Des déchets organiques au biogaz, parcours du combattant pour un agriculteur

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Par Kevin TRUBLET - Paris (AFP)
Publié le 27 février 2018 - 08:00
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Une usine de biogaz près de la ferme d'Arcy à Chaumes-en-Brie, à 60 kilomètres au sud-est de Paris, le 14 février 2014
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© ERIC PIERMONT / AFP/Archives
Une usine de biogaz près de la ferme d'Arcy à Chaumes-en-Brie, à 60 kilomètres au sud-est de Paris, le 14 février 2014
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Trahison, refus arbitraire, incohérence administrative: Laurent Paquin, agriculteur en Meurthe-et-Moselle, surmonte chacun de ces obstacles depuis 13 ans avec comme objectif d'installer un méthaniseur, une cuve valorisant les déchets organiques en source d'énergie (biogaz).

Afin d'éviter que cette histoire ne devienne un cas d'école, l'exécutif a annoncé la semaine dernière en amont du Salon de l'agriculture, la création d'un "fonds de prêts" de 100 millions d'euros. Un groupe de travail dédié à la méthanisation doit rendre ses conclusions le 26 mars.

C'est en 2005 que M. Paquin, encarté à la FNSEA, s'associe à 25 confrères pour construire un méthaniseur.

Après plusieurs années de déconvenues et d'abandons, à cause d'une réglementation encore partielle, le groupe trouve le terrain idéal mais se heurte à des "refus systématiques de la mairie" durant trois mois, à cause d'inimitiés personnelles.

Plutôt que d'entamer une bataille judiciaire, les agriculteurs préfèrent repartir de zéro et un nouveau projet voit le jour.

Mais au moment d'investir, plusieurs paysans, échaudés par les revers successifs, jettent l'éponge. Avec le recul, M. Paquin reconnaît qu'un groupe aussi nombreux constituait une erreur.

- Facture doublée -

Avec une poignée de membres, il décide néanmoins de poursuivre l'aventure.

"C'est là que les emmerdes ont commencé", lâche-t-il.

D'abord, un courrier les informe qu'ils doivent réaliser un diagnostic archéologique. Le délai d'attente: entre quatre et six mois pour une journée de fouilles là où il n'y a "rien à trouver", selon la responsable du chantier.

"Il a fallu presque huit mois pour obtenir le permis de construire", se désole M. Paquin.

A cette époque, Enedis leur signale qu'un des poteaux auquel ils souhaitent se raccorder est pourri et que c'est à eux qu'il incombe de payer son remplacement.

Surtout, pour des raisons pratiques, la filiale d'EDF souhaite raccorder le méthaniseur avec deux câbles au lieu d'un, doublant la facture à 100.000 euros.

En parallèle, le constructeur décide d'abandonner le projet.

"Nous n'avons toujours pas compris pourquoi", s'exaspère M. Paquin qui attend encore le remboursement des 11.000 euros versés.

- Production au point mort -

Mars 2017. Une nouvelle tentative est lancée. Entre-temps, le groupe a mûri son projet: il veut concentrer le digestat, le résidu issu de la méthanisation, en extrayant l'azote liquide et l'eau déminéralisée.

"On ne voyait que des avantages à ce système-là", autant d'un point de vue économique qu'environnemental, explique l'agriculteur.

Mais lorsqu'ils évoquent ce projet à la direction régionale de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, celle-ci les informe qu'elle ne pourra pas, pour ce système, leur verser la subvention promise de 130.000 euros, contrairement à la pratique dans d'autres régions.

Après d'âpres négociations, M. Paquin obtient gain de cause. "Mais à chaque fois on perd du temps, du temps, du temps", martèle-t-il.

Pour s'assurer qu'ils pouvaient rejeter l'eau déminéralisée, il a ensuite eu affaire à différentes agences, chacune se renvoyant la balle et peinant à trouver la réponse.

La Direction départementale de la protection des populations finit par lui rétorquer que l'eau sera "trop propre" et qu'elle va fragiliser la biodiversité. Par chance, la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement parvient à trouver une solution en lui conseillant d'installer un bac avec des cailloux pour "reminéraliser" l'eau avant de la rejeter.

"Mais tout se fait à l'arrache", s'insurge M. Paquin qui a parfois l'impression de flirter avec la légalité pour avancer.

"C'est à nous, agriculteurs, de réaliser une synthèse impossible à faire", poursuit-il, plaidant pour l'instauration d'un référent unique spécialisé dans la méthanisation.

Dernière péripétie en date: le cabinet d'études les a avertis qu'avoir l'entreprise enregistrée dans une commune et le projet de méthaniseur dans une autre risquait de freiner le raccordement, qui peut prendre jusqu'à 18 mois.

"Nous avons donc enregistré un établissement secondaire, là où nous allons construire le méthaniseur, soit en plein milieu du champ".

Problème: l'enregistrement ne peut s'effectuer qu'un mois maximum avant le démarrage de la production.

Qu'à cela ne tienne, le groupe déclare officiellement le lancement de la production. "De quoi? De rien! Aujourd'hui, nous avons deux numéros de SIRET (identification d'entreprise, ndlr), mais pas un litre de méthane qui sort!", dénonce M. Paquin, qui table sur un démarrage réel début 2019. C'est du moins ce qu'il espère.

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