Forfait jours : une modernisation qui fait craindre le recours au "travail gratuit"

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La rédaction de FranceSoir.fr avec AFP
Publié le 16 décembre 2016 - 13:57
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Un homme qui travaille sur son ordinateur avec un café.
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©Axelle B/ Public Domain
Le forfait jours permet de rémunérer le salarié en fonction du nombre de jours travaillés à l'année
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Le "forfait jours", en vigueur dans de nombreuses entreprises, pourrait encore s'étendre, mais syndicats, salariés et avocats mettent en garde contre l'absence de garde-fous pour empêcher son utilisation abusive, à laquelle la loi travail entend remédier.

A un moment où les outils numériques effacent les limites entre vie professionnelle et vie privée, rendant difficile la mesure de la charge de travail, syndicats, salariés et avocats dénoncent un dispositif qui encourage le "travail gratuit" au détriment de la santé des salariés, dans un contexte de chômage massif où la peur de perdre son emploi prime.

Spécificité française dérogatoire aux 35 heures instaurée en 2000, le forfait jours permet de rémunérer le salarié en fonction du nombre de jours travaillés à l'année (218 jours maximum, 235 sous certaines conditions) et non d'horaires hebdomadaires.

Il exonère donc l'employeur du paiement des heures supplémentaires et prévoit uniquement un temps de repos légal (11 heures par jour et 35 heures consécutives par semaine). En échange, le salarié gère son temps de travail comme il l'entend et bénéficie de jours supplémentaires, en plus des congés payés. Il gagne aussi 5% de plus que les autres en moyenne, selon les statistiques du ministère du Travail.

Pour être pratiqué, le forfait doit être encadré par un accord d'entreprise ou de branche et accepté par le salarié. Il concerne plus de 13% des salariés, soit environ 1,5 million de personnes: près de 50% des cadres (surtout dans la banque, la communication, l'informatique) et 3% des non-cadres.

Mais "les entreprises ont utilisé le forfait jours pour augmenter la charge de travail", déplore auprès de l'AFP Jérôme Chemin, de la CFDT cadres, qui évoque la "peur de représailles", l'augmentation des burn-out, des cas de dépressions et de suicides.

Pour Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC chez Orange, et cadre soumis à ce régime, "le forfait jours ne tient plus ses promesses". Aujourd'hui, "quand on est cadre, la pression est forte et dans une période de fort chômage, personne ne se ménage", souligne-t-il.

A la Caisse d'épargne, "on traite les dossiers chez nous, avec nos smartphones", regrette l'un de ses cadres sous couvert d'anonymat. Or, le forfait jours avait été conçu pour permettre aux cadres, plus autonomes dans l'organisation de leur travail, de bénéficier d'une réduction effective du temps de travail.

Nombre d'entreprises ont récemment durci le régime: EDF a proposé un forfait de référence de 209 jours, soit "7 à 16 jours de plus" qu'avant, signé par 89% des quelque 28.000 cadres.

Chez Areva, des négociations visant à "harmoniser" à la hausse la durée annuelle du travail pour les cadres au forfait jours doivent débuter en janvier, dans un contexte de réduction drastique des effectifs.

Horaires à rallonge, temps de repos quotidien non respecté... Le forfait jours a entraîné des dérives: le Comité européen des droits sociaux a condamné trois fois la France pour son insuffisance à protéger efficacement les salariés contre une durée de travail excessive.

La Cour de cassation a invalidé 11 accords de branches non conformes, et des employeurs ont été condamnés pour travail dissimulé, comme le groupe bancaire BPCE.

La loi travail a intégré la jurisprudence de la Cour de cassation, en stipulant que les accords collectifs devront déterminer "les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié". Mais elle ne dit pas comment.

Elle "ne sécurise rien", affirme Emmanuel Dockes, avocat du droit du travail, pour qui "il aurait fallu qu'elle exprime très clairement un certain nombre de conditions pour la validité des conventions collectives". "C'est un pansement sur une jambe de bois", abonde Sylvain Niel, du cabinet Fidal qui conseille plusieurs grands groupes.

L'Ugict-CGT met en garde contre un dispositif qui, mal encadré, permet d'"institutionnaliser le travail gratuit". Jean-Luc Molins, l'un de ses responsables, évoque le cas de la SNCF, qui a décidé de proposer aux salariés un "référentiel-cadre" de 214 jours. Il rappelle qu'une expertise du cabinet Secafi a établi qu'un tiers des personnels travaillait entre 50 et 65 heures par semaine dans les établissements chargés notamment de l'entretien des infrastructures, avec des pics à 70 heures.

 

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