Covid : l’affaire Lega est-elle la réminiscence de l’eugénisme et de l’euthanasie historiques de l’université de Lyon-1 ? (Partie 1)

Auteur(s)
Vincent Pavan pour France-Soir
Publié le 13 février 2024 - 18:46
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Marseille Lyon Tribune Vincent Pavan (Partie 1)
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Vincent Pavan nous explique que Marseille fut sans doute la première capitale de la Résistance. Et que le fait que de nombreuses figures refusant le narratif officiel lié au Covid soient originaires de la ville n'est sans doute pas le fruit du hasard.
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I) L’idéologie : sa construction, ses résistances, sa généalogie

Le 2 janvier 2024, le journal Biomedecine et Pharmacotherapy publiait en ligne un article dont le Pr Jean-Christophe Lega était l’auteur correspondant. Rapidement diffusé dans la presse, grâce à une intense promotion assurée par le Pr. Mathieu Molimard, de l’université de Bordeaux, le papier connut une destinée planétaire, et fut commenté jusqu’aux Etats-Unis (Newsweek, le 5 janvier 2024).

Le résultat principal de cette étude ? Entre le début de l’épidémie de Covid et la mi-juillet 2020, dans six pays différents (France, Angleterre, Italie, Espagne, Turquie et Etats-Unis), l’emploi de l’HCQ (hydroxychloroquine) pour traiter les malades hospitalisés du Covid aurait causé une mortalité excessive de 16990 personnes. Pas moins !

En France, l’étude a permis à de nombreux chroniqueurs, médecins et autres journalistes, invités sur les radios, les télévisions et ou encore interviewés dans la presse écrite de déclencher une immense campagne de dénigrement à l’encontre du Pr. Didier Raoult, principal promoteur d’un traitement à base d’HCQ contre la maladie respiratoire. Cible des attaques manifestement largement orchestrées, les résultats publiés par une équipe de l’IHU-Méditerranée et soutenus par le Pr. Peter McCullough, affirmant la réduction spectaculaire de mortalité par Covid-19 des patients ayant reçu un traitement précoce adapté à base d’HCQ.

Rapidement pris à partie par des chercheurs venus de différents pays et de différentes disciplines, l’article de Pradelle et al. fut l’objet de critiques extrêmement sévères dans la communauté universitaire. Parmi ces dernières, celles qui furent produites par Emmanuelle Darles, Xavier Azalbert et moi-même, lors d’une intervention publique du Conseil scientifique indépendant (CSI) le 18 janvier 2024.

Il faut impérativement rappeler une chose : l’article de Pradelle et al. n’a rien à voir avec de la science, au sens précis où le philosophe l’entend : un lien entre les choses de la logique et la logique des choses. La démarche des auteurs constitue un calcul purement spéculatif, ne cherchant jamais à se confronter réellement aux faits. Ainsi, l’ambition était la suivante : si l’on part de l’hypothèse que les patients hospitalisés pour Covid, sous traitement HCQ, meurent plus que ceux qui ne sont pas traités, combien de décès supplémentaires cela représente-t-il ? Comme on le voit, la conclusion se trouve déjà dans l’hypothèse et le but principal de l’article procédait d’une intention purement communicationnelle : celle de traduire un indicateur de surmortalité (putative) que personne ne sait interpréter dans l’opinion publique (en l’occurrence un Odd Ratio, OR), essentiellement obtenu sur une seule étude largement biaisée (Recovery), en un chiffre saisissable, comptable, capable de sidérer ceux qui l’entendent.

Pour parvenir à leurs fins, les auteurs ne reculèrent devant aucune forme d’artifice : non seulementla formule mathématique permettant de traduire la valeur de l’OR en décompte macabre était fausse, mais qui plus est, les cohortes de patients Covid hospitalisés étaient infondées, tandis que les taux statistiques de mortalité intervenant dans le calcul étaient étrangement manipulés. On achevait finalement la spéculation en évitant soigneusement toute forme de comparaison avec les études observationnelles là où c’était pourtant possible. Il faut donc le répéter, car il s’agit là d’un élément important du débat : l’article de Pradelle et al est de la pure idéologie. Très précisément au sens où la philosophe Hannah Arendt définit cette notion : “Une idéologie est très littéralement ce que son nom indique : elle est la logique d’une idée. L’émancipation de la pensée à l’égard de l’expérience”(Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme).

