu’il y a un certain nombre d’étapes au sujet desquels tout enquêteur crédible dirait : ‘Celles-ci doivent être menées’, et nous avons toujours espoir qu’elles le soient”.  

Si aucun élément n’a été confirmé depuis le début de l’affaire, en août 2017, Facebook partait brutalement à la chasse aux comptes suspectés d’être liés à la Russie : 300 comptes sont bannis. Les dirigeants de Twitter, de leur côté, ne semblent pas inquiets. 

Ces derniers en effet ne voient pas “de corrélation importante” entre certains comptes et une éventuelle propagande russe. Un nombre très restreint (25) de ces derniers pourrait être concerné. 

Le 6 septembre 2017, dans un mail confidentiel adressé à un cercle restreint d’administrateurs, Colin Crowell, le vice-président du département des relations publiques de l’époque chez l’oiseau bleu, précise que Twitter n’est pas au centre des investigations menées par les parlementaires américains. Et en réfère au Sénat. 

Une pression de plus en plus forte  

Ce manque de zèle agace particulièrement le sénateur (Virginie) Mark Warner, membre du Comité sénatorial du renseignement : il tient immédiatement une conférence de presse pour dénoncer le rapport de Twitter comme “franchement inadéquat à tous les niveaux”

Crowell, toujours au sein d’un échange interne à l’entreprise, s’amuse de l’un des (nombreux) messages reçus en période électorale par les Américains afin de donner de l’argent aux partis politiques. Mark Warner est manifestement lui aussi en campagne... 

Le dirigeant au sein des relations publiques de Twitter rencontre par ailleurs les membres du Congrès. Il saisit que le sénateur de Virginie va continuer à “maintenir la pression” sur Twitter et “sur le reste de l’industrie afin de continuer à produire du matériel”. Autrement dit, d’une manière ou d’une autre, même sans rien trouver, continuer à faire la chasse aux “comptes russes”. 

Ces injonctions, toujours selon Colin Crowell, auraient été attisées par Hillary Clinton. En effet, la candidate défaite par Trump, dans son livre “What Happened” publié le 12 septembre 2017, pointe l’oiseau bleu du doigt : “Il est temps pour Twitter d’arrêter de traîner les pieds et d’assumer le fait que sa plateforme est utilisée comme un outil de cyberguerre.” 

Taskforce 

De plus en plus sous pression, Twitter se sent obligé de créer un groupe de travail (“taskforce”) chargé de mener des investigations plus proactives sur les risques d’influence russe dont l’un des objectifs consiste à “mener une rétrospective plus complète de l’élection de 2016.” 

Une nouvelle fois, les premières recherches de la taskforce se révèlent infructueuses. Début octobre 2017, aucune approche coordonnée de service de l’intelligence russe n’est décelée : “Tous les comptes trouvés paraissent être liés à des loups solitaires”. Pas d’activité organisée. 

Le 18 octobre 2017, les premiers résultats de l’enquête tombent. Et ils sont maigres : “15 comptes à haut risque, dont trois ont des liens avec la Russie, bien que deux soient RT (Russia Today)”. Mark Warner et d’autres personnalités politiques ne se satisfont pas de ce résultat.  

Le 20 octobre 2017, les documents de travaux de la taskforce révèlent que l’équipe a mis à jour l’outil de modération. Sa “précision est (désormais) plus faible (…) mais permet d’attraper plus d’éléments”. Aucune trouvaille d’ampleur n’est véritablement attendue. 

Le 23 octobre 2017, l’enquête prend fin. Sur 2 500 examens manuels, 32 comptes sont identifiés comme officiellement suspects. 17 de ces comptes sont liés à la Russie. Seulement 2 comptes (sur 17) ont une activité financière importante, dont Russia Today. Le reste ne dépasse pas 10 000 dollars de dépenses. Rien de significatif. 

A l’évidence, comparé aux 126 millions de comptes Facebook accusés par les médias d’être sous influence russe, le compte n’y est pas... 

