Mayotte, une départementalisation "hors sol" et des relations chaotiques avec les Comores

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Par Gaëlle GEOFFROY - Paris (AFP)
Publié le 22 mars 2018 - 15:44
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Vue du port de Mutsamudu, capitale de l'île d'Anjouan aux Comores, le 21 mars 2018
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© IBRAHIM YOUSSOUF / AFP/Archives
Vue du port de Mutsamudu, capitale de l'île d'Anjouan aux Comores, le 21 mars 2018
© IBRAHIM YOUSSOUF / AFP/Archives

La crise qui secoue Mayotte, minée par ses difficultés sociales et économiques, trouve aussi ses racines dans un processus de départementalisation "hors sol" mené par une France jacobine et des relations diplomatiques chaotiques avec les Comores voisines, explique Gérard-François Dumont, professeur à la Sorbonne.

Question: Mayotte a entériné par plusieurs référendums son choix de rester dans le giron de la France au détriment des Comores et obtenu en 2011 de devenir un département français à part entière. Mais cette départementalisation n'a-t-elle pas eu des effets pervers ?

Réponse: L'erreur majeure a été de ne pas soutenir certains élus qui avaient compris que Mayotte n'était absolument pas prête pour ce statut face à ceux qui y étaient favorables et aux hommes politiques, en métropole, qui y voyaient un réservoir de voix, notamment à la présidentielle.

L'enlisement de la crise aujourd'hui montre que nos actes nous suivent: les erreurs faites depuis une vingtaine d'années continuent d'exercer des effets. Pour que le dialogue arrive à se nouer, il faudra du temps, mais si on considère en métropole que la seule façon de calmer la situation, c'est simplement, comme on l'a toujours fait, de signer des chèques, on ne fait que reculer pour mieux sauter.

Il aurait fallu concevoir une stratégie de développement économique adaptée à la fois à son histoire et son positionnement géographique. Or le drame de la France est toujours le même: sa mentalité jacobine et le fait qu'elle a considéré ses départements ou territoires d'Outre-mer hors sol.

Alors que les Mahorais sont très attachés à leur village, on a estimé que c'était un niveau administratif trop étroit et créé des communes réunissant quatre ou cinq villages. C'était absurde: cela a porté atteinte à des solidarités villageoises très fortes.

Appliquer la complexité des réglementations métropolitaines à un territoire qui a besoin d'agilité économique, c'est en fait l'étouffer. C'est même mettre les Mahorais en quelque sorte en situation d'assistanat. Ce qui se produit en 2018 était donc prévisible.

Q: La situation est encore compliquée par la démographie galopante alimentée par une forte immigration, essentiellement clandestine, venue des Comores. Quelle est la position de ces dernières ?

R: L'Etat des Comores n'a jamais accepté que Mayotte (qui a choisi dès le 18e siècle d'entrer dans le giron français, ndlr) n'en fasse pas partie. La France a été plusieurs fois condamnée par l'ONU pour sa présence à Mayotte et la +violation+ de l'unité des Comores. Le discours de tous les dirigeants des Comores a toujours été de dire +Les Comoriens qui partent à Mayotte vont dans un territoire qui fait partie des Comores+. Ce qui rend la situation ingérable dans la mesure où cela se traduit par une croissance démographique phénoménale.

L'Etat des Comores n'a pas gagné politiquement malgré toutes ses démarches, y compris à l'ONU, mais dans une certaine mesure, il est en train de dominer démographiquement Mayotte puisque, si les chiffres officiels disent qu'il y a 40 à 45% de Comoriens, c'est en fait la moitié voire plus de la population qui est étrangère si on ajoute les clandestins qu'on n'a pas pu recenser.

Cette population étrangère à Mayotte intéresse les Comores car il y a des intérêts économiques à cela. Les fameux kwassa-kwassa qui emmènent des femmes accoucher à Mayotte ne repartent pas vides mais avec marchandises et matériel pas nécessairement achetés...

Q: Quelles pistes faudrait-il étudier pour envisager que la situation s'améliore ?

R: "Contrairement à ce qui est dit, des investissements colossaux ont été engagés par la métropole: écoles, collèges, retenues d'eau, usine de dessalement d'eau, aménagement du port de Longoni et du lagon... Mais c'est insuffisant par rapport à la croissance démographique et l'insécurité qu'elle engendre.

Il faut partir des richesses de Mayotte. D'un point de vue touristique, c'est un endroit absolument fabuleux. Mais pour attirer les touristes, encore faut-il que la sécurité soit assurée. Et Mayotte a une chance dans son malheur: c'est une zone de stabilité politique, d'Etat de droit, contrairement aux Comores où on ne compte plus les coups d'Etat. Dans ce cadre, il faudrait entrer dans une logique de zone franche pour attirer des investisseurs, sud-africains par exemple, qui auraient une garantie que le droit serait respecté".

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