Bataille de Palmyre : un soldat du régime raconte la débâcle de l'armée syrienne face aux djihadistes de Daech

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Stéphane Mantoux avec la rédaction de FranceSoir.fr
Publié le 15 décembre 2016 - 15:53
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Milice afghane drapeau brulé daech etat islamique défaite palmyre armée syrienne
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Les djihadistes de l'Etat islamique brûlent le drapeau de Liwa Fatemiyoun, une milice fidèle au régime, après la reprise de Palmyre.
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L'organisation Etat islamique a repris, dimanche 11, la totalité de la ville de Palmyre, dans le centre de la Syrie. Une débâcle pour le régime syrien et pour son armée. Stéphane Mantoux, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence du conflit irako-syrien, rapporte pour "FranceSoir", le témoignage d'un soldat loyaliste qui dévoile l'ampleur de la défaite.

Le 12 décembre 2016, le lendemain de la chute de Palmyre aux mains de l'Etat islamique (EI), un récit de la bataille est mis en ligne sur la page Facebook Suleeman Shahin (Shahin= Faucon). Ce témoignage est probablement celui d'un combattant de la brigade al-Hamza des Tiger Forces, qui a participé à la bataille de Palmyre et a donc vécu de l'intérieur la déroute des forces du régime face à l'assaut des djihadistes. Il faut noter que si il a consigné ce témoignage, c'est sans doute car il n'envisageait pas de sortir vivant du combat, ce qui montre son caractère désespéré pour le régime. Il est resté en contact avec deux reporters syriens, qui l'ont probablement aidé à mettre en forme le texte: parmi eux, Eyad Alhosainun correspondant de guerre bien connu qui suit depuis longtemps les forces du régime syrien, comme la milice Suqur al-Sahara, mais aussi les Tiger Forces à Alep, plus récemment. Ce témoignage est à prendre avec circonspection, mais il offre un aperçu unique de la chute de Palmyre vue du côté du régime, et confirme sur bien des points l'analyse que jen avais faite il y a quelques jours, tout en apportant des précisions supplémentaires ou des corrections utiles.

Le récit commence le samedi 10 décembre, alors que l'EI est à l'offensive depuis déjà deux jours. L'auteur explique que les satellites russes indiquent une concentration de combattants du groupe djihadiste pour un assaut sur la cité ; l'aviation est trop occupée à frapper les positions autour des champs gaziers et pétroliers déjà pris par Daech aux alentours pour cibler ces concentrations.

Les cercles noirs montrent les deux positions défensives principales du régime : les silos, à l'Est, et la montagne al-Tar au nord-ouest. L'étoile jaune est l'explosion du 1er VBIED le 10 décembre, qui provoque la déroute de presque tous les défenseurs (flèches noires). La flèche jaune montre l'attaque en même temps sur al-Tar. La ligne rouge et le cercle rouge montrent les positions défensives au soir du 10 décembre, la flèche rouge le rétablissement d'une défense vers les silos pendant la nuit. L'étoile bleue montre l'explosion du VBIED dans la nuit du 11 décembre, suivie par l'attaque par le nord, à al-Amiriyah, et la prise de la montagne (flèches bleues). Les forces du régime se replient vers le sud (flèches bleues) avant d'être encerclées (cercle bleu) et dégagées par les Mi-28 venus de Tiyas.

