Mort de Cédric Chouviat : comment les policiers se sont défendus face aux juges

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Par Guillaume DAUDIN - Paris (AFP)
Publié le 19 décembre 2020 - 11:32
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L'enquête sur le décès d'un livreur mort à Paris après un contrôle routier révèle "des éléments qui interrogent gravement", selon Castaner, qui appelle à ce que "toute la transparence soit faite".
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© FRED DUFOUR / AFP/Archives
Affaire Chouviat: le livreur a répété "j'étouffe" aux policiers
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Les quatre policiers impliqués dans la mort de Cédric Chouviat lors de son interpellation en janvier ont contesté devant les juges avoir perçu les "signes manifestes" de son asphyxie, assurant qu'ils auraient réagi s'ils avaient entendu ses derniers mots, "j'étouffe", selon des auditions dont l'AFP a eu connaissance.

Ce chauffeur-livreur de 42 ans a fait un malaise lors d'un contrôle routier le 3 janvier, près de la tour Eiffel, au cours duquel il a été plaqué au sol avec son casque sur la tête. Transporté dans un état critique à l'hôpital, il est mort le 5 janvier, provoquant une vive émotion.

Lors d'interrogatoires en juillet conclus par la mise en examen de trois policiers pour "homicide involontaire", les juges ont estimé qu'"il apparaît désormais établi que très rapidement (...), M. Chouviat présente les signes manifestes d'une grave difficulté ventilatoire et prononce les mots +j'étouffe+", "de façon répétée et de plus en plus atténuée", tout en "battant des jambes".

La scène a pu être reconstituée par un expert après l'analyse de 13 vidéos filmées avec des smartphones par le livreur --muni d'un micro sous son casque--, un des policiers et un témoin.

Les policiers, qui s'étaient dits "catastrophés" en entendant à l'IGPN en juin l'enregistrement sonore du livreur, ont affirmé devant les juges que ces mots, prononcés au moins sept fois, avaient été couverts par le "bruit" ambiant et les "klaxons", au bord d'une route très fréquentée.

"Si on avait entendu même une fois" l'expression "j'étouffe", "on se serait arrêtés", certifie Michaël P.

"Entendre (à l'IGPN, NDLR) la voix de M. Chouviat dire qu'il s'étouffe à plusieurs reprises, ça a été un choc très violent", affirme Arnaud B.

Deux des policiers déclarent bien avoir entendu M. Chouviat parler quand ils tentaient de le menotter, mais sans comprendre distinctement ses propos.

Dans leurs auditions du 3 janvier, plusieurs d'entre eux avaient pourtant affirmé que M. Chouviat les avait traités de "clowns" à ce moment précis, ce qu'ils ne soutiennent plus.

- "État de détresse" -

Les juges s'interrogent : pourquoi n'ont-ils commencé les gestes de secours qu'"à l'issue d'une période de flottement relativement longue" malgré "l'état de détresse (...) tout à fait évident" de M. Chouviat ?

La quatrième policière, Laura J., placée sous le statut de témoin assistée, explique qu'ils ont tardé à mettre un terme à l'interpellation, entamée à l'issue d'un échange houleux, car "tout le comportement (de M. Chouviat) faisait penser aux signes caractéristiques d'une rébellion".

"Je ne pouvais pas interpréter que (le livreur) était en train de s'étouffer", se défend aussi Ludovic F.

Les juges, qui interrogent longuement les policiers sur leurs gestes, identifient Michaël P. comme le principal mis en cause : ses "manœuvres" d'interpellation ont pu "compromettre gravement l'intégrité physique de M. Chouviat".

Le livreur était "plus fort que moi", plus "lourd", se défend ce policier. "C'est son poids qui m'a fait perdre l'équilibre" et les a fait chuter, assure-t-il.

Mais selon une note de l'IGPN révélée en juillet par Libération et Mediapart, ce chef d'équipe a plutôt "amené (M. Chouviat) au sol par le biais principalement d'un étranglement arrière", une technique dont l'ex-ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a annoncé en juin le futur abandon.

Michaël P., en larmes à la fin de l'interrogatoire, a précisé aux juges n'avoir "à aucun moment" perçu les signes d'une fracture du larynx de M. Chouviat.

Les juges ont demandé aux autres membres de l'équipage s'ils n'avaient pas manqué d'"attention" ou fait preuve de "négligence". Mais pour ces trois policiers, le contrôle routier a "dégénéré", du fait du "stress" et de M. Chouviat qui "vocifère".

Alors que la formation des policiers est parfois jugée insuffisante, l'équipage était composé de deux gardiens de la paix stagiaires : Ludovic F., 24 ans et Arnaud B., 29 ans.

Le premier explique : "Je venais d'arriver. C'était la première fois que je tournais avec mon chef de bord. Je devais être observateur." Le second avait "6 mois d'expérience" : "C'était ma première rébellion."

Michaël P., 33 ans, affirme, lui, qu'il était "fatigué" et à court de "rythme" après trois semaines de vacances.

La famille Chouviat a demandé à plusieurs reprises la suspension des policiers, en vain.

Les juges enquêtent désormais dans plusieurs directions : ils envisagent une reconstitution sonore des événements et attendent le retour d'une expertise médicale de synthèse.

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