Quarante ans après, le retour d'un Rohingya dans l'impasse des camps de réfugiés

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Par AFP
Publié le 18 octobre 2017 - 11:26
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Le réfugié Rohingya Fazol Ahmed lors d'un entretien avec l'AFP dans le camp de Kutupalong au Banglad
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© Munir UZ ZAMAN / AFP
Le réfugié Rohingya Fazol Ahmed lors d'un entretien avec l'AFP dans le camp de Kutupalong au Bangladesh, le 13 octobre 2017
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L'exil a une saveur amère, et Fazol Ahmed la connaît bien. Presque quarante ans après avoir fui au Bangladesh les violences en Birmanie, puis bénéficié d'un programme de rapatriement, l'Histoire se répète pour ce Rohingya: le voilà de retour dans l'impasse des camps de réfugiés.

C'est assis sur un banc de bambous dans une allée du dantesque camp bangladais de Kutupalong, où la jungle de tentes de plastique a remplacé celle de la végétation, que l'AFP le rencontre. "La dernière fois, il y avait moins de monde", relève, en connaisseur, ce fermier au collier de barbe noire où se détachent de longs poils blancs.

Après avoir échoué une première fois au Bangladesh en 1978, lorsque sa famille a fui une vague de violences contre leur minorité dans l'État birman du Rakhine (ouest), ce musulman rohingya a cet été à nouveau perdu son foyer, et dû courir s'abriter en terre étrangère.

Comme lui, plus d'un demi-million de Rohingyas sont passés depuis fin août au Bangladesh voisin pour échapper à ce que l'ONU considère comme une épuration ethnique.

Son témoignage met en perspective les pourparlers entre la Birmanie et le Bangladesh - qui accueille désormais près d'un million de Rohingyas - autour d'un éventuel retour de réfugiés au Rakhine. Il illustre les limites de ces programmes de rapatriement dans une région enferrée dans un cycle sans fin de haine et de violence.

- Huit mois de camp -

Fazol dit avoir 41 ans mais les indications de son récit laissent à penser qu'il en a plutôt dix de plus. Sans papiers, car considérés par la Birmanie comme des étrangers, nombre de Rohingyas ignorent leur âge exact.

Troisième de six enfants, Fazol vient d'une famille d'agriculteurs du village de Shil Khali, dans le district de Maungdaw. Ils possédaient deux hectares de rizières. On lui demande s'il se souvient d'une enfance heureuse. Il fait non de la tête, parle de harcèlement des Rakhines bouddhistes ou de l'armée contre sa communauté, d'exactions.

"Ils kidnappaient des jeunes gens. Ils en tuaient certains et demandaient des rançons pour les autres", affirme-t-il.

En 1978, la répression contre les Rohingyas monte d'un cran: "On ne pouvait plus le supporter".

Ses parents prennent leurs enfants sous le bras et quittent précipitamment leur village par peur d'une attaque. Le Bangladesh est tout proche. La rivière Naf, qui forme une frontière naturelle, n'est qu'à une heure de marche et le fleuve se franchit en une demi-heure de bateau.

Fazol reste huit mois au Bangladesh. Comme lui, environ 200.000 Rohingyas auraient fui durant cet exode. Au terme d'un accord entre Dacca et Rangoun, les réfugiés sont finalement autorisés à revenir en Birmanie.

Après deux jours de détention dans un camp côté birman pour des interrogatoires, Fazol et sa famille retrouvent leur maison endommagée et leurs cultures détruites.

"Nous sommes allés dans les collines et avons coupé des arbres pour reconstruire la maison. Il nous a fallu trois à six mois pour se remettre à travailler normalement", raconte-t-il.

Mais "quand la vie a recommencé, que tout le monde avait retapé son habitation, que les commerces fonctionnaient à nouveau, que le travail de la ferme avait repris, les bouddhistes ont recommencé à venir pour extorquer de l'argent".

Les décennies passent. Cinq ans après leur retour, son père meurt. Fazol se marie à 28 ans. De cette union naissent quatre garçons et deux filles.

- Survivre de feuilles -

Fin août dernier, quatre jours avant l'Aïd, le Rohingya se prépare pour la première prière de la journée lorsqu'il entend des explosions. Il se précipite dehors. À environ un kilomètre de distance, des feux brûlent.

"L'armée tirait au lance-roquette sur les maisons et les mosquées."

Les assaillants arrivent par le nord et le sud, ce qui laisse à Fazol et aux siens - qui habitent au centre du village - une fenêtre pour se précipiter dans la jungle. Tapi dans l'épaisseur de la végétation, il observe l'attaque dans l'espoir de pouvoir retourner dans sa maison pour y récupérer des affaires.

"J'ai vu les soldats emmener des femmes dans les maisons."

"J'ai vu des jeunes enfants qui se faisaient égorger."

"Les militaires ont rassemblé les hommes sur le bord de la route. Ils étaient ligotés dans le dos. Ils hurlaient +maman, papa!+."

La tuerie dure trois heures. Aspergées d'essence, les chaumières sont incendiées. Sous ses yeux, Fazol voit son village, sa vie, partir en fumée. Comprenant qu'il n'y a plus de retour possible, il va rejoindre sa famille cachée dans les collines.

Pendant deux jours, ils survivent en mangeant des feuilles d'arbres. Avant de finalement se résoudre, accablés par un sentiment de déjà-vu, à prendre une fois de plus la route du Bangladesh, la route de l'exil.

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