Macron contre Le Pen : les trouillards contre les perdants

Auteur(s)
Pierre Lécot, pour FranceSoir
Publié le 19 avril 2022 - 13:43
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Macron - Le Pen
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Joel Saget - Eric Feferbegr - AFP
Macron contre Le Pen: les trouillards contre les perdants
Joel Saget - Eric Feferbegr - AFP

TRIBUNE — Voilà, nous avons les résultats du premier tour de l'élection présidentielle. Après une non-campagne, des bides incroyables lors des rares sorties publiques, un refus de débat, des petites primes grossières et électoralistes, des scandales énormes (Rothschild et McKinsey pour ne citer que les deux derniers), Emmanuel Macron est tout de même arrivé en tête des suffrages exprimés avec près de 28% des voix, soit un million de plus qu’en 2017. Faut-il accumuler plus de preuves pour déduire que ce qu’on appelle “démocratie”, c’est la dictature du troupeau qui suit la télé ?

Ceux qui ont peur de perdre leurs miettes

Les sondages diffusés par la presse sont unanimes pour dire que les électeurs de Macron ont plus de 65 ans. L'infographie diffusée par Les Echos en témoigne très bien.

Le deuxième public visé est le cadre ou petit patron aisé. Cette différence est toutefois moins marquée que l’âge.

Le résumé des deux informations se trouve dans le niveau de revenu : plus le foyer est aisé et plus il vote Macron.

Ce résultat se retrouve parfaitement en comparant le taux de pauvreté monétaire par département diffusé par l’Insee et le résultat des élections diffusé par Franceinfo.

Le vote Macron, c'est donc le vote de ceux qui considèrent avoir quelque chose à perdre : retraite ou situation professionnelle confortable. Macron, ce n’est pas que le candidat des milliardaires, c’est aussi celui des kapos du système.

Finalement, après toutes les crises de ce quinquennat, tous les trouillards sont rangés bien gentiment derrière le petit père de la nation.

L’électeur de Macron a eu la trouille des Gilets jaunes. Il les considère “incultes et irrationnels”. Les cadres du centre-ville (qui vont au boulot en trottinette) et les retraités de bord de mer (qui vont chercher leur baguette de pain à pied), ne comprennent pas que les ouvriers se plaignent de la hausse du prix de l’essence. Aucun d’entre eux n’envisage que la politique HLM a tout simplement détruit le logement populaire en ville et oblige ceux qui n’ont ni les moyens d’avoir un duplex, ni le droit d’accéder aux logements sociaux, de faire des dizaines de kilomètres en voiture pour essayer de gagner leur vie. Cela fait pourtant presque 10 ans que Christophe Guilluy explique ce phénomène des perdants de la France périphérique. L’électeur de Macron ne se considère pas comme un perdant, c’est un gagnant qui mérite la protection du chef, justement contre les perdants.

L’électeur de Macron a la trouille de perdre sa retraite. Chacun sait que le candidat veut augmenter l’âge de départ à 65 ans. Comme toutes les réformes ayant eu pour objectif de grignoter la retraite pour faire préférer la capitalisation auprès des grandes banques privées, elle ne concerne pas ceux qui en bénéficient déjà. Il s’agit donc de pousser dans la gueule du loup les travailleurs d’aujourd’hui tout en promettant aux retraités actuels qu’on fait tout ça pour sauver leur retraite. L’électeur de Macron considère avoir mérité sa retraite, le chef lui a promis de la protéger contre les nouvelles générations qui voudraient la lui prendre.

L’électeur de Macron a la trouille du Covid-19. Il considère que le confinement total était juste et proportionné face à la pandémie. Il considère qu’on doit pouvoir exclure de tous les services publics ceux qui refuseraient de faire leur piqûre ou qui ne voudraient pas se “tester” pour prouver qu’ils sont “sains”. Il considère normal d’enfermer les enfants, de les bâillonner toute la journée si c’est pour le protéger, car les enfants ne sont que des “vecteurs de contamination”. Le chef lui a promis qu’il imposerait une nouvelle dose de rappel, le passe sanitaire ou de nouveaux confinements pour le protéger des nouveaux virus.

L’électeur de Macron a la trouille de Vladimir Poutine. Il a découvert l’existence du Donbass lorsque la Russie l’a envahie en février. Auparavant, la guerre n’existait pas, il n’a visiblement jamais entendu parler d’Euromaïdan ou des accords de Minsk. L’électeur de Macron pense avoir démasqué le vrai responsable qui pilotait les Gilets jaunes ou qui distribue les “fausses informations” sur les vaccins sûrs et efficaces : le président russe. Le chef lui a promis qu’il le protégerait et empêcherait la Russie d’envahir la France en aidant les gentils Ukrainiens du bataillon Azov. Évidemment, à plus de 65 ans, l’électeur de Macron est également protégé du fait d’être en première ligne du front.