Comme si, soudain, de nouvelles lois s’invitaient dans la discussion prétendument scientifique

Il s’agit ainsi de construire un discours, un logos, une série d’implications logiques, à partir d’une proposition littéralement axiomatique, sans lien avec le réel, le sensible ou l’expérience. Précisément donc la démarche des auteurs, qui naviguent ainsi à l’exact opposé de la science.  Pour reprendre Hannah Arendt: “Une idéologie diffère d’une simple opinion en ce qu’elle affirme détenir la connaissance profonde de lois universelles cachées censées gouverner et la nature et l’homme.” En l’occurrence, il s’agissait ici de vouloir faire croire qu’un médicament pourtant prescrit à des milliards de doses ne soignait pas, et présentait même des aspects particulièrement dangereux pour ceux qui l’ingéraient. Comme si, soudain, de nouvelles lois, régissant la nature et les hommes, s’invitaient dans la discussion prétendument scientifique. L’idéologie donc, dans toute sa splendeur.

La question centrale qui suit immédiatement un tel constat devient alors celle de la mise en lumière du thème ultime agissant dans la démarche des auteurs. Quelle est, en effet, l’idée irréductible, dont les signataires n’ont vraisemblablement pas même conscience, qui les pousse à commettre un tel acte de fiction autour de l’HCQ, une telle agression contre la science, une telle action idéologique ?

Comprendre les raisons à partir desquelles les agents prennent leurs décisions, agissent, prennent position dans les débats, notamment dans le champ universitaire, constitue une des grandes interrogations de la sociologie (mais aussi de la psychologie), sur lesquelles Pierre Bourdieu, par exemple, développa de nombreux travaux. Disons qu’il existe un principe de non-conscience (sociologique) qui a en outre toutes les chances d’interagir avec un principe d’inconscience (psychanalytique) pour permettre de rendre intelligible l’action. Et si nous ne dédouanons pas les auteurs de l’article frauduleux de leurs responsabilités, acte pour lequel ils devront effectivement s’expliquer devant une commission d’enquête, voire une commission disciplinaire, en revanche, nous restons convaincus que la part la plus significative de leur action doit plutôt à des effets de structures agissant en dehors de la conscience qu’à une logique pratique parfaitement maîtrisée. Dit autrement, les auteurs sont moins l’incarnation des salauds sartriens organisant leurs actions à partir d’une pensée préalable totalement transparente à elle-même, que l’incarnation d’une banalité médiocre et arrogante que des forces extérieures se chargent de faire agir dans une direction qu’ils ne maîtrisent pas.

Ce que nous allons tenter de montrer et de rappeler ici, c’est le fait qu’entre Lyon et Marseille, des forces et des idées historiques, évidentes quoique cachées, à la fois solidement arrimées au présent bien qu’ancrées dans le passé, agissent de façon réelle dans la vie des acteurs, notamment ceux des champs intellectuel, artistique, médical et universitaire, dans lesquels de profondes scissions sont apparues depuis l’évènement de Sars-Cov-2 au printemps 2020.

Le champ intellectuel marseillais engagé dans la parole critique

S’il y a, en effet, une chose qui n’a cessé de m’interroger parce que je la vis au quotidien, c’est bien celle de comprendre pourquoi le champ intellectuel marseillais s’est si fortement engagé dans une parole critique et une résistance farouche à l’encontre des idées et des politiques menées par le gouvernement d’Emmanuel Macron depuis le printemps 2020. On n’en finirait plus de citer les noms parmi les plus connus et reconnus des scientifiques, médecins, chercheurs et artistes ayant pris des positions publiques à l’opposé des discours officiels, aussi bien ceux de la presse que ceux de l’exécutif et des relais dont il dispose. Rappelons néanmoins quelques noms.

Il y a Didier Raoult, bien sûr, avec, derrière lui, un grand nombre de médecins et de chercheurs de l’IHU-Méditerranée Infection. Louis Fouché avec tout le collectif de Reinfo Covid (et ce n’est pas rien), mais également Laurent Mucchielli, Jean-Marc Sabatier, Claude Escarguel, Hélène Banoun, Akhenaton (chanteur emblématique du groupe IAM),  Tristan Edelman (philosophe et chorégraphe, animateur d’un art critique au théâtre Toursky, grand pourfendeur de la censure), Kenny Arkana qui défilait avec les manifestants lors des protestations contre le pass sanitaire, où l’on retrouvait également Etienne Chouard, professeur d’économie engagé de longue date dans le combat constitutionnel, ainsi que l’association Bonsens.org ; et finalement moi-même avec l’association que je préside, Reinfo Liberté. Et encore, il ne s’agit là de ne citer que certaines des personnes dont le journal France-Soir a largement relayé la parole.

