Loi Travail 2017 : comment la justice pourrait juger illégales pour partie les ordonnances rendues publiques ce jeudi

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Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 31 août 2017 - 15:06
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Le Conseil constitutionnel, à Paris, le 18 mars 2017
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© Jacques DEMARTHON / AFP/Archives
Les recours devant le Consiel constitutionnel s'annonce délicat pour les ordonnances.
© Jacques DEMARTHON / AFP/Archives
Les ordonnances sont maintenant connues. Au-delà de la réponse de "la rue", c'est un combat plus discret mais plus complexe qui commence: les probables recours devant le Conseil constitutionnel. Et face au nombre élevé d'articles du code du travail concernés, ainsi qu'à la détermination des opposants, certaines mesures pourraient être abandonnées faute de conformité juridique. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, décrypte pour "FranceSoir" le bras de fer légal qui s'annonce.

Soucieux de ne pas trop dédier de temps aux débats parlementaires, le gouvernement a choisi la voie de l'article 38 de la Constitution qui définit les modalités du recours à la procédure des ordonnances, dont Edouard Philippe et Muriel Pénicaud ont dévoilé le contenu ce jeudi 31. La loi d'habilitation a été votée début juillet et la loi de ratification devrait être votée début octobre.

Plusieurs débats juridiques se posent et notamment les effets éventuels d'un ou de plusieurs recours devant le Conseil constitutionnel. Celui-ci est très attentif au fait que la loi d'habilitation ait bien pris le soin de préciser les "finalités des mesures" susceptibles d'être prises par voie d'ordonnance.

Autrement dit, il ne faut pas que le texte des ordonnances présenté par le Premier ministre excède les finalités définies par la loi d'habilitation.

Parallèlement, si les ordonnances entrent effectivement en vigueur dès leur publication au Journal officiel, elles demeurent des actes administratifs tant qu'elles n'ont pas été ratifiées par une loi.

Selon l'expression retenue par le Conseil constitutionnel, les ordonnances sont "des actes de forme réglementaire" et le demeurent "tant que la ratification législative n'est pas intervenue" et à la condition qu'elles aient "fait l'objet du dépôt du projet de loi de ratification prévu par l'article 38 de la Constitution".

Si on imagine mal le gouvernement Philippe laisser passer la date butoir fixée par la loi d'habilitation (ce qui entraînerait la caducité des ordonnances), il n'en demeure pas moins que toute ordonnance non encore ratifiée peut faire l'objet d'un contentieux administratif: soit directement, soit par la voie d'un recours pour excès de pouvoir. Autant de clapets ouverts pour des forces contestataires de toute sorte, politique ou syndicales.

Comme pour les décrets, le Conseil d'État est compétent pour connaître des recours formés contre les ordonnances.

Le juge administratif vérifie alors que l'ordonnance dont il doit apprécier la légalité a bien été prise "dans le respect des règles et principes de valeur constitutionnelle, des principes généraux du droit qui s'imposent à toute autorité administrative ainsi que des engagements internationaux de la France" (arrêt du Conseil d'État du 4 novembre 1996).

Or les principes généraux du Droit sont un vaste domaine qui peut venir étriller des textes aussi disruptifs que ces ordonnances de 2017 réformant le code du travail. Les ordonnances prennent force de loi suite au vote favorable de la loi d'habilitation sous réserve que celle-ci ne soit pas déférée devant le Conseil constitutionnel et partiellement invalidée. Dans ce cas, les articles dits "retoqués" reprennent simple force règlementaire mais sont généralement abandonnés car dépourvus de conformité juridique.

Face aux ordonnances Travail, il n'est pas interdit de penser que les cinq textes de plusieurs centaines de pages comportent des zones potentiellement litigieuses. Il faut en effet rappeler que le bloc de constitutionnalité auquel se réfère le Conseil constitutionnel inclut le Préambule de la Constitution de 1958 mais aussi celui plus interprétatif de la Constitution de 1946. L'article 8 de ce dernier énonce: "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises". Ce texte du milieu du XXe siècle pourrait fort bien représenter une herse pour certaines dispositions des ordonnances. 

Autant dire que si le gouvernement a voulu aller vite par le recours à cette urgence parlementaire spécifique, les DRH et autres praticiens du monde de l'entreprise seraient bien inspirés d'attendre de voir la tournure des recours à venir qui ne dépendent que de 60 députés ou sénateurs (article 54 de la Constitution).

A moins que fort habilement, le président de la République ne décide, de lui-même, de saisir le Conseil avant la promulgation de la loi (article 61) ce qui ne laisse, "en cas d'urgence" demandé que huit jours aux Sages pour statuer.

Si le feuilleton social et contestataire (autrement dit "la rue") est peut-être sur le point de commencer, le feuilleton juridique et judiciaire me semble sincèrement devant nous.

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