La Maison Jean Bru, un "cocon" pour les jeunes victimes d'inceste

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Par Jessica LOPEZ - Agen (AFP)
Publié le 11 décembre 2020 - 15:47
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Une jeune résidente de la maison d'accueil Jean Bru, à Agen, un foyer spécialisé dans l'accueil et l'accompagnement de mineures ayant subi des agressions sexuelles dans le cercle familial, le 10 décem
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© Philippe LOPEZ / AFP
Une jeune résidente de la maison d'accueil Jean Bru, à Agen, un foyer spécialisé dans l'accueil et l'accompagnement de mineures ayant subi des agressions sexuelles dans le cercle f
© Philippe LOPEZ / AFP

Depuis sa chambre de la Maison Jean Bru, Amélie, 15 ans, aperçoit le punching-ball installé dans la cour. Un défouloir bienvenu dans ce lieu unique en France où une vingtaine de jeunes filles victimes d'inceste tentent de sortir du silence et se reconstruire.

Cette lycéenne est arrivée il y a 15 jours dans ce foyer d'Agen, le seul spécialisé dans l'accueil et l'accompagnement de mineures ayant subi des agressions sexuelles dans le cercle familial.

Sur les murs de sa chambre, elle a collé des photos de ses amis et de ses proches, des éléments de sa vie d'adolescente laissée à 900 kilomètres de là.

"Au début, c'était un peu dur d'être là car je suis loin de chez moi, de ma maman. Mais après on s'habitue. Je me sens bien, j'ai mon intimité et on parle beaucoup entre nous", témoigne Amélie (prénom modifié), qui a fait l'objet d'un placement judiciaire.

Fondée en 1996 par Nicole Bru, veuve du fondateur des laboratoires pharmaceutiques Upsa, la Maison Jean Bru peut accueillir dans l'ancienne demeure familiale 25 jeunes filles âgées de 10 à 21 ans.

"Le premier objectif c'est de les protéger et les aider à accepter leur histoire", explique le responsable, Wiliam Touzanne, dans une spacieuse cour intérieure qui dispose d'un punching-ball avec ses gants de boxe, laissés par une ancienne résidente.

Beaucoup arrivent avec "un sentiment de déshumanisation et de colère", constate-t-il. Aussi, chacune a sa chambre individuelle, "un cocon pour pouvoir travailler sur son espace d'intimité, qui a été attaqué comme son corps".

- Omerta -

Dans les couloirs blancs, où se succèdent des portes de chambres de couleurs vives, des posters, des dessins, et "Les enfants ont des droits" écrit en grosses lettres.

Accompagnées par des éducateurs nuit et jour, les victimes bénéficient d'un suivi psychologique à l'extérieur. "Ici, c'est un lieu où l'on vit, on n'est pas enfermé dans son histoire", souligne le Dr Patrick Ayoun, pédopsychiatre et "superviseur" auprès des équipes.

Selon ce spécialiste, la nature du traumatisme lié à l'inceste "n'est pas la même que pour les autres violences sexuelles car il y a en plus une atteinte à la filiation, qui cohabite avec une omerta dans la famille".

"C'est encore plus difficile de parler quand on est accusé d'avoir détruit ou de vouloir détruire la famille", poursuit-il, insistant sur les "troubles psychiques et somatiques" (anorexie, boulimie, diabète, troubles digestifs...) qui se déclarent chez les victimes.

Angélique, 32 ans, agressée sexuellement par son beau-père de 7 à 9 ans, a fréquenté la maison jusqu'à ses 13 ans et y accompagne aujourd'hui les nouvelles venues.

"C'est ici que je me suis rendue compte que ce que je subissais n'était pas normal, en parlant avec d'autres filles", témoigne-t-elle à l'occasion d'une visite du secrétaire d'Etat à l'Enfance Adrien Taquet.

- "Que ça sorte" -

A 13 ans, elle est retournée chez sa mère, qui s'était séparée de son agresseur: "je suis repartie dans le même lieu et j'ai été totalement abandonnée par les services sociaux", lâche-t-elle.

"Quand enfin on accepte ce qui nous est arrivé, la société nous rappelle qu'on n'est pas écouté", abonde Jessica, une autre ancienne résidente. Elle explique qu'après son séjour à Jean Bru, elle a vécu dans un foyer qui connaissait son histoire mais l'obligeait pourtant à voir son père les weekends car il détenait l'autorité parentale.

"Face à cet inconcevable que représente l'inceste, les travailleurs sociaux sont souvent démunis", constate Nathalie Mathieu, directrice générale de l'association Docteurs Bru.

"La prise en charge spécifique de l'inceste n'est pas intégrée dans les politiques publiques", dénonce-t-elle à M. Taquet, demandant qu'on "puisse repérer plus efficacement les victimes, plus répandues qu'on le pense".

Présent pour démarrer les travaux d'une commission indépendante sur ce sujet, présidée par Elisabeth Guigou, le secrétaire d'Etat a annoncé qu'un appel à témoignages serait lancé pour "prendre le temps d'écouter" les victimes.

"Ca va être énorme", réagit Jennifer, qui a subi enfant des viols de ses voisins en présence de son frère. "Je connais tellement de personnes qui n'ont jamais osé parler. Il faut que ça sorte".

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