Ce n’est donc évidemment pas un hasard si c’est à Marseille, à l’IHU-Méditerranée Infection, les 30 et 31 mars 2022 (et malgré toutes les pressions inimaginables qui se sont abattues sur les organisateurs), que s’est tenu, en France, le seul Congrès international sur un bilan scientifique critique des mesures sanitaires (International Covid Summit).

A l’inverse, en ce début d’année 2024, Lyon et son université Claude-Bernard constituent aujourd’hui un des lieux du scandale, celui de l’affaire Lega, probablement l’une des plus grandes fraudes scientifiques du XXIe siècle en France, à peu près aussi inquiétante que celle du "Lancet Gate" en juin 2020, et qui restera de façon évidente comme l’emblème historique de l’imposture scientifique au pays de Descartes.

Pourquoi, entre Lyon et Marseille, une telle opposition dans les dynamiques, une telle scission dans les pratiques ? Voilà une interrogation qui paraît de nature à éveiller la curiosité. Pour tenter d’y voir plus clair, de mieux comprendre la situation, ce que nous allons essayer d’explorer au fond, c’est la généalogie de l’action : tenter de retrouver, dans l’histoire, les traces des forces agissantes, qui gouvernent encore aujourd’hui de manière effective, quoique sans doute de façon non consciente, les pratiques. Pour cela, il faut en passer aussi bien par l’histoire des personnes elles-mêmes que par celle des lieux et des institutions dans lesquels elles évoluent. En passer par les idées donc, qui se fixent plus ou moins durablement en certains endroits, dans certaines institutions, et qui diffusent ensuite sur les temps longs. A la fois hors d’atteinte des consciences et partout présentes autour d’elles.

II) Marseille et la mémoire vivante de la “résistance humanitaire” 

Un jour d’automne 2020, alors que je rencontrai pour la première fois Louis et Carole Fouché, le couple m’emmena avec ses enfants pour une petite balade autour du château Pastré. Un endroit singulier, pas trop loin de leur domicile. Et c’est là, au cours de cette promenade, que Louis m’instruisit un peu sur l’histoire de la ville. Sur l’esprit qui habite ses murs.

Il faut savoir que Pastré constitue à Marseille un des hauts lieux de la Résistance en Provence. L’histoire de la comtesse Lily Pastré, la Bonne Mère des artistes, et de son allié Varian Fry, le journaliste américain, Juste parmi les nations, qui fut missionné à Marseille pour venir en aide aux artistes et aux intellectuels juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Difficile de raconter en quelques lignes ce passage si singulier de la mémoire marseillaise, même si nous allons en donner quelques éléments.

Lily Pastré était une riche héritière marseillaise, bienfaitrice des arts, épouse d’un aristocrate local — son voisin — qui lui offrit le titre de comtesse en même temps que le mariage. De sa vie, la journaliste Laure Kressmann, qui lui a consacré une biographie, explique : “La comtesse Lily Pastré (1891-1974), riche héritière marseillaise, femme excentrique, romanesque, généreuse et grande mélomane, s’engage à partir de 1940 dans une résistance qui ne dit pas son nom. Elle transforme sa maison de Montredon à quelques kilomètres du centre-ville de Marseille en refuge pour les artistes et les intellectuels en danger.”

Marseille, première capitale de la Résistance

Ainsi, il y avait bien plus, chez Lily Pastré, qu’une simple aristocrate dépensant son argent pour le lustre ou le plaisir. Il ne s’agissait pas de reproduire à Marseille les Années folles parisiennes, pour ne pas voir la guerre et ses conséquences. Au contraire, il s’agissait de la regarder en face, cette guerre, et de prendre sa part dans le travail de résistance et de sauvetage des personnes menacées par l’idéologie nazie. Celle qui pourchassait les juifs, d’autant plus qu’ils étaient artistes, intellectuels, scientifiques. Comme le rappelle Laure Kresmann : “Au lendemain de l’armistice, Marseille, le plus grand port d’Europe en zone libre, qui permet de quitter la France, devient la ville de tous les espoirs. Les hôtels et les cafés sont bondés, les gens dorment n’importe où, dans les gares et sur les bancs de squares. Et parmi les Français et les étrangers qui arrivent, on trouve de nombreux militants politiques, d’intellectuels et d’artistes, dont beaucoup sont juifs.”

