Islande : la loi qui a précipité les élections législatives

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Par AFP
Publié le 26 octobre 2017 - 14:43
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Le Parlement islandais à Reykjavik le 29 octobre 2016
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© Halldor KOLBEINS / AFP/Archives
Le Parlement islandais à Reykjavik le 29 octobre 2016
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Une loi permettant théoriquement à un meurtrier de devenir avocat ou à un pédophile de choisir la magistrature est à l'origine de la chute du gouvernement islandais et des élections législatives anticipées de samedi.

La loi sur la "restauration de l'honneur" ("Uppreist aeru" en islandais) était censée rétablir les condamnés dans leurs droits civiques et les aider à se faire une place dans la société. Elle apparaissait si désuète et inique à une majorité d'Islandais que le Parlement a abrogé la partie de la loi concernant les anciens détenus assujetis à des peines supérieures à un an d'emprisonnement, après différents scandales.

Le dernier en date a fait imploser la coalition gouvernementale.

Le Premier ministre, Bjarni Benediktsson, est accusé d'avoir dissimulé que son père, Benedikt Sveinsson, l'un des hommes les plus riches et influents d'Islande, avait apporté sa caution morale à un pédophile condamné en 2004 pour avoir violé sa fille quasi-quotidiennement pendant 12 ans.

Selon la loi, "l'honneur" d'un condamné peut être rétabli si sa demande était parrainée par au moins deux personnes de bonne moralité avant d'être déposée devant le président de la République pour approbation.

L'identité du Benedikt Sveinsson avait été tenue secrète (seuls son fils et la ministre de la Justice étaient au courant) jusqu'à ce qu'une commission parlementaire ordonne qu'elle soit rendue publique.

Accusé d'avoir abusé les parlementaires et l'opinion publique, lâché par Avenir radieux, une formation de sa coalition de centre-droit, le Premier ministre a démissionné. Il expédie les affaires courantes jusqu'aux législatives.

Le rejet des dispositions sur la "restauration de l'honneur" est encore plus unanime en Islande depuis l'affaire Robert Arni Hreidarsson, un ancien avocat condamné en 2007 à trois ans de prison pour avoir agressé sexuellement au moins quatre adolescentes. Son "honneur" a été néanmoins "restauré" en septembre 2016 et a pu de nouveau exercer.

Parmi ses victimes, l'une des quatre filles de Bergur Thor Ingolfsson, qui est devenu le porte-voix des opposants à la loi.

"Je suis vraiment fier d'avoir mis le système au jour pour montrer à quel point il était absurde", témoigne l'acteur-réalisateur de 48 ans dans un entretien à l'AFP.

Ces deux dernières décennies, 86 Islandais condamnés ont engagé une procédure pour "restauration de l'honneur", selon les chiffres du ministère de la Justice: 32 ont obtenu gain de cause.

"L'esprit et l'idée de la loi étaient positifs mais il fallait limiter l'accès à de hautes fonctions dans la société", plaide Bergur Thor Ingolfsson. "Les pédophiles ne devraient pas pouvoir occuper des postes de commissaire de police, avocat ou encore député sans limites dans l'exercice de leur profession".

Les dispositions de la loi sur la "restauration de l'honneur" stipulaient que toute peine d'emprisonnement supérieure à quatre mois prive du droit à se présenter aux élections, à siéger au conseil d'administration des entreprises publiques ou encore à exercer en tant qu'avocat devant les tribunaux.

Jusqu'en 1984, les condamnés perdaient aussi leur droit de vote. Ces mesures de dégradation provisoire étaient définitives pour les peines privatives de liberté supérieures à un an. Sauf à enclencher l'"Uppreist aeru".

L'un des bénéficiaires est Atli Gudjon Helgason, ancien international de foot, devenu lui aussi avocat. Condamné en 2001 à seize ans de prison pour le meurtre de son associé, il a recouvré ses droits et récupéré sa licence pour plaider.

-'Ma rédemption ne dépend que de moi'-

Sous couvert d'anonymat, un condamné en ayant bénéficié se dit lui-même très partagé.

"Cette procédure m'était indispensable pour des raisons professionnelles, pour avoir une chance de gagner ma vie, je n'avais pas le choix" mais "ma rédemption ne dépend que de moi", admet l'ancien détenu.

"Je n'ai pas besoin d'un document du gouvernement pour certifier que je suis à nouveau un bon citoyen. J'ai été condamné à la prison, j'ai désormais purgé ma peine. Puis j'ai complètement changé ma vie. Ce certificat de +restauration de l'honneur+ n'a donc aucune valeur à mes yeux", poursuit-il.

Le Parlement islandais a voté le 27 septembre, lors de la dernière session parlementaire avant les élections, l'abrogation partielle et temporaire du texte avant sa révision par le prochain gouvernement.

"L'abrogation ne répond cependant qu'à une part du problème et laisse de sérieuses brèches juridiques et morales", déplore Arnar Thor Jonsson, avocat et ancien juge au tribunal de Reykjavik, regrettant que certains condamnés ne puissent plus, en l'état, bénéficier de la réhabilitation. Selon lui, "on s'est trop concentrés sur les pédophiles".

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