L'auteur décrit les unités composant la défense à l'est de Palmyre, sur la route d'al-Sukhna, au niveau des silos: les Military Intelligence Shield Forces (que j'avais indiquées comme présentes sur place), al-Badiya (que je croyais parti intégralement à Alep quelques jours avant l'attaque de l'EI, mais qui semble avoir laissé un contingent sur place), et d'autres milices: as-Saima, Zanubiya, Coeur de Syrie et les forces ash-Sheikh Souleyman, soit 1 200 hommes au total. Il y a aussi des éléments des 11ème et 18ème divisions (que j'avais mentionnées), avec 6 canons D-30 de 122 mm, 6 canons M-46 de 130 mm, 7 BM-21 Grad et 12 chars. Liwa Fatemiyoun a un contingent de 1.200 hommes sur place (confirmant les présomptions de mon article selon lesquels une subdivision de l'unité était bien présente), avec un abondant matériel. 150 hommes des Tiger Forces sont positionnés sur un point faible au sud-est. Remarquons qu'à ce moment-là du récit, on atteint déjà 3.150 hommes pour l'effectif de la garnison: autrement dit, il est quasiment certain que celle-ci était en supériorité numérique par rapport aux assaillants, contrairement aux dires de Moscou, repris par les forces du régime, qui ont tous indiqué le chiffre de 4.000 combattants de l'EI, ce qui semble très exagéré.

Depuis la colline at-Tar, où se trouve un point d'observation, le régime aperçoit 2 véhicules et un char évoluer à 7 km à l'Est des positions défensives au niveau des silos. Des frappes aériennes détruisent les 2 véhicules, mais pas le char, qui s'avère être un VBIED chargé de 10 tonnes d'explosifs, capable de pulvériser tout ce qui se trouve dans un rayon de 400m. Le lance-missiles antichars Konkurs de la 18ème division, curieusement, ne tire pas sur le char, qui finit par être touché à 200m seulement des positions du régime. L'explosion est terrifiante: les survivants abandonnent alors leurs positions, les Afghans de la Fatemiyoun partant en déroute complète, bientôt suivis par les Military Intelligence Shield Forces et la 18ème division. Seule la 11ème division se replie et se retranche pour préparer la défense de la ville, de même que les Tiger Forces (100 hommes) qui protègent l'aéroport militaire. Il faut noter que ce récit valorise l'action des Tiger Forces: ce n'est guère étonnant si l'auteur est lui-même un membre de l'unité, et il y a des précédents. Cela nous montre aussi l'hostilité sourde qui peut opposer l'armée régulière aux milices nées du conflit comme les Tiger Forces, qui peuvent cependant estimer leurs confrères réguliers comme le montre l'exemple ici de la 11ème division, et mépriser d'autres milices par ailleurs comme on le verra plus loin.

Les djihadistes s'apprêtent alors à attaquer la montagne at-Tar, qui domine la ville de Palmyre au nord-ouest et qui est donc un point stratégique, surplombant la ville et la route principale qui la traverse. La montagne est défendue par 500 hommes (ce qui porterait le total des défenseurs à 3.650) des Tiger Forces: mais aux premiers signes de danger, la moitié d'entre eux abandonnent la position, prétextant ne pas avoir été payés depuis 5 mois (!). Il y a également deux positions tenues par la 18ème division. L'EI envoie normalement d'abord, selon l'auteur, des VBIED, avant de coller au plus près des forces du régime pour éviter les frappes aériennes. Ici, Daech fait tirer 4 technicals pour couvrir le mouvement de 2 chars : les défenseurs n'ont pas d'armes antichars pour en venir à bout. L'organisation salafiste pilonne simultanément les positions du régime avec des canons D-30 de 122 mm et des mortiers de 120 et 82 mm, ainsi que par des "canons de l'enfer". Les défenseurs ont bien 2 chars, mais les terroristes les mettent hors de combat par des tirs précis. La bataille dure toute la journée, la 18ème division finit par se replier vers l'ouest/sud-ouest et la base aérienne de Tiyas, mais les autres défenseurs tiennent bon.

A 17h, les Russes font sauter un dépôt de munitions dans la ville de Palmyre, jetant la confusion et la panique parmi la population et les miliciens. A 18h00, la cité est déserte : seul le chef d'al-Badiya (le Major General Shaulat Hawali) parade dans sa Cadillac blindée avec 10 officiers, et un camion de gardes du corps, selon l'auteur -on retrouve le lieu commun du mépris envers une autre milice d'un service de renseignement concurrent qui n'est guère apprécié (al-Badia est tenu par le renseignement militaire, les Tiger Forces sont elles liées au renseignement de l'armée de l'air). Vers minuit, une centaine de combattants de la Fatemiyun et 70 hommes de la 18ème division reviennent dans la ville pour renforcer la défense, mais c'est bien peu. 40 hommes et 2 chars prennent position sur la route d'al-Sukhna.