Lily utilisa ainsi son statut, son argent, son esprit et sa connaissance des arts pour venir en aide à la culture européenne qui fuyait les menaces. En 1940, après la défaite française, la cité phocéenne constituait ainsi un point de passage incontournable pour ceux qui devaient se protéger des persécutions idéologiques, comme le rappelle la mairie de Marseille.

Mieux structurés, des mouvements se constituèrent ; leurs noms étaient explicites : Combat, Libération, avant Francs-Tireurs. “L’Armée de l’ombre” allait engager sa lutte armée. Ainsi, Marseille devint la première capitale de la Résistance, avant Lyon et Paris.

Ainsi, c’est bien l’appel marseillais au combat, allié à la ferveur luxuriante d’une passion pour l’art qui guidèrent Lily Pastré. Sans crier gare, l’esprit résistant de la ville s’invita soudainement dans sa vie de mécène pour transformer son goût pour la culture en une mission irremplaçable : sauver ceux qui la produisent. Jusqu’où Lily a-t-elle “théorisé” son engagement dans la Résistance ? Difficile de l’évaluer puisque manquent manifestement les documents historiques pour répondre à cette question. Mais il semble beaucoup plus raisonnable de penser que c’est la sensibilité particulière de Lily à l’art, son éducation dans un catholicisme réellement humaniste (à l’image, par exemple, de l’anarchisme chrétien de Simone Weil auquel on pourrait tenter de la rapprocher) qui vont naturellement rencontrer les structures résistantes de Marseille pour former ce qu’un historien baptisera “la résistance humanitaire”. Celle matérialisée par l’alliance de Lily Pastré avec Varian Fry.

L’histoire de Varian Fry mérite également qu’on s’y arrête quelques instants. Non seulement parce qu’elle semble injustement oubliée, mais aussi parce qu’elle permet de redécouvrir les racines généalogiques de la résistance marseillaise d’aujourd’hui. Ce fameux esprit qui semble flotter et dont on cherche à trouver l’origine. Comme le précisait Laure Kressmann : “Lily et Varian Fry ont tous deux connu la lumière et sont tombés pendant des années dans l’oubli et l’indifférence. Il faudra attendre 1995 pour que Varian Fry devienne le premier américain à être honoré comme Juste parmi les nations par Yad Vashem, à Jérusalem.”

Varian Fry était un journaliste américain, secrètement envoyé en mission en France — sous couvert d’action humanitaire pilotée par le comité de sauvetage d’urgence — avec une liste originelle de 200 intellectuels européens, le plus souvent juifs, à sauver des persécutions idéologiques. Radio-France rappelle le parcours aussi héroïque qu’imprévu que traversa le journaliste américain : “Mandaté par un comité de secours américain, Varian Fry (...) a pour mission de fournir des visas à deux cents personnalités, des politiques, des artistes, des intellectuels pris au piège dans la France de Pétain. Arrivé pour 15 jours, l’Américain se battra en réalité pendant un an à Marseille, se démenant sans relâche contre les autorités de Vichy, mais aussi contre celles de son propre pays. N’hésitant pas à user de moyens illégaux, il réussira l’exploit de faire sortir quelques deux mille personnes de France.”

Et l’on ira même jusqu’à dire qu’il sauva environ 4000 personnes des persécutions et des morts programmés qui les attendaient. De la même manière que Lily se laissa sans doute porter par l’esprit de résistance qui traversait la ville durant la guerre, Varian Fry dépassa le strict cadre de la mission qu’on lui avait confiée. Non sans risque, non sans imagination, non sans génie. Parce que Varian trouva des ressources qu’il n’avait pas a priori et qu’une administration américaine parfois réticente ne lui accordait pas forcément. Varian entra dans l’illégalité malgré la surveillance permanente de Vichy. Il fut fréquemment interrogé par la police française, qui décida finalement de l’expulser. Le journaliste américain eut parfois à jouer contre la frilosité de son propre pays dans les politiques de visa. Ainsi que le rappelle une page qui lui est consacrée : “Fry fut grandement aidé par Hiram Bingham IV, vice-consul américain à Marseille, qui combattit l’antisémitisme du département d’Etat et sa politique frileuse en matière de visas. Hiram Bingham IV n'hésita pas à délivrer des milliers de visas, vrais ou faux.”