Plus que tout, l’électeur de Macron de plus de 65 ans découvre et entretient ses trouilles grâce à la télé à laquelle il est accro. Pendant cette période pré-électorale, de nombreux sondages réalisés sur les réseaux sociaux ont montré des intentions de vote au premier tour radicalement différentes de ce que nous avons vécu. Le premier tour de la présidentielle française est toujours déterminé par la télé, qui fait son audimat sur la propagande de la peur quel que soit le sujet.

La deuxième branche du vote Macron, les “gagnants” (ou kapos) du système, est historiquement de “gôche”. On y retrouve les lecteurs du Monde ou de Libé, presse qui a conspué aussi bien les Gilets jaunes que les “antivax” ou les “anti-ukrainiens”, rangeant tout ce monde derrière la bannière du “complotisme” ou du “pro-Poutine” (puisque chacun sait que les complotistes sont membres d’un grand complot russe voulant faire tomber le système). Pour mémoire, en 2012, Mélenchon et Hollande totalisaient 40% des voix au premier tour, alors qu’en 2022, Mélenchon et Hidalgo totalisent 22% des voix. Les 18% qui manquent ne sont pas au PC, ils forment aujourd’hui une grosse part de LREM. L’électorat Macron est aussi bien l’électorat PS qu’UDI ou UMP.

Cette prépondérance de la télé et des médias mainstream explique aussi pourquoi Macron a parfaitement réussi à invisibiliser les autres candidats en refusant les débats télévisés. Il savait qu’il allait profiter du principe de la “prime du sortant” (le président en fonction a la garantie d’un grand nombre de voix rien que parce qu’il est connu). Sa stratégie d’empêchement du débat a orienté par la même occasion tout vote contestataire vers le personnage construit par Mitterrand pour servir d’épouvantail depuis 40 ans : Le Pen.

Ceux qui ont déjà tout perdu

L’autre gagnante de l’élection présidentielle est Marine Le Pen. Elle a également bénéficié de l’absence de débat, puisque son nom est déjà bien connu. Finalement, c’est bien en n’annonçant rien du tout qu’elle s’est assurée de ne pas faire de faux pas. Il suffisait d’attendre que le vide laissé par les autres candidats que ce soit par leur absence médiatique ou la diabolisation du candidat Zemmour, lui profite.

Le France qui vote Le Pen est la France pauvre et périphérique. De plus en plus nombreuse, elle est le symbole des “perdants de la mondialisation”. Ces territoires connaissent à la fois une destruction de leurs emplois et une forte immigration qui met en concurrence tous les pauvres sur le marché du travail. Les territoires du Nord en ont été les premières victimes de la délocalisation des mines et des usines dans les années 80, alors que les gouvernements français avaient fait venir des centaines de milliers de Polonais puis d’Italiens, puis d’Algériens pour venir y travailler et baisser le coût de la main d’œuvre. Il a toujours été bien plus rentable de faire venir de la main-d'œuvre pas chère, plutôt que d’augmenter les salaires ou la sécurité dans les usines ou les mines. Le Sud de la France a également connu ces fortes vagues migratoires en provenance d’Italie ou d’Afrique du Nord. Dans tous les cas, les arrivants ont été mis en concurrence avec les plus pauvres, parqués tous ensemble dans des immeubles construits à la va-vite et laissés sur place quand les entreprises ont délocalisé. Le tout payé par les impôts, promu par les politiques de droite comme de gauche et au plus grand profit du grand capital, qui lui, reste à Paris pour continuer de financer les politiques.

Le vote Le Pen est celui d’une France qui souffre d’une situation qui empire depuis 40 ans et à qui on n’offre pas d’alternative. C’est également la France oubliée de Mélenchon qui pour le coup semble aussi borgne que son grand ennemi.

L’arbitre borgne

Le nombre de voix pour le candidat Mélenchon a progressé de 700 000 entre 2017 et 2022. Seulement dans le même temps, le nombre de voix pour le candidat PS a diminué d’1,6 million. Peut-on alors réellement parler de progrès, quand il était clair depuis le début de la campagne présidentielle qu’il serait le seul candidat éligible affiché à gauche ?

