Migrants de Calais : qu’implique le refus de la maire de se conformer à la décision du Conseil d’Etat ?
La "Jungle" de Calais s’est invitée dans le débat judiciaire au cœur de l’été. On se souvient qu’en 2016 le camp de migrants, qui accueillait, selon les chiffres officiels près de 7.000 personnes, avait été démantelé au profit d’une répartition de la prise en charge des migrants dans des structures d’accueil implantées sur différents points du territoire.
Malgré cela plusieurs centaines de migrants se trouvent à nouveau à proximité de Calais depuis le début de l’année 2017 avec pour seul objectif l’entrée par tous moyens sur le territoire anglais. La situation est très compliquée pour les habitants de Calais, confrontés de longue date à la "problématique migratoire", comme l’a rappelé la maire Natacha Bouchart, qui précise également "qu’il ne saurait être question de mésestimer la situation d’extrême précarité des migrants".
Des migrants et des associations ont saisi d’un référé-liberté le juge des référés du tribunal administratif de Lille, notamment aux fins d’enjoindre au préfet du Pas-de-Calais et à la commune de Calais de créer plusieurs dispositifs d’accès à l’eau permettant aux migrants de boire et de se laver, ainsi que des latrines, et d’organiser un dispositif adapté d’accès à des douches.
Le référé-liberté est une procédure prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative, qui permet au juge administratif d’ordonner, dans un délai de 48 heures, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les 48 heures.
Le juge des référés du tribunal administratif de Lille a, le 26 juin dernier, partiellement fait droit à cette demande en donnant injonction au préfet du Pas-de-Calais et à la commune de Calais de créer plusieurs points d’eau situés à l’extérieur du centre de Calais dans des lieux facilement accessibles aux migrants.
Le ministre de l’Intérieur et la commune de Calais ont fait appel de cette décision et le Conseil d’Etat a estimé le 31 juillet dernier "que la prise en compte par les autorités publiques des besoins élémentaires des migrants qui se trouvent présents à Calais en ce qui concerne leur hygiène et leur alimentation en eau potable demeure manifestement insuffisante et révèle une carence de nature à exposer ces personnes, de manière caractérisée, à des traitements inhumains ou dégradants, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale; que ces circonstances de fait, constitutives en outre d’un risque pour la santé publique, révèlent en elles-mêmes une situation d’urgence caractérisée" et qu’il appartient au juge des référés d’ordonner les mesures urgentes que la situation permet de prendre dans un délai de 48 heures et qui sont nécessaires.
Le Conseil d’État en déduit que c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Lille a enjoint à l’État et à la commune de Calais, de créer, dans des lieux facilement accessibles aux migrants, à l’extérieur du centre-ville, plusieurs dispositifs d’accès à l’eau. La décision du conseil d’Etat est notamment assortie d’une astreinte de 100 euros par jour de retard dans l’installation des points d’eau à la charge de la mairie de Calais.
Le maire de Calais a réagi par un communiqué en indiquant: "Depuis 2008, tout a été essayé pour tenter d’apporter une solution humanitaire aux migrants présents dans le Calaisis. A chaque fois, la mise en place de points de fixation a eu pour conséquence un afflux croissant de migrants vers Calais.(…) Je ne puis accepter de mettre en place des installations qui réuniraient à nouveau les conditions de création de campements, de bidonvilles, et de points de fixation. (…) La décision de justice du Conseil d’Etat est une injustice pour les Calaisiens, car elle les met de nouveau sous la menace de la recréation d’une énième Jungle. Aussi, en l’absence de politique nationale et européenne offrant une solution globale de maîtrise de l’immigration, la Ville de Calais ne donnera pas suite aux injonctions qui lui ont été faites".
Cette décision du Conseil d’Etat a été rendue dans le cadre du contrôle par les juridictions administratives de l’exercice du pouvoir de police générale. Le maire est compétent sur le territoire de sa commune pour exercer un pouvoir de police qui a pour objet d’assurer le bon ordre, la sécurité et la salubrité publique.
Le préfet représentant de l’Etat dispose d’un pouvoir de substitution en cas d’inaction du maire dans l’exercice de son pouvoir de police en application de l’article L 2215–1 du code général des collectivités territoriales. Ce pouvoir de substitution est encadré: le préfet doit mettre en demeure le maire de faire usage de son pouvoir dans un délai déterminé, la mesure doit être indispensable et il doit exister un péril grave et caractérisé.
En l’occurrence, en cas d’inaction du maire, le préfet agit au nom de la commune. Ce qui peut avoir des conséquences en termes de responsabilité qui incombe à celle-ci en cas de faute du préfet dans l’exercice de son pouvoir de substitution. Par ailleurs le coût financier des mesures prises par le préfet reste à la charge du budget communal.
Dans ce dossier de la "Jungle" de Calais, il faut rappeler que l’Etat était au côté de la mairie de Calais pour contester en appel devant le Conseil d’Etat la décision prise par le Tribunal administratif de Lille. Suite à cette décision du Conseil d’Etat, le préfet du Pas-de-Calais a néanmoins annoncé que "des douches et des sanitaires seront installés avant la fin de la semaine prochaine".
Cette décision de justice rendue par le Conseil d’Etat, si elle répond à un besoin urgent humanitaire et de santé publique, ne peut suffire à régler durablement la question. La mairie de Calais via son maire a d’ailleurs interpellé l’Etat qui doit selon elle "assumer cette responsabilité régalienne d’acheminer les migrants vers les centres d’accueil et d’orientation éloignés du Calaisis afin d’examiner leur situation".
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