Intrication entre l’art et la Résistance

A Marseille, les truands aussi aidèrent parfois la Résistance. Moins par idéal évidemment que par intérêt, mais comme souvent en période de contrôle autoritaire des Etats sur les populations, ce sont parfois dans les villes où existe l’habitude de fonctionner en dehors des règles que l’on trouve des moyens pour faire fonctionner la résistance. Ainsi Varian Fry s’appuya-t-il aussi sur le marché noir, les structures de contrebande déjà opérantes, pour organiser efficacement la clandestinité, les fuites illégales vers des pays européens plus sûrs, à partir desquels les personnes prises en charge purent finalement trouver asile aux Etats-Unis. Un travail d’un incroyable courage et d’une incroyable ingéniosité. Ainsi, comme on peut le rappeler : “Visas et faux papiers furent organisés par tous les moyens disponibles, y compris des contacts avec le milieu marseillais. Ils sont finalement près de deux mille à en bénéficier, généralement des intellectuels ou des artistes de renom comme Claude Lévi-Strauss, Max Ernst, André Breton, Hannah Arendt, Marc Chagall, Lion Feuchtwanger, Heinrich Mann, Walter Mehring, Alma Mahler, Anna Seghers, Arthur Koestler, Jacques Hadamard ou Otto Meyerhof.”

Comme on le voit, la liste des personnes extirpées des griffes de la persécution impressionne par l’importance intellectuelle et artistique qu’elle représente. Il n’est pas faux de dire que la culture mondiale d’après-guerre n’aurait pas été la même sans Lily Pastré et Varian Fry. Le journal Les Echos, saluant la biographie d’Olivier Bellamy sur la comtesse (La Folie Pastré, Grasset, 2021), rallonge encore un peu la liste de ceux qui furent aidés durant les heures sombres de l’histoire : “[Lily] a passé sa vie à protéger les artistes. Pendant la guerre, la campagne Pastré fut une véritable plaque tournante, un asile pour artistes en difficulté, Samson François, Lily Laskine, Clara Haskil, Darius Milhaud, gamme superbe. Bien sûr, la comtesse a soutenu l'épopée de Varian Fry, du nom de cet Américain qui, au départ de Marseille, réussit à exfiltrer des milliers d'artistes.”

Il importe ici de comprendre un aspect structurel important de l’action de Lily et de Varian : l’intrication entre l’art (et plus généralement la créativité intellectuelle) et la Résistance. Pour une raison simple : ce sont souvent les artistes, les plus créatifs des intellectuels, les moins conformes des penseurs qui, les premiers, dénoncent la mise au ban, l’abandon des plus fragiles, des laissés-pour-compte. L’artiste réellement créateur, l’intellectuel sortant du cadre, le poète toujours maudit, ces acteurs comprennent sans doute mieux que les autres la condition de l’Homo sacer, cette figure agambienne de l’homme qui ne vaut plus rien. Derrière l’art, la culture et le travail intellectuel critiques, il y a quelque chose qui dérange. Dès le début de l’évènement Covid, on a étiqueté comme non essentiels tous ceux qui travaillaient dans l’art et la culture. A tel point que la mère du philosophe Mehdi Belhaj Kacem, gardienne de musée dans des conditions très précaires, soudainement sans revenus à cause de la fermeture de son lieu de travail durant le premier confinement, se suicida par manque de moyens, pour ne pas avoir à mendier sa survie. Ainsi, c’est parce que l’on associe le plus souvent les artistes à l’inutilité, celle de leur vie, qu’ils peuvent sans doute mieux que les autres comprendre le sort de ceux que l’on renvoie à l’inutilité et à la dangerosité de leur être (les Juifs, les handicapés physiques, mentaux, les fous que l’on attache si souvent à la figure de l’artiste). Le poète est aussi dangereux qu’inutile. Son discours détourne de la rationalité des lois de la nature. Il subvertit la perception scientiste du réel. On doit le chasser de la cité. La résistance aux régimes totalitaires trouve ainsi souvent sa source dans l’humanisme profond des artistes sincères, des scientifiques imaginatifs, des intellectuels doxophobes. Ceux-là peuvent s’unir et se retrouver dans une forme d’humanité impérieuse pour aider les plus faibles, les plus démunis, les plus nécessiteux, les moins aptes à se défendre. 

