Avec les armes de guerre, la violence tribale change de braquet en Papouasie

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Par Andrew BEATTY - Pilikambi (Papua New Guinea) (AFP)
Publié le 06 décembre 2018 - 07:15
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Israel Laki chez lui à Mount Hagen, le 22 novembre 2018 en Papouasie-Nouvelle-Guinée
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© Peter PARKS / AFP
Israel Laki chez lui à Mount Hagen, le 22 novembre 2018 en Papouasie-Nouvelle-Guinée
© Peter PARKS / AFP

Le "bon vieux temps" d'Israel Laki, c'est celui où les tribus de Papouasie-Nouvelle-Guinée réglaient leurs embrouilles avec honneur, c'est-à-dire avec des arcs et des flèches. C'était avant les armes automatiques et le carnage en cours dans les montagnes reculées.

Pendant des siècles, les peuplades des Hautes-Terres, dans le coeur longtemps demeuré impénétrable de la Papouasie, se sont combattues avec des armes traditionnelles comme l'arc, la lance ou la hache.

Mais l'arrivée récente et massive d'armes de guerre comme les M16 ou les fusils FN a changé la donne, menaçant de transformer la moindre querelle en boucherie.

Israel Laki, un barbu sec et énergique de 69 ans, qui vit dans la province d'Enga où les premiers Occidentaux ne mirent les pieds que dans les années 1930, conserve littéralement sur lui les souvenirs des combats passés.

Pour lui rendre visite dans son village, il faut aujourd'hui prendre un vol d'une heure de Port Moresby jusqu'à Mount Hagen, la quatrième ville de Papouasie, au centre du pays, puis faire en voiture une heure et demie de piste en terre difficile.

Sur le torse, M. Laki a une cicatrice d'une flèche adverse qui s'était fichée à quelques millimètres du coeur au début des années 1980. Cela l'avait empêché d'achever à la hache un membre d'une tribu rivale, raconte-t-il.

- Cash, cochons ou femmes -

Dans cette zone reculée, l'Etat n'est qu'un concept abstrait, et le gouvernement passe pour un autre clan rival lointain auquel on ne peut pas se fier.

On se bat toujours pour régler les problèmes, qu'il s'agisse de contentieux territoriaux, de vengeances après un vol ou un viol. Mais la modernité ne fait pas bon ménage avec ces traditions.

Les habitants ont tous des histoires d'armes automatiques destructrices qui circulent, de marchands d'armes et de mercenaires itinérants près à vendre leurs services contre du liquide, des cochons ou des femmes.

Ils font aussi état de la croissance démographique qui vient brouiller les frontières tribales traditionnelles, avec une population qui a plus que doublé depuis 1980.

Ailleurs en Papouasie, les combats tribaux sont devenus rares du fait en particulier de l'urbanisation, ou sont rituels. Mais pas dans cette province d'Enga.

Le commandant de la police provinciale Joseph Tondop a pris son poste il y a trois mois et dénombre déjà des dizaines de morts.

"J'ai été surpris en arrivant de voir des gens avec des armes très puissantes", témoigne-t-il. "Ils se tuent sur le bord de la route."

"Ils ont décidé de se faire justice eux-mêmes. C'est la justice de la jungle", déclare-t-il à l'AFP. Dans ce système, "le problème d'une personne devient le problème de tout le monde."

- Course tribale aux armements -

La violence est telle qu'une compagnie d'une centaine de militaires papouasiens commandés par un officier formé à l'Académie royale militaire de Sandhurst, en Grande-Bretagne, a établi un cantonnement dans un hôtel de Wabag, la principale ville d'Enga.

Les renseignements militaires pensent que les armes automatiques proviennent de la guerre civile qui a fait rage dans les années 1980 et 1990 sur l'île de Bougainville, dans le nord-est du pays et qu'elles sont arrivées là via la très poreuse frontière terrestre avec l'Indonésie. Ou qu'elles ont été revendues par des membres des services de sécurité eux-mêmes.

Aujourd'hui, le commandant Tondop parle d'une course tribale aux armements.

"Quand les membres d'un clan savent qu'un clan rival a certaines armes, ils doivent trouver un moyen de se procurer les mêmes", explique-t-il.

Il espère mettre en place l'année prochaine une mesure d'amnistie qui se traduira par une prime allant jusqu'à 6.000 dollars pour chaque fusil restitué.

Mais il sait que la seule vraie réponse, c'est le renforcement de la police et un système judiciaire qui soit perçu comme étant juste et efficace.

Pour comprendre l'ampleur de la tâche de M. Tondop, il suffit de regarder à l'extérieur de son très modeste commissariat de Wabag, où un groupe de 300 hommes de la tribu Epok se sont rassemblés pour demander justice pour Chris Salomon, un des leurs.

- Colère palpable -

L'adolescent de 16 ans a récemment été tué par balle et coupé en morceaux par un clan rival alors qu'il rentrait de l'école, lieu de cristallisation des violences tribales.

Après avoir reçu du commandant Tondop l'assurance que la police arrêterait les assassins, les membres du clan repartent vers leurs terres avec la dépouille dans une lente procession d'une dizaine de cars, camions et 4X4.

Une fois arrivés au village de Pilikambi, un millier de personnes se rassemblent pour le "Haus Krai", une cérémonie de deuil. Pendant une heure, sous la pluie, montent les gémissements, les pleurs et les chants autour du cercueil.

Traditionnellement, chacun est censé ainsi apaiser la douleur de l'autre. Mais au bout d'une heure, la colère est toujours palpable. C'est en tout cas ce qui se dégage de conciliabules entre membres de la tribu portant pour certains des machettes longues comme des épées et qui semblent surveiller la présence éventuelle d'intrus.

Et ce n'est pas le folklore de la scène qui a attiré le contingent de policiers et de militaires lourdement armés qui se tient non loin: si les forces de sécurité veulent empêcher que le sang ne coule à nouveau, elles devront très vite identifier, trouver et arrêter les suspects.

Elles savent qu'avec les armes qui circulent, les plus jeunes peuvent déclencher par vengeance, besoin d'affirmation ou honneur à laver, un sanglant cycle de violences réciproques.

"Le gouvernement doit agir", explique Amgal Solomon, le père de l'adolescent tué, qui ne cache pas que son clan se chargera de rendre justice si les autorités ne le font pas.

"Si le gouvernement n'agit pas, la violence se poursuivra", annonce-t-il. "Ca fera mal."

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