Entrée en scène de la pression médiatique 

Au lieu de se rendre à l’évidence (la Russie n’a pas été active sur Twitter afin d’influencer la campagne présidentielle américaine de 2016), l’oiseau bleu est attaqué dans les médias et la presse et mis sous davantage de pression. Le 13 octobre 2017, le média Politico persifle : “Twitter a supprimé des données potentiellement cruciales pour les enquêtes sur la Russie”. Sa source principale provient du Comité sénatorial du renseignement, là où Warner siège.  

Le Congrès se fait de plus en plus menaçant. Twitter doit revoir sa copie. La pression est à son comble. 

Colin Crowell comprend bien les intentions du Congrès américain en filigrane. Un article publié par le Washington Post qu’il transmet à son équipe résume : “Facebook, Google et Twitter font face à une proposition de loi visant les publicités politiques douteuses”. Le pouvoir politique souhaite encadrer la publicité politique sur le réseau social : si ce dernier ne se plie pas à ses exigences, voilà un levier efficace de contrainte. D’après le Sénateur Warner, “l’industrie de la Tech état dans le déni à ce sujet” (de nombreux remous autour de la législation en la matière se produiront ensuite, notamment autour du Honest Ads Act

Alors même que Twitter se préparait à modifier sa politique en matière de publicités et à supprimer les comptes de Russia Today et de Sputnik afin de montrer patte blanche à Washington, le Congrès décide de faire fuiter la liste des 2 700 comptes. Il s’agit de ceux que Twitter avait précédemment analysés, certifiant qu’ils n’étaient pas intervenus dans la campagne des élections présidentielles américaines de 2016. 

Malgré tous ses efforts, Twitter tancé 

Sur la base de cette fuite “malheureuse”, le média Buzzfeed, en collaboration avec l’Université de Sheffield, déclare avoir démasqué “un nouveau réseau” sur Twitter qui avait “des liens étroits avec des comptes robots liés à la Russie”.  

Twitter ne souhaite pas cautionner les révélations du tandem Buzzfeed - Université de Sheffield. En interne, Yoel Roth, alors chef de la sécurité de Twitter indique qu’il ne faut pas entrer avec les médias dans des questions d’ordre méthodologique afin de ne pas “encourager” leurs préjugés bien trop expéditifs. 

Pourtant, lorsque l’article de Buzzfeed est publié, le Comité sénatorial du renseignement exige un énième compte rendu. Et Twitter s’excuse et s’exécute : les 2 700 comptes déclarés inoffensifs reposent problème et un “arrangement” est accepté.  

Un modèle intimidant qui fonctionne 

Un mécanisme apparaît. Si Twitter, en tant que plateforme numérique, ne se montre pas assez docile pour satisfaire certaines requêtes politico-administratives, des menaces de reformulation législatives au désavantage du réseau social (en matière de publicité) sont agitées.  

Twitter, au détriment du réel, doit toujours en faire plus. Les médias attaquent son image. Le réseau social cède aux demandes de modération, qui sont alors formalisées avec d’autres partenariats issus du renseignement, dont le FBI, nombril du contrôle et de la surveillance de l’information (voir épisode 12 à venir des Twitter Files).  

S’il faut rester prudent sur ce point (impossible de savoir exactement quand ces “partenariats” ont été conclus dans l’histoire de Twitter depuis sa création en 2006), ces événements ont concrètement entraîné une évolution des conditions générales d’utilisation.  

L’oiseau bleu a modifié ses “terms of service”, "ToS", (règles d’utilisation) afin de pouvoir suspendre ou fermer un compte à sa seule discrétion. De quoi satisfaire n’importe quelle procédure interne qui imposerait de désactiver tout élément identifié par les services de renseignements comme entité étrangère menant des cyber-opérations ou, autre exemple, hostile à la gestion gouvernementale d’une crise sanitaire (voir cet épisode des Twitter Files).   

Twitter a complètement intégré la Communauté du renseignement des Etats-Unis (USIC) dans son processus de modération de contenus. “Le monde de la Tech ne reviendra pas à un statut quo ante”, comme l’indique Colin Crowell dans un mail adressé à ses supérieurs. Force est de constater qu’Elon Musk a changé la donne. 

 

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