Accidents, assurances et argent public : le coût méconnu (et croissant) des dégâts du "grand gibier"

Auteur(s)
Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 18 septembre 2017 - 17:01
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Un sanglier.
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©Flickr/Creative Commons
Le sanglier est le principal responsable des sinistres estampillés "grand gibier".
©Flickr/Creative Commons
Le nombre croissant d'animaux de type "grand gibier" comme les sangliers ou les chevreuils fait grimper le nombre de sinistres et les ravages dans les cultures. Ce problème, issu notamment de la baisse du nombre de chasseurs, génèrent une perte pour les finances publiques qui essaient de se défausser sur les assurances. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, décrypte pour "FranceSoir" ce phénomène méconnu qui coûte presque aussi cher... que l'économie sur les APL!

D'ici à la fin du mois de septembre, nous connaîtrons la teneur du Projet de loi de finances 2018 (PLF) avec ses subtils équilibres entre les futures baisses d'impôts (réforme de l'ISF, flat-tax à 30% sur les produits de l'épargne, impôt sur les sociétés ) et les hausses ( fiscalité sur le diesel, CSG, etc ). De ce PLF, nul ne peut espérer voir la France être en situation d'équilibre budgétaire. La fourchette du déficit se situera entre 50 et 60 milliards contre 68 affichés l'an dernier avant les 8 milliards de sous-budgétisations débusqués par la Cour des comptes et jugés comme marques d'insincérité.

Depuis l'été, l'Etat et notamment Bercy traquent la moindre baisse de dépense possible: chacun a en tête les 150 millions d'économies sur les APL qui paraissent –et sont clairement– quantité négligeable au regard des dépenses consacrées au logement, soit 42 milliards. Sur ce point, on attend la réforme qui doit être rendue publique le 22 septembre. L'Etat agit sous la contrainte et dans l'urgence: il est rarement inspiré par la notion d'anticipation voire de prévoyance. En clair, il laisse en jachère des dossiers qui coûtent de plus en plus chers à la collectivité.

Pour illustrer la dictature du court-terme, il est approprié de se pencher sur une question qui est en-dessous de la couverture radar des médias. Il s'agit d'analyser la question des dégâts causés par le grand gibier, une appellation qui recouvre principalement les cervidés et les sangliers.

> Le gibier et la route

En une dizaine d'années, le péril grand gibier est devenu une réalité croissante pour bien des automobilistes car les populations enregistrent de sérieux taux de natalité et que la circulation automobile continue de croître.

Ainsi, près de 60.000 accidents de la route sont issus de collisions directes ou d'évitements de grand gibier. Le FGAO (Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, anciennement FGA: fonds de garantie automobile) avait enregistré 42.471 accidents (dont plus de 700 corporels et 40 décès) en 2008 contre 6.500 dossiers en 2007 du fait d'un changement des règles d'indemnisation. En effet, depuis le 1er juin 2007, l'abattement de 300 euros défalqué de chaque sinistre a été supprimé suite à la transposition de la 5e Directive européenne sur l'assurance automobile.

La croissance du nombre d'accidents est objectivement impressionnante: ainsi, on en compte désormais le double par rapport à l'année 2005. Si le FGAO est une structure de droit privé, elle couvre son budget par un prélèvement sur les primes automobiles ce qui finit par éloigner l'intérêt des pouvoirs publics sur cette question des sinistres issus du grand gibier et à plomber le portefeuille des assurés. Trois types de gibier, le sanglier (45%), le chevreuil (30%) et le cerf (8%) sont les principaux fléaux des conducteurs. Les onze départements ayant plus de 800 collisions par an, tous animaux confondus, étaient, en 2008, la Gironde (1.408), la Moselle (1.314), le Bas-Rhin (1.296), les Landes (1.033), la Seine-et-Marne (1.030), le Haut-Rhin (927), l'Indre-et-Loire (919), la Meurthe-et-Moselle (912), le Loiret (831), la Dordogne (817) et le Loir-et-Cher (804).

Juridiquement, les animaux sauvages sont considérés, en droit civil, comme une chose sans propriétaire "res nullius" et il faut savoir que le FGAO se limite à n'indemniser que les conducteurs qui ont assuré leur véhicule "au tiers", et à rembourser les franchises de ceux qui sont "tous risques". Sur les 143 millions d'euros versés par le FGAO en 2015 il faut donc ajouter l'ensemble des sinistres honorés directement par les assureurs. Le rapport d'activité du FGAO est couplé à celui du FGTI (pour les victimes d'attentats) et ne détaille pas le nombre de dossiers "gibiers".

Une chose est acquise, les sociétés d'autoroute consacrent chaque année davantage de ressources à entretenir leurs grillages plus sévèrement détériorés par les sangliers. L'autoroute A6, dans sa traversée de la Bourgogne, est un point de plus en plus dangereux.

Vies en danger, prix de la tôle froissée, peurs rétrospectives des conducteurs sont autant de signes patents de l'importance du phénomène.

> Le grand gibier et les cultures

Mais, parallèlement, on note un fort développement des dégâts aux cultures liés aux passages et à l'alimentation (surtout le maïs) du grand gibier. Une procédure d'indemnisation existe en ce domaine et comporte un barème d'indemnisation des dégâts. Pour actualiser ces données, il est réaliste de poser que le montant des indemnisations versées aux agriculteurs dépasse les 55 millions d'euros. C'est un tiers des fameux cinq euros des APL qui avait pour total 150 millions d'euros! Si on y ajoute les dégâts automobiles et corporels, cette question dépasse probablement "all-inclusive" le seuil de 100 millions d'euros.

Elle concerne la vie de dizaines d'automobilistes, le coût des assurances et les finances publiques. Qui s'en soucie?  Qui centralise un regard global sur cette question? Qui ne voit que la "déshérence cynégétique" (autrement la baisse du nombre de chasseurs) est à l'origine d'une pression de chasse incompatible avec le dynamisme de la reproduction du sanglier? Qui ne mesure les risques encourus par les riverains lorsque certains spécimens sont régulièrement repérés dans des jardins potagers de l'arrière-pays niçois ou dans les bourgs du Morvan?

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