Effrayés, des Syriens d'Afrine accusent les rebelles de multiples abus

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Par Nazeer AL-KHATIB - Afrine (Syrie) (AFP)
Publié le 12 octobre 2018 - 13:40
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Un rebelle pro-turc en faction le 9 octobre 2018 au rond-point rebaptisé "Salah Aldin Alaiobi" dans la ville d'Afrine, en Syrie, où des habitants ont accusé les insurgés d'exactions
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© Nazeer AL-KHATIB / AFP
Un rebelle pro-turc en faction le 9 octobre 2018 au rond-point rebaptisé "Salah Aldin Alaiobi" dans la ville d'Afrine, en Syrie, où des habitants ont accusé les insurgés d'exaction
© Nazeer AL-KHATIB / AFP

Pillages, vols à main armée, enlèvements. Les habitants de la ville syrienne d'Afrine affirment être victimes d'abus et exactions de groupes rebelles soutenus par la Turquie dans cette cité du nord du pays en guerre.

Craintes et appréhensions, disent-ils, les ont poussés à rester chez eux depuis la conquête en mars dernier de leur ville, majoritairement kurde, par l'armée turque et les insurgés qui lui sont alliés.

De peur de représailles, ils ont utilisé des pseudonymes pour décrire une situation chaotique, dans une ville où les civils ne bénéficient de quasiment aucune protection.

"La maison de mon fils a été totalement pillée, même ses habits ont été volés. Notre magasin d'alcool a aussi été entièrement vidé", déplore auprès de l'AFP Ahmad, 55 ans, l'un des rares habitants rentrés après l'offensive.

La moitié des 320.000 résidents d'Afrine avaient fui l'avancée des troupes turques, selon un rapport en septembre de la commission d'enquête de l'ONU sur la Syrie.

La plupart n'ont pas pu y retourner et certains de ceux qui sont rentrés ont trouvé leurs maisons occupées par des combattants ou par des déplacés, selon elle. Des maisons ont été "dépouillées de leurs meubles, appareils électriques et de toutes (les pièces) de décoration".

Ahmad fait partie de ceux qui ont choisi de revenir avec sa famille.

Mais son tracteur a disparu, de même que sa mobylette. De plus, "la nuit, ils tirent sans cesse en l'air pour empêcher les gens de dormir", dit-il.

Comme lui, Sélim se plaint des actes de vols. "Ils volent la moindre chose", même les "câbles des poteaux électriques. Ils les ont tous débranchés pour les vendre".

- Enlèvements contre rançon -

Des habitants ont même racheté leurs voitures volées en payant "entre 2.000 et 5.000 dollars", selon la commission de l'ONU. Ils versent en outre des pots-de-vin aux barrages érigés aux entrées de la cité pour pouvoir arriver chez eux.

Sélim, 50 ans, possède des oliveraies à l'extérieur d'Afrine. Mais il ne peut plus y accéder sans une autorisation des nouvelles autorités.

"Sans autorisation du conseil local, vous ne pouvez pas rentrer sur votre propre propriété", se lamente ce père de trois enfants.

Et même si ce document est accordé, la sécurité n'est pas garantie.

Des hommes armés "peuvent vous kidnapper sur le chemin de votre champ" puis exiger une rançon allant de 15.000 à 50.000 dollars, ajoute Sélim.

"Les Kurdes n'osent pas sortir de chez eux".

La commission de l'ONU ainsi que l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) ont rapporté plusieurs cas de rapts contre rançon.

Selon l'OSDH, "40 personnes ont été enlevées ces trois dernières semaines et conduites vers des 'maisons d'otages'. Là, elles sont torturées" avant qu'une rançon ne soit réclamée à leurs proches.

Les rapts sont devenus "un moyen de faire de l'argent", indique l'ONG.

Des groupes rebelles accusent par ailleurs des habitants kurdes d'être fidèles au régime syrien ou d'être des membres des forces kurdes délogées d'Afrine ou du PKK, le parti séparatiste kurde et bête noire d'Ankara.

"Un jour, ils m'ont accusé d'être un chabih (milicien prorégime), et un autre d'appartenir au PKK", raconte Ibrahim, un habitant.

"Ils m'ont arrêté et conduit vers une base hors d'Afrine où j'ai été attaché et battu", ajoute ce père de deux enfants, évoquant le supplice du "balango" - mains derrière le dos et le corps suspendu à une chaîne pendant de longues heures.

- "Sang versé pour rien" -

La Turquie a démenti les accusations d'abus et les rebelles ont affirmé que les responsables de ces actes sont régulièrement punis.

Samia, une étudiante appartenant à la minorité arabe à Afrine, affirme être marquée à jamais par le meurtre de son père tué par des hommes armés cherchant à voler sa voiture.

"La première fois qu'ils ont essayé de la voler, mon père les a chassés. Ils sont revenus et l'ont tué pour se venger", se rappelle-t-elle.

L'auteur du crime a écopé "d'un seul mois de prison", déplore-t-elle. "Le sang de mon père a été versé pour rien".

L'ONU et Amnesty International ont également fait état de saisie systématique de maisons abandonnées, par des rebelles et des civils arrivés à Afrine d'ex-zones insurgées, notamment ceux de la Ghouta orientale près de Damas.

Certains noms de rue ou de commerces ont même changé à Afrine après l'installation des nouvelles autorités.

Le rond-point "Kawa", du nom d'un héros mythologique kurde, a été rebaptisé "Rameau d'Olivier", en allusion au nom de l'assaut turc.

Une autre pancarte porte le nom du président turc à l'endroit d'une place publique.

Abou Jihad, 60 ans, est amer. "Injustice, injustice, injustice et personne ne rend des comptes".

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