Au procès Charlie, l'horreur, la "culpabilité" et la "détresse" de survivants de la tuerie

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Par Valentin BONTEMPS, Anne-Sophie LASSERRE - Paris (AFP)
Publié le 08 septembre 2020 - 18:46
Mis à jour le 09 septembre 2020 - 10:34
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Corinne Rey, alias Coco, à la cour d'assises de Paris le 8 septembre 2020
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© Thomas SAMSON
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Corinne Rey, alias Coco, à la cour d'assises de Paris le 8 septembre 2020
© Thomas SAMSON / AFP

"J'avais accepté de mourir à ce moment là": au procès des attentats de janvier 2015, des survivants de la tuerie de Charlie Hebdo ont replongé mardi devant la Cour d'assises spéciale dans "l'horreur" du carnage auquel ils ont assisté "perdus" et "impuissants".

"C'est l'impuissance qui est le plus dur à porter dans ce qui s'est passé": les mains jointes sur le pupitre, la dessinatrice Corinne Rey, alias Coco, cherche ses mots en agitant les doigts, la gorge nouée par l'émotion.

"C'était l'effroi en moi. C'était la détresse, je n'arrivais plus à réfléchir", ajoute la caricaturiste, veste kaki et cheveux noirs rassemblés en chignon, en racontant s'être "longtemps sentie coupable".

Le 7 janvier 2015, c'est elle qui avait composé le code de la porte d'entrée, sous la menace d'une kalachnikov, qui a permis aux frères Chérif et Saïd Kouachi de pénétrer au sein de la rédaction et d'y commettre leur carnage.

"Ils m'ont dit: +on veut Charlie, on veut Charb+. J'étais dévastée, comme dépossédée de moi, je n'arrivais plus à rien", raconte la dessinatrice. "Je sentais que les terroristes approchaient de leur but, je sentais une excitation à côté de moi".

A peine entrés dans les bureaux, les terroristes tirent sur Simon Fieschi, webmaster de l'hebdomadaire. L'aîné, Saïd, monte la garde dans l'entrée, quand le cadet, Chérif, se rue dans la salle de réunion. Coco, elle, court se cacher sous un bureau.

Depuis la salle de rédaction, Sigolène Vinson, ancienne avocate devenue chroniqueuse judiciaire pour l'hebdomadaire, entend deux coups de feu. "J'ai croisé le regard de Charb: je pense que Charb avait compris", confie la quadragénaire, jean délavé et baskets noires.

- 'C'est mon tour' -

Chérif Kouachi entre alors dans la salle et ouvre le feu sur les personnes présentes. "Ce n'était pas des rafales, c'était des coups secs, des bruits sourds", précise la journaliste, qui a alors "rampé" pour se réfugier près d'un muret.

"Un silence s'est fait, un silence de plomb comme je n'en ai jamais entendu", raconte Sigolène Vinson, qui a alors entendu des bruits de pas: "j'ai compris que le tueur m'avait vu et qu'il me suivait. J'ai pensé +c'est mon tour+".

Mais son tour ne vient pas: Chérif Kouachi se penche vers elle et lui dit qu'il l'épargne "parce qu'il ne tue pas les femmes", explique la journaliste avant de s'interrompre quelques instants, prise de sanglots.

Lui aussi dans la salle, le journaliste d'investigation Laurent Léger ne doit son salut qu'à un "réflexe de survie", qui l'a fait se jeter sous une table.

La tuerie "était destinée à tout le monde. J'ai eu une chance inouïe. J'ai eu un réflexe quasi animal, pour échapper à ce déluge de balles, de feu et de mort", témoigne le survivant, en décrivant d'une voix calme une scène "épouvantable".

Au total, dix personnes sont mortes sous les balles des terroristes au sein de la rédaction, dont les caricaturistes emblématiques Charb, Cabu et Wolinski. Un "massacre" qui hante encore les souvenirs des survivants, cinq ans après l'attaque.

- 'Ils sont tous morts' -

"Il y avait des éclats d'os qui brillaient partout, c'était des paillettes. Et de la matière que j'ai identifié comme de la cervelle... Quelques secondes avant c'était de l'intelligence, c'était de l'humanisme, c'était de l'humour", lâche Sigolène Vinson, avec des mots aussi crus que poétiques.

Sur les bancs de la salle d'audience comme dans les box où se trouvent une partie des 14 accusés, jugés pour leur soutien aux frères Kouachi et à Amédy Coulibaly, tueur de l'Hyper Cacher, un lourd silence s'abat.

"J'ai enjambé les corps. J'ai pris mon téléphone, appelé les pompiers et j'ai dit +ils sont tous morts+", poursuit Mme Vinson, son masque imbibé de larmes. "Un doigt s'est levé au fond de la salle: +non, moi je ne suis pas mort+. C'était Riss", désormais directeur de la publication du journal.

"C'est le talent qu'on a tué ce jour là, c'étaient des modèles pour moi", juge Coco en rendant hommage, comme les autres "victimes sans blessures apparentes", aux disparus. "C'étaient des gens d'une extrême gentillesse qui avaient une manière d'être drôles ... C'est pas facile d'être drôles, mais ils y arrivaient très bien".

Cinq ans après cette attaque qui a décimé la rédaction de l'hebdomadaire, Coco continue de dessiner pour Charlie Hebdo afin d'"exorciser". Sigolène Vinson a "fui" près de la mer, dans le sud de la France. Laurent Léger continue de publier des enquêtes, mais plus pour Charlie.

Les témoignages des survivants se poursuivent mercredi matin avec celui de Riss.

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