Tariq Ramadan en détention provisoire : atteinte à la présomption d'innocence ?

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Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 13 mars 2018 - 15:57
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Des gardiens de prison à la maison d'arrêt de Fresnes, près de Paris, le 20 septembre 2016
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© PATRICK KOVARIK / AFP/Archives
La détention provisoire est censée être une mesure exceptionnelle car attentatoire à la présomptions d’innocence.
© PATRICK KOVARIK / AFP/Archives
Le placement en détention provisoire de Tariq Ramadan, accusé de viols, a été largement décrié par ses soutiens qui dénoncent une justice à deux vitesses alors que plusieurs autres personnalités ont été accusées de tels faits récemment sans subir le même sort. Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon, analyse en partenariat avec "France-Soir" les modalités de cette mesure, de facto contraire à la présomption d'innocence.

La peine est l’une des modalités de sanction d’une infraction. La sanction est l’aboutissement ultime d’un processus juridique, qui a démarré par une enquête préliminaire ou une instruction puis s’est terminé par un procès pénal.

Cependant avant d’être jugé, que ce soit pour être reconnu coupable ou innocenté, un individu peut être incarcéré. On parle alors de détention provisoire. C’est une mesure qui, en ce qu’elle prive de la liberté d’aller et de venir, est contraire à la présomption d'innocence, qui est un principe fondamental du droit pénal tant que la culpabilité de l’individu n’a pas été définitivement établie.

L'intérêt social peut cependant justifier la détention provisoire: on peut en effet craindre qu’en liberté, l'individu suspect ne commette de nouveau une ou plusieurs infractions. Ce critère, très subjectif, relève cependant plus de l’intuition que de ce qui devrait être une argumentation juridique.

On peut craindre aussi qu’il disparaisse, qu'il détruise des preuves, ou fasse pression sur les témoins. Enfin, dans certains cas de graves troubles à l’ordre public, on peut estimer que la sécurité de l'individu sera plus efficacement garantie en prison face à une possible vindicte populaire.

Voir: Viols, fuite, pressions ou "machination": pourquoi Tariq Ramadan est-il toujours en détention provisoire?

La détention provisoire peut être possible lors d'une instruction judiciaire, d'un procès en comparution immédiate ou lors d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (ou "plaider coupable").

La loi souligne le caractère en principe exceptionnel de cette mesure privative de liberté. Le juge de la liberté et de la détention doit en principe d’abord envisager le placement sous contrôle judiciaire ou l'assignation à résidence avec surveillance électronique, et subsidiairement le placement en détention provisoire.

Mais en réalité la détention provisoire n’est pas une mesure exceptionnelle et la proportion de détenus écroués sous ce régime n'a cessé de s'accroître au sein de la population carcérale pour atteindre près de 20.302 personnes au 1er novembre 2017 (source DAP). La détention provisoire contribue de fait à la surpopulation carcérale et conditionne souvent le prononcé de peines d’emprisonnement ferme par les juridictions.

La détention provisoire ne peut pas excéder une limite fixée par la loi. "La personne mise en examen ne peut être maintenue en détention provisoire au-delà de deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles et au-delà de trois ans dans les autres cas" précise l’article 145–2 du code de procédure pénale. Pour les crimes les plus graves le délai de détention provisoire peut être porté jusqu’à quatre ans. On pense notamment aux faits de terrorisme.

Le 15 janvier 2018, Nicole Belloubet, ministre de la Justice et garde des Sceaux, a reçu les rapports des cinq chantiers de la Justice à la Chancellerie qui ont pour objectifs de transformer en profondeur la Justice.

Lire aussi: Tariq Ramadan: mobilisation grandissante autour de son sort judiciaire

L’un de ces cinq chantiers portait sur le sens et l’efficacité des peines. Ce rapport fait le constat qu’il est recouru de manière excessive à la détention provisoire et considère "que prévenir la récidive suppose que l’on mène une action résolue pour diminuer le nombre et la durée de détention provisoire".

L’une des pistes préconisées serait de renforcer les moyens des services pénitentiaires d’insertion et de probation en charge des enquêtes de personnalité notamment pour permettre aux juges de la liberté et de la détention de recourir à des mesures de contrôle judiciaire individualisé. Ce rapport s’interroge également pour réduire le nombre des détentions provisoires sur l’opportunité d’élever le seuil d’emprisonnement encouru pour prononcer une mesure de détention provisoire, et également sur le réexamen des critères permettant d’ordonner une telle mesure.

Le tribunal criminel départemental dont la création vient d’être annoncée serait chargé de juger des crimes passibles de 15 ou 20 ans de réclusion. Il serait composé uniquement de magistrats professionnels, et permettrait d’organiser plus rapidement la tenue des procès criminels que devant la cour d’assises dont les sessions sont surchargées. Celle-ci resterait néanmoins toujours compétente pour juger les crimes passibles de 30 ans de réclusion. Ce nouveau tribunal criminel est présenté comme une solution pour juger plus rapidement les crimes mais pour ce faire il faudrait également renforcer le nombre de postes de magistrats.

La détention provisoire peut donner lieu à réparation si la procédure pénale s’est terminée par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive. Il est alors possible pour la personne de solliciter la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé la détention (article 149 du code de procédure pénale). La souffrance morale résulte du "choc carcéral" ressenti par la personne brutalement et injustement privée de liberté.

Elle peut être aggravée, notamment, par une séparation familiale et des conditions d’incarcération particulièrement difficiles. Elle peut aussi être minorée par l’existence d’un passé carcéral. Constituent, notamment, des facteurs d’aggravation du préjudice moral, la surpopulation de la maison d’arrêt, les mauvaises conditions d’hygiène et de confort ( commission nationale de réparation des détentions CNRD, 20 février 2006, n° 5C -RD.055, bull. n° 4), la vétusté des lieux (CNRD, 29 mai 2006, n° 5C-RD.077), la multiplication des transferts d’un établissement pénitentiaire à l’autre, à l’origine de la rupture des liens familiaux (CNRD, 7 mars 2005, n° 4C-RD. 031).

Cependant, ne peut donner lieu à réparation le préjudice issu de l’atteinte à l’image ou à la réputation résultant de la publicité donnée par les médias à l’affaire, même si les articles de presse relatent l’arrestation, la mise en détention et l’incarcération du demandeur (CNRD, 5 décembre 2005, n° 5C -RD.017, bull. n°14). Si Jawad Bendaoud, le "logeur des terroristes" du 13-Novembre était de nouveau acquitté en appel, il ne pourrait donc pas solliciter autre chose que la réparation de la détention et rien au titre de la médiatisation.

Cesare Beccaria, homme des Lumières, admirateur de Montesquieu, posa au 18ème siècle dans son célèbre ouvrage Des délits et des peines les principes d'une justice humaine et efficace: "Ce n’est point par la rigueur des supplices qu’on prévient le plus sûrement les crimes, c’est par la certitude de la punition".

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