Au Nicaragua, le président Ortega lâché par les milieux d'affaires

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Par Julia RIOS - Managua (AFP)
Publié le 31 mai 2018 - 10:29
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Un manifestant masqué pointe un mortier artisanal lors des manifestations contre le gouvernement nicaraguayen à Masaya le 28 mai 2018
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© INTI OCON / AFP
Un manifestant masqué pointe un mortier artisanal lors des manifestations contre le gouvernement nicaraguayen à Masaya le 28 mai 2018
© INTI OCON / AFP

Malgré son passé de guérillero, ils étaient un soutien clé de son gouvernement: les milieux d'affaires du Nicaragua ont pris cette semaine leurs distances avec le président Daniel Ortega, confronté à une vague de contestation qui a fait au moins 92 morts depuis la mi-avril.

Patron du principal groupe nicaraguayen, qui porte son nom, et homme le plus riche du Nicaragua, Carlos Pellas, 65 ans, a asséné un grand coup mercredi en plaidant pour une élection présidentielle anticipée, avant l'échéance prévue de 2021.

"De mon point de vue, et c'est quelque chose de largement partagé dans le secteur privé, il faut trouver une sortie ordonnée, dans le cadre constitutionnel, ce qui implique des réformes incluant une élection (présidentielle) anticipée au Nicaragua", a déclaré M. Pellas au journal La Prensa.

Cette prise de position marque un tournant de la part des milieux d'affaires, jusque-là favorables au président Ortega.

A son retour au pouvoir en 2007, après avoir dirigé le pays de 1979 à 1990, l'ancien guérillero âgé de 72 ans a en effet misé sur le secteur privé, en instaurant le "modèle de consensus" qui implique les entreprises dans la prise de décisions et le vote de lois les concernant.

Mais il est confronté depuis le 18 avril à une vague de contestation sans précédent, déclenchée par une réforme des retraites abandonnée depuis, mais vite devenue un mouvement général de rejet du chef de l’État, accusé de confisquer le pouvoir et de brider les libertés dans le pays.

A la pointe du mouvement, les étudiants ont accusé les milieux d'affaires d'avoir permis les abus du gouvernement ces dix dernières années et de garder "un silence complice" depuis le début des manifestations.

Le puissant Conseil supérieur de l'entreprise privée (Cosep) a rétorqué que, depuis le 18 avril, "toute réunion avec le gouvernement a été suspendue, en rejet de la répression" dénoncée par la communauté internationale.

Mardi, il est allé plus loin en appelant ses représentants occupant des postes de direction dans des organismes ou entreprises de l’État à "démissionner immédiatement".

- "Guerre sale" -

Oscar Pellas, président du groupe homonyme, un conglomérat présent en Amérique centrale, aux Caraïbes et aux États-Unis, avait jusque-là gardé le silence. Il l'a rompu mercredi en dénonçant la violence des forces de l'ordre.

M. Pellas s'est déclaré "indigné et très blessé" par "la violence disproportionnée avec laquelle le gouvernement a répondu aux demandes des étudiants et de la population en général".

Le bilan établi mercredi par l'AFP sur la base des déclarations de la police et du Centre nicaraguayen des droits de l'homme (Cenidh) était de 92 morts.

Autre patron influent, le président du groupe financier Lafise, Roberto Zamora, a demandé dans un communiqué "que ce soit la volonté populaire, à travers des élections anticipées, qui établisse la justice, la démocratie et la liberté" dans le pays.

La crise semble sans issue immédiate malgré l'accord trouvé lundi entre gouvernement et opposition pour reprendre leur dialogue, sous l'égide de l’Église catholique.

Les détracteurs de M. Ortega réclament son départ immédiat et l'organisation d'élections anticipées cette année.

M. Ortega a répliqué mercredi en assurant devant des milliers de ses partisans rassemblés dans le nord de Managua qu'il ne quitterait pas le pouvoir. "Le Nicaragua nous appartient à nous tous et nous restons tous ici", a-t-il lancé à la foule.

Parallèlement, la violence des groupes paramilitaires proches du gouvernement continue de susciter l'indignation.

"Ici, ce que nous avons, c'est une guerre sale" contre la population, a dénoncé mardi la militante nicaraguayenne des droits de l'homme Bianca Jagger, une claire référence à la répression d’État exercée dans plusieurs pays d'Amérique latine des années 60 aux années 90.

Le gouvernement est "en train de tuer (les jeunes) comme des chiens" avec ses agents anti-émeutes, "préparés comme à la guerre", a-t-elle affirmé lors de la présentation d'un rapport d'Amnesty International selon lequel "le gouvernement nicaraguayen a utilisé des groupes armés ou parapoliciers" pour réprimer les manifestations.

Mercredi, l'opposition a de nouveau manifesté "pour exiger la justice", en solidarité avec les mères dont les enfants sont morts, ont disparu ou ont été incarcérés lors des manifestations.

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