En 2017, le programme de la France insoumise semble pourtant parfaitement conscient des problèmes de pauvreté auxquels sont soumis les oubliés de la France périphérique. Ces derniers subissent la double peine de gagner peu d’argent, mais en plus d’avoir vu partir la totalité des services publics qui autrefois maillaient le territoire français (écoles, gares, hôpitaux, etc.). Malgré ces intentions claires, je peux témoigner en tant que militant de terrain à l’époque n’avoir pas vu les efforts nationaux se mobiliser vers ce public. Déjà, la seule pauvreté dans le scope de la hiérarchie de la France insoumise étaient les quartiers HLM dans grandes villes, vers lesquelles se dirigeaient exclusivement les “caravanes insoumises”. Il y avait donc déjà les prémices d’une pauvreté reconnue, visible, à soutenir et aller chercher, et encore la même pauvreté oubliée. En 2017, la répartition n’était toutefois pas aussi caricaturale, les contributeurs au programme étant nombreux, de plusieurs bords et transdisciplinaires. Sur le terrain, nous avons connu l’association des souverainistes considérant "le programme” comme garantie pour le futur pouvoir, et des socio-démocrates se raccrochant à “l’appareil politique” issu du Parti de gauche. Ces derniers mettant même en doute le bien-fondé d’une stratégie de discussion avec la France périphérique, les considérant infréquentables en tant qu’électeurs RN.

À la suite de la défaite du premier tour, les insoumis ont pu découvrir que les anciens ténors du Parti de gauche avaient pris le pouvoir, se plaçant dans les circonscriptions gagnables (Ugo Bernalicis, Éric Coquerel, Alexis Corbière, Bastien Lachaud, Michel Larive, Jean-Luc Mélenchon, Adrien Quatennens), avec quelques places choisies pour le mouvement Ensemble! (Clémentine Autain, Danièle Obono, Caroline Fiat) qui pourtant ne pesait rien électoralement.

Ce “putsch” de la France insoumise s’est confirmé aux élections européennes pour lesquelles fut parachutée Manon Aubry en tête de liste, ayant fait toute sa carrière dans des ONG et dont les militants n’ont jamais entendu parler (ce qui est donc l’opposé complet d’un souverainisme populaire). Les derniers éminents membres du Parti de gauche ne sont pas oubliés pour cette élection (Leïla Chaibi, Manuel Bompard).

Les années suivantes ont vu le départ d’un certain nombre de personnages du mouvement (Georges Kuzmanovic, Liêm Hoang-Ngoc, Charlotte Girard, Jacques Généreux, Alexis Poulin). La FI s’est d’ailleurs renommée “Union populaire” avant la présidentielle tout en “lissant” son programme, en particulier vis-à-vis de l’UE.

Finalement, cinq ans après ce putsch, ce sont les résultats électoraux qui parlent le mieux de la France insoumise : “Mélenchon fait carton plein dans les grandes villes”. Au-delà du carton plein, c’est plutôt la dynamique qui est intéressante : l’Union populaire a investi les villes et les DOM-TOM, mais déserté les campagnes.

Finalement, la faible augmentation du nombre d’électeurs de Mélenchon cache une vraie évolution : ce sont désormais des citadins. En ville, se retrouvent à la fois les jeunes écolos-bobos-de-gauche et les pauvres des banlieues HLM. La pauvreté officielle reconnue par l’électeur de Mélenchon est celle qu’il côtoie au quotidien et oublie entièrement celle qu’il ne voit pas.

Pour mémoire, la France insoumise a “tardé” à soutenir les Gilets jaunes, ayant peur que ce mouvement soit “issu de l’extrême droite”. Cette méfiance n’est que le reflet de la méconnaissance de l’appareil envers la pauvreté de la campagne française.

Alors, insoumis ?

Le 24 avril va se jouer le dernier round entre ceux qui ont déjà perdu et ceux qui ont peur de perdre. Au milieu de ce match, le candidat Mélenchon se présente comme arbitre, avec une réserve de voix pouvant faire pencher la balance d'un côté ou de l’autre. Il a déjà choisi, comme en 2017 de rejoindre le “gagnant” et n’a d’autre objectif que “d’imposer une cohabitation” (comme en 2017, avec le succès que l’on a vu).

Il est peut-être temps que tous les “perdants”, des villes comme des champs, se rendent compte qu’ils sont dans le même bateau, pour les mêmes raisons et à cause des mêmes personnes. Il n’y a aucune raison de penser que ceux qui sont responsables de la situation actuelle et qui ont juste la trouille de perdre ce qu’ils ont, vont apporter quoi que ce soit de bon. En 2017, il y a déjà un certain nombre d’insoumis qui n’avaient pas obéi au chef Mélenchon. C’est d’ailleurs la caractéristique principale d’un insoumis d’être libre. Le 24 avril, soyez libres. De toute façon, quel que soit le gagnant, il faudra continuer à se battre chaque jour pour empêcher le prochain monarque présidentiel de faire n’importe quoi, et essayer de le forcer à défendre nos intérêts. Finalement, le 24 avril, il faut choisir celui des deux contre lequel on préfère se battre : celle qui n’a pas d’appareil en place et qui va devoir composer avec les forces en présence, ou celui qui va appuyer sur l’accélérateur du rouleau compresseur qu’il a déjà démarré il y a cinq ans.
 

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