Heureux qui, comme Ulysse, sont allés... à Versailles !

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Alain Tranchant pour France-Soir
Publié le 09 mars 2024 - 19:41
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F.Froger / Z9
Le Sénat
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TRIBUNE - En conclusion de ma tribune "Loi immigration : le diable et la cuiller", parue le 1er février dans les colonnes de France-Soir, j'écrivais que "sur l'avortement, qui n'a strictement rien à voir avec l'organisation des pouvoirs publics (sous-entendu ajouté ici : objet premier, et objet tout court d'une Constitution), M. Macron souhaite convoquer députés et sénateurs à Versailles pour réviser la Constitution. Aux opposants de s'opposer à cette diversion et de refuser de satisfaire les caprices du prince".

Puisque le président du Sénat, Gérard Larcher, avait déclaré le 22 janvier : "Je pense que la Constitution n'est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux", il était permis de penser que le "beau voyage" à Versailles, cher à Joachim du Bellay, ne tournerait pas à cet unanimisme de façade et de circonstance auquel il a donné lieu lundi 4 mars.

D'autant que nul, dans notre pays, ne songeait à remettre en cause l'héritage de Simone Veil sur l'interruption volontaire de grossesse. Et parce que la Constitution, comme l'a si drôlement écrit Anne-Marie Le Pourhiet, professeur émérite de droit public, dans Le Figaro du 25 janvier, "n'est ni un sapin de Noël, ni un catalogue de La Redoute".

Mais l'opposition des opposants a fait long feu - un peu, voire beaucoup, comme au temps du Covid - et l'adoption de la révision constitutionnelle, par 780 voix pour et 70 contre, a donné lieu à des acclamations et congratulations comme le Parlement en a connues à l'issue des deux guerres mondiales.

La morale de cette histoire est simple. C'est le propre de tout pouvoir qui n'est plus en capacité d'apporter des satisfactions matérielles à son peuple - la croissance économique est plus que faible, le chômage augmente, le pouvoir d'achat recule - d'aller sur le terrain sociétal : ça coûte pas cher, et ça donne bonne conscience à peu de frais. Encore qu'en ces temps de disette, on aimerait bien connaitre l'addition versaillaise.

Le célèbre poème de Joachim du Bellay, dédié à la "douceur" angevine, n'est pas seulement une ode au départ, il célèbre aussi le retour : "Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, et puis est retourné, plein d'usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge". Comme on aimerait que ces centaines de voyageurs aient réintégré leurs pénates au Palais du Luxembourg ou au Palais Bourbon, "pleins d'usage et raison" !

C'est, hélas, peu probable. D'abord, et c'est bien connu, parce que l'on prend goût aux voyages. Ensuite, et surtout, parce que c'est le doigt dans l'engrenage. Un tout autre sujet, lourd des périls les plus graves, va désormais s'inscrire dans l'agenda "révisionnel" du pouvoir, puisque M. Macron a déjà annoncé son intention d'inscrire l'identité corse dans la Constitution.

"Il s'apprête sans vergogne à contredire frontalement le principe unitaire d'égalité devant la loi inscrit au préambule et dans l'article premier de la Constitution de 1958", indiquait Mme Le Pourhiet le 25 janvier. Plus sévèrement encore, Manuel Valls mettait en garde contre un "naufrage" dans Le Figaro du 5 mars : "En proposant de reconnaître une communauté culturelle corse et un pouvoir législatif propre au nom de certaines particularités, le ministre de l'Intérieur promeut le communautarisme et propose même de le constitutionnaliser (...). Si ceux qui croient en l'universalisme républicain et qui pensent que la France n'est pas une addition de communautés ou de tribus ne se mobilisent pas sur la Corse, alors il sera impossible d'arrêter un naufrage irrémédiable".

Il est grand temps, en effet, que les opposants fassent leur métier qui est, par définition, de s'opposer (et, de ce point de vue, ils pourraient utilement prendre le modèle de François Mitterrand, opposant des premières années de la Ve République, qui a toujours tout refusé), au lieu de finasser et de se laisser culpabiliser par l'air du temps.

J'emprunte ma conclusion à Anne-Marie Le Pourhiet : "Il faut cesser d'abîmer la Constitution du général de Gaulle avec des revendications symboliques narcissiques et tribales".

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