Le service MIA de Parola et Raoult, hommage à Akhenaton

Dans une vidéo du 19 avril 2022, intitulée “Marseille, tais-toi !”, le Pr. Raoult rappelait l’intrication entre les maladies infectieuses et la pauvreté, ainsi que le besoin impérieux d’aller à la rencontre de la misère, comme le font les artistes engagés, esprit qui accompagnait l’IHU bien avant même sa création (et l’accompagne toujours) : “Pendant 20 ans, j’ai travaillé pour éradiquer une épidémie de poux et une épidémie qui s’appelle la fièvre des tranchées chez les SDF, qui sont deux foyers dans les quartiers nords. [...] Les pauvres, il n’y en a pas que dans les quartiers nords, il y en a au centre, au sud. [...] Vous savez, les maladies infectieuses, ce sont surtout des maladies de pauvres. Et on s’en est beaucoup occupé. Et notre attachement à Marseille est très particulier. Je voulais expliquer à Akhenaton, qui aime bien l’IHU, que l’on a créé à un moment avec Philippe Parola un service de maladies infectieuses aiguës avant la création de l’IHU. On cherchait un nom et Philippe Parola finalement a proposé de l’appelé le MIA (pour Maladie infectieuses aiguës, NDA) qui est une chanson célèbre du groupe IAM (dont Akhenaton est le chanteur, NDA). C’était pour nous un hommage au chanteur de Marseille. C’est bien, sans qu’il le sache, qu’il nous renvoie cet hommage.”

On comprend dans les paroles de Didier Raoult que c’est l’esprit de la ville qui s’invite, ou, comme il le dit; “notre attachement à Marseille”. Cet attachement qui renvoie manifestement à un sentiment inconscient, quoique vivant, guidant l’action présente. Il semble peu probable que Raoult et Akhenaton aient à l’esprit la généalogie structurelle qui les anime. Mais dans l’alliance réciproque qui les attache, il apparaît évident que c’est l’union entre Varian Fry et Lily Pastré qui se reconstitue : quand l’intellectuel spécifique (ici le médecin à la place du journaliste) et l’artiste authentique (Akhenaton en lieu et place de Lily Pastré) comprennent que c’est à nouveau l’humanité qu’il s’agit de prendre en charge. Pour la sauver de l’idéologie, pour recueillir tous les Homines sacri laissés à l’abandon, avec la disparition comme seule perspective. A Marseille, dès 2020, c’est effectivement une “résistance humanitaire” qui se dessine à nouveau. Notamment, et c’est un point important comme nous le verrons, dans les EHPAD.

Cette résistance non consciente, celle de “l’attachement à la ville”, elle se double, chez Louis Fouché et Didier Raoult, d’une mémoire familiale assumée et opérante : celle d’un héritage qui ranime le passé résistant dans le présent de l’action.

Le site Horodote.net raconte une partie de l’histoire familiale de Didier Raoult, de sa mère (une infirmière, née Francine Legendre) et de son père (André Raoult, un médecin militaire). Et comment cette famille tout entière fut engagée dans la Résistance. D’abord à travers l’image de Lucienne Legendre, grand-mère de Didier, et mère de Francine, qui fut déportée. Mais surtout par l’implication d’André Raoult dans le réseau Mithridate. Comme le souligne l’historien Philippe Chapelin : “Pendant la Guerre, André Raoult est un membre du réseau de résistance franco-britannique Mithridate des Forces françaises combattantes (FFC), groupe spécialisé dans le renseignement militaire, en liaison avec le MI6.”

