Comment l'Union Européenne veut contrôler l'information grâce aux Big Techs. Partie 6) Hiérarchisation de l'information et retour de la censure

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Gilles Gianni, France-Soir
Publié le 24 juin 2023 - 09:00
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Photo de Michael Dziedzic sur unsplash.com
La censure de deux chaînes présentées comme "dépendantes de l'État russe" a mis plus d'une centaine de journalistes au chômage.
Photo de Michael Dziedzic sur unsplash.com

Enquête en plusieurs parties - Comment l'Union Européenne veut contrôler l'information grâce aux Big Techs. Du fact-checking aux agences de renseignements américaines : aux origines d’une prison digitale.

INTRODUCTION - Pendant la crise du Covid-19, les principaux médias français ont relayé, sans réelle distanciation, la communication gouvernementale et les positions de l'industrie pharmaceutique. La défense des confinements et du “tout-vaccin” est devenue un axiome inattaquable, défiant toute approche scientifique raisonnable et équilibrée. Au lieu d'enquêter, de vérifier et de varier les sources afin de nourrir un débat contradictoire, des cellules de "fact-checking", intégrées au sein des rédactions de presse et financées par les Big Techs, ont court-circuité le rôle du journaliste et ont torpillé tout débat critique et complexe. Sous prétexte de lutte contre la désinformation, ces partenariats invasifs ont été appuyés par l'Union Européenne, y compris avec des subventions. Ils font apparaître un nouveau mécanisme capable d’influencer les opinions publiques sur n’importe quel sujet. En coulisses, d’autres acteurs troubles modèlent l’information, des think-tanks mais aussi diverses agences internationales du renseignement. Au sein de ce décor, le journalisme se transforme peu à peu en un inquiétant outil de contrôle et de surveillance des idées, avec des velléités de museler la liberté d’expression. L'Europe est-elle en train de devenir une prison digitale de l'information ?

PARTIE 6 - Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA), devenu Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) est chargé en France de faire fonctionner les rouages de "la loi infox". L’organisme se défend de "réguler les fausses informations" comme de démêler "le vrai du faux".

Pourtant, la conséquence de ses interventions est une censure systématique. En effet, une fois la justice saisie de façon accélérée, une fois des individus pointés du doigt comme des "désinformateurs", avant même que ne soit établis et vérifiés les faits, l'accès aux médias et à la libre expression sont suspendus. 

Tel gouvernement mis à mal par une démonstration de mauvaise gestion - voire de corruption - pourrait immédiatement se protéger en mettant sous contrôle la diffusion d'articles de presse ou décourager les éventuels lanceurs d'alerte.  

Mélange des genres

Victime de cette alliance entre le politique et les opérateurs de plateformes, ils n'auront alors plus qu'à se taire, à subir la machine judiciaire ou à trouver d'autres lieux d'expression. Lieux d'expression qui ne bénéficient pas d'une audience comparable, et restent soumis au joug technique des Big Techs (infrastructures, outils de développement). 

La loi sur la désinformation est en revanche très prompte à rappeler ses responsabilités à un service de télévision soutenu financièrement par un État étranger, qui porterait "atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation" en produisant des "fake news" en plein scrutin électoral.

L'ARCOM peut alors interrompre sa diffusion "sous influence". Le conflit russo-ukranien montre dernièrement l'action de ce mécanisme avec la censure de deux chaînes présentées comme "dépendantes de l'État russe", mettant plus d'une centaine de journalistes au chômage. 

Retour au siècle dernier, donc, lorsque le législateur avait peur d'une "nation déstabilisée" par "un récit venu de l'étranger" qui menacerait la cohésion du pays... Mais il apparaît quelques paradoxes et non des moindres. Voilà l'exécutif français inquiet quant aux "fausses informations" éventuelles liées à la guerre, qui seraient déclinés par des journalistes à la solde d'un pouvoir étranger. 

Cette inquiétude ne concerne pas les journalistes abreuvés de subventions étatiques... Ensuite, les Big Techs, dont on a vu l'influence en matière d'information ne sont jamais obligées de décliner leur origines "nationales", pourtant clairement liées à des pays puissants et influents (en premier lieu les Etats-Unis). 

Une différence de traitement entre "opérateur de plate-forme" et "chaîne audiovisuelle" qui serait "sous influence d'un État" identifiable qui fait apparaître un impensé. Qu’en est-il de l'hypothèse d'une désinformation créée ou relayée par une plate-forme ou un réseau social ? Une désinformation qui proviendrait donc des Big Techs elles-mêmes et irait, par exemple, dans le sens des intérêts de leurs pays d'origine ? La neutralité des multinationales du numérique est une impossibilité, ce qui ne dérange pourtant personne. Ne peuvent-elles pas de la même manière porter "atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation" à l'instar de ce qui est redouté pour une chaîne étrangère ?

États-nations contre Big Techs ? 

Leur origine étrangère est peu abordée alors que l'on parle de "protection de la nation" à tout-va dans le débat public et législatif. Pourtant, en contradiction avec les intérêts des États-Nations, les liens des Big Techs avec les services administratifs voire de surveillance de leur pays d’origine, qu'il s'agisse des États-Unis, de la Russie ou de la Chine pourraient représenter une source de désinformation ou au moins d'influence intéressée au service d'intérêts commerciaux ou culturels, dans un contexte géopolitique mondial de lutte économique sans pitié, mais aussi de soft power politique

Si cette idée d'intérêts fondamentaux de la "nation" semble oubliée, peut-être est-ce dû à une absence de réflexions ou à une crainte d’amalgame avec certains penchants : la xénophobie, la rhétorique guerrière, honnies par la gauche ; l'idée d'un repli économique sur soi, d'une vision passéiste imposant de coûteux services régaliens, vilipendés par la droite. 

Hélas, la nature politique ayant horreur du vide, délaisser des problématiques nationales à cause de leurs déviances éventuelles entraîne de même la mise à l'écart de ce qu’elles ont apporté comme conquêtes culturelles et sociales.

Citons par exemple la liberté d'expression, la sécurité sociale, ou une industrie autonome et innovante défendant a minima l'intérêt public, le marché du travail, bref, la société dans son ensemble. D'autres entités vont alors imposer leurs propres visées, liées à des intérêts particuliers, privés et financiers différents et entraîner éventuellement le développement de frustrations populaires, la haine de l'autre, la violence ou la déstructuration de l’économie nationale.

  • Prochaine partie : l'information vue par l'Union européenne et son commerce par une foule d'acteurs en coulisses

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