Le 11 décembre, à 1h du matin, un VBIED se fait sauter sur la position à l'est de Palmyre, détruisant les chars et tuant des défenseurs. 60 hommes des Tiger Forces viennent renforcer la position. Les défenseurs bloquent alors l'accès au quartier al-Amiriyah au nord de Palmyre. A 9h, l'Etat islamique lance une attaque simultanée par al-Amiriyah, au nord de Palmyre, et en dévalant de la montagne al-Tar au nord-ouest. D'après l'auteur, ils s'infiltrent dans al-Amiriyah en se déguisant en soldats du régime: c'est une possibilité, l'EI étant coutumier de ce genre de ruses lors de ses infiltrations tactiques. Ce faisant, les djihadistes prennent à revers les défenseurs du flanc est de Palmyre. La montagne al-Tar est emportée par 4 chars et 3 technicals, à 11h. Les forces du régime se replient alors sur la partie sud de la ville. 200 hommes des Tiger Forces couvrent la retraite avec 2 chars, 2 mitrailleuses et la Cadillac blindée réquisitionnée (encore une fois, on remarque que les Tiger Forces ont le beau rôle). Encerclés, les hommes du régime ont la chance d'avoir le général avec eux, qui entre en contact avec la base aérienne de Tiyas, laquelle dépêche 6 hélicoptères russes Mi-28 qui leur permettent de percer à travers les vergers au sud de Palmyre et de rejoindre leurs lignes.

Que tirer de ce témoignage "au ras du sol", d'un combattant des Tiger Forces du régime syrien impliqué dans le désastre de Palmyre? D'abord, la supériorité aérienne ne joue pas: le régime et ses alliés russes ne peuvent stopper l'assaut de l'EI par l'action de l'aviation, on le voit bien, pour différentes raisons énumérées au fil du texte. Ce qui frappe aussi, c'est la déroute rapide d'une bonne partie de la garnison, pourtant assez nombreuse pour défendre la ville: comme en mai 2015 lors de la chute de Palmyre devant l'EI, une bonne partie des milices pro-régime se sont effondrées. Ici, l'explosion d'un premier VBIED, manifestement puissant, a comme souvent désorganisé la défense et provoqué la déroute des miliciens. On note aussi la mauvaise utilisation ou l'absence d'armes antichars comme les Konkurs qui auraient pu s'avérer précieux contre les chars, technicals ou VBIED de l'EI. Le récit est élogieux pour les Tiger Forces: on note toutefois qu'à al-Tar, la moitié d'entre eux ont abandonné leurs positions, ce qui n'est guère flatteur.

La compétition qui existe avec les unités régulières et les autres milices nées durant le conflit montre combien le régime dépend pour sa survie de milices hybrides, à mi-chemin entre les groupes irréguliers et des formations régulières (les Tiger Forces sont parrainées par le renseignement de l'armée de l'air et alimentées par des officiers de l'armée, notamment des divisions d'élite comme la 4ème division blindée mais aussi la 11ème division, justement, ce qui peut expliquer le point de vue positif à son endroit), et qu'il contrôle plus ou moins.

La fuite des Russes, qui partent après avoir fait exploser un dépôt de munitions (mais tout est loin d'avoir été détruit, comme le montrent les images du groupe terroriste après la chute de la ville...), n'a pas amélioré la situation des défenseurs. L'EI a su faire preuve d'un sens de la manœuvre qu'on a souvent observé lors des offensives de grand style, et d'une certaine habileté tactique (attaque de nuit sur la ligne de défense à l'est ; infiltration avec combattants déguisés ; utilisation des VBIED pour désorganiser considérablement les formations de miliciens). Ce récit confirme, s'il en était besoin, les capacités de l'organisation sur le plan militaire.

Merci à B. Khabazan.

 

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