Or, il apparaît, comme le rappela Didier Raoult lui-même, que c’est bien dans ce réseau que son père rencontra - à Marseille — le grand-père de Louis Fouché, Albert Favreau, lui aussi engagé dans la Résistance. Albert Favreau était instituteur avant la Seconde Guerre mondiale. Sous-lieutenant à la mobilisation, il fut fait prisonnier par les Allemands en défendant un pont avec sa section. Il parvint à s’évader au prix d’une volonté farouche et d’un courage remarquable, et rejoignit la Résistance. Il s’installa alors à Vichy, ce qui le rendit invisible pour l’ennemi, caché au cœur même de la tempête, avec ses enfants et sa femme qui, elle, dissimulait à son insu une famille juive dans leur cave. Il réussit même à garder toujours un œil sur les siens, malgré la prise du maquis. Il resta dans l’armée après la guerre et devint général de corps d’armée à la fin d’une vie au service de son pays. C’est durant ses années de Résistance qu’il œuvra au sein du réseau Mithridate et rencontra André Raoult à Marseille (les informations sur Albert Favreau ont été en partie fournies par sa famille, NDA). Ainsi, entre Didier Raoult et Louis Fouché, c’est à nouveau à Marseille que se reconstruit l’esprit de Résistance. Le passé se projette dans le présent sans qu’il n’y ait aucun hasard à tout cela. Et, s’il y a une petite Lili qui grandit chez les Fouché aujourd’hui à Marseille, non loin du parc Pastré où s’est établie la famille, c’est précisément en hommage à la comtesse. De sorte que l’association que cette dernière avait créée pour venir en soutien aux artistes et aux savants, la bien nommée Pour que l’esprit vive, continue précisément de s’incarner et de vivre dans les âmes et dans les corps. D’Akhenaton à Raoult en passant par Fouché et tous ceux que nous avons identifiés à Marseille, c’est, comme on le voit, l’esprit de la Résistance qui s’est reconstitué et qui anime les acteurs de la ville. Il n’y a décidément pas de hasard.

Pas de hasard dans le fait que le livre qui fit le succès de Louis Fouché s’intitule Tous résistants dans l’âme. Pas de hasard non plus dans le fait que Didier Raoult analyse la discrimination des soignants suspendus à celles des Juifs en France durant Vichy. Dans tous les cas, ce qui se dessine entre Marseille et Lyon, c’est le retour du passé, entre une ville qui a pu et su faire réémerger les figures positives de sa Résistance, et une autre ville qui ne peut se débarrasser des figures malsaines du passé, qui hantent toujours son présent. Dans les deux cas, une généalogie, mais qui ne prend pas ses racines du même côté. Celui de la Collaboration à Lyon, et celui de la Résistance à Marseille.

Il est tout à fait clair qu’il a existé dans les deux villes des personnes et des structures, pour certaines qui ont résisté et pour d’autres qui ont collaboré. Mais grâce à Louis Fouché et à Didier Raoult, de par leur histoire personnelle, grâce à Akhenaton, Kenny Arkana et Tristan Edelman, grâce à la ville, c’est la réactivation du réseau Mithridate et des figures de Lily et Varian qui survivent à Marseille. Là où à Lyon hélas, les voix de la Résistance sont à nouveau inaudibles (bien qu’elles existent et ne demandent sans doute qu’à sortir de leur mutisme, ce à quoi nous les encourageons de toutes nos forces), et où reviennent sournoisement, quoique de façon finalement explicite, Paul Touvier et Alexis Carrel. De même que la livraison de Jean Moulin fut liée à l’infiltration et la déconstruction du réseau Mithridate, la nouvelle déconstruction de la résistance marseillaise (se débarrasser de Didier Raoult et Louis Fouché, par l’intermédiaire de François Crémieux, directeur de l’AP-HM, dont chacun trouvera dans l’histoire les figures de comparaison) doit faire triompher à Lyon — par son université et sa médecine — les voix et les voies de la nouvelle idéologie eugéniste et euthanasiante. Celle d’Alexis Carrel qui se réinvite ainsi de façon aussi claire qu’évidente dans l’article de Pradelle et al, initié par Lega et soutenu par Molimard, sans même qu’aucun des auteurs et des acteurs n’en ait évidemment conscience. Voilà pourquoi la généalogie, interrogation philosophique systématique du passé, est aussi fondamentale. Celle que Foucault et Agamben utilisent pour rendre intelligible le moment présent. Et dans laquelle nous allons nous plonger s’agissant de comprendre les forces impitoyables agissant aujourd’hui à Lyon...

Vincent Pavan est mathématicien et enseignant-chercheur.

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