Réduire le risque médicamenteux : le plan de François Pesty (partie 8)

Auteur(s)
François Pesty
Publié le 09 novembre 2023 - 14:56
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Pesty partie 8
Crédits
France-Soir
France-Soir

DOSSIER - Erreurs médicamenteuses, mésusage, non-pertinence et inefficience des prescriptions, le talon d’Achille se trouve dans les logiciels métiers des professionnels de santé. Mon plan pour y remédier

Une tribune en dix épisodes, dix propositions faisant appel au « numérique en santé », mon projet de Loi citoyen en dix amendements au Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2024.

Huitième épisode :

Proposition n°8

La lecture code-barres pour assister l'administration infirmière des médicaments au lit du malade et au chevet des résidents. 

Proposition n°8

Huitième amendement  : "Certification des logiciels d’aide à l’administration des médicaments assistée par la lecture code-barres au lit du malade et au chevet du résident."

L'article L. 161-38 du code de la Sécurité sociale (ici) est également modifié de la manière suivante :

9° Après le IIa, est introduit un IIb dans lequel les mots suivants sont insérés : "IIb. La Haute Autorité de santé établit la procédure de certification des logiciels d’aide à l’administration des médicaments. Celle-ci requiert la mise en œuvre d’un circuit du médicament informatisé en boucle fermée qui permette, en étant connecté à la prescription électronique, l’administration des médicaments assistée par la lecture code-barres de chaque dose à administrer, réalisée au lit des malades ou au chevet des résidents, ainsi que par la lecture du code-barres ou Datamatrix apposé au bracelet d’identification du patient ou résident, de s’assurer de la conformité à la prescription des médicaments prêts à être administrés : 'Le bon médicament, au bon malade, à la bonne dose, par la bonne voie, au bon moment'."

Exposé sommaire :

L’administration des médicaments par l’infirmière (ou l’aide-soignante par délégation de l’infirmière pour les formes orales) est l’ultime opportunité pour intercepter une erreur médicamenteuse. C’est dire l’importance cruciale de vérifier qu’il s’agit bien du "bon médicament, au bon malade, à la bonne dose, par la bonne voie et au bon moment".

Cet amendement se propose d’élargir le périmètre de la certification et les exigences fonctionnelles minimales attendues pour les logiciels hospitaliers d’aide à la prescription, à la dispensation, à la préparation des doses à administrer et à leur étiquetage, à l’étape infirmière proprement dite d’administration des médicaments. Le seul prérequis à sa mise en place étant l’apposition par les industriels du médicament sur chaque conditionnement primaire pour chaque présentation pharmaceutique d’un code-barres ou d’un Datamatrix conforme à la norme GS1-128.

L’infirmière est sans nul doute le professionnel de santé actuellement le plus démuni de tout support logiciel et technologique dans l’exécution de cette étape à haut risque d’erreur. La HAS serait parfaitement habilitée pour définir le référentiel permettant d’améliorer la qualité et la sécurité de la pratique infirmière dans ce domaine à risque élevé pour la sécurité des patients. Aujourd’hui, faute d’exigence formalisée en la matière, faute aussi de la présence de code-barres ou Datamatrix sur la plupart des conditionnements primaires de médicaments disponibles à l’hôpital et en établissements médico-sociaux, les logiciels couvrant la prise en charge médicamenteuse du patient n’intègrent pas la technologie de la lecture code-barres au chevet du malade pour assister l’administration des médicaments (certains logiciels le font néanmoins pour les seules transfusions sanguines).

Nous connaissons tous la fiabilité de la lecture code-barres qui a fêté ses 50 ans en avril 2023 (ici) pour identifier les produits que nous achetons dans le commerce, nos valises dans les aéroports, les passagers à l’embarquement. Les pharmaciens d’officines en ville, scannent les boîtes de médicaments lors de leur délivrance aux patients, ce qui permet la télétransmission et l’alimentation de l’historique médicamenteux dans "Mon espace Santé". L’utilisation de la lecture code-barres est insuffisamment déployée pour la dispensation des médicaments par les pharmaciens hospitaliers, un tiers seulement la pratique. Alors même qu’une étude américaine publiée en 2006 a permis de montrer que cette technologie réduisait de plus de 80 % les erreurs de dispensation et les événements indésirables potentiellement liés (ici).

La même équipe du Brigham and Women’s Hospital de Boston a pu démontrer en 2010 l’efficacité de cette technologie pour éviter des erreurs d’administration (jusqu’à 90 %) et les événements indésirables, notamment graves, consécutifs à ces erreurs, ainsi que l’abolition des erreurs causées par les retranscriptions (ici). Le déploiement de la lecture code-barres au lit du malade avait débuté dès 1995 dans les hôpitaux militaires du Veterans Affairs, et s’était achevé en 2000. Mais pour la généralisation à tous les hôpitaux américains, il aura fallu attendre que le directeur de la FDA (Agence américaine du médicament) et le secrétaire à la Santé américain aient rendu obligatoire la présence d’un code-barres sur chaque conditionnement primaire de médicaments destinés à l’hôpital (annonce faite en février 2004, avec date butoir en avril 2006). Cela implique bien évidemment, pour un blister de 10 ou 14, ou "n" comprimés ou gélules, d’apposer un Datamatrix derrière chaque alvéole. Dès lors, les hôpitaux nord-américains ont rapidement pu déployer la lecture code-barres au lit du malade, et 80 % l’avaient réalisé fin 2013, 93% en 2016.

En France, en 2010, pour imposer aux industriels du médicament l’apposition sur les boîtes d’un Datamatrix intégrant le CIP13, le numéro de lot et la date de péremption, un simple avis signé du directeur général de l’Agence française du médicament (AFSSAPS à l’époque) publié au JO aura suffi (ici). En 2023 ou 2024, il suffirait donc, pour rendre obligatoire la présence sur chaque conditionnement primaire pour toutes les présentations pharmaceutiques, d’un Datamatrix embarquant le code CIP13 ou le code UCD, le numéro de lot et la date de péremption, qu’un avis du même type publié au JO, soit pris par la direction générale de l’ANSM. Cet avis et ce qu’il implique pour les industriels, est le prérequis indispensable pour pouvoir implémenter en France la lecture code-barres au lit du malade ou au chevet du résident, une procédure qui sauve des vies !

Plus précisément, "l’informatisation du circuit du médicament en boucle fermée" aux USA, qui combine la connexion avec la prescription informatisée en temps réel avec la mise en œuvre au lit du patient de la lecture code-barres de son bracelet d’identification, ainsi que celle des code-barres ou Datamatrix présents sur chaque dose de médicament avant leur administration (Closed Loop Medication Administration), a fait partie des cibles prioritaires d’usage (Core Meaningful Use) à atteindre pour le paiement à la performance des hôpitaux et des médecins. Elle constitue un élément majeur pour expliquer les résultats spectaculaires obtenus aux USA dans la lutte contre les erreurs médicamenteuses et l’iatrogénie liée entre 2011 et 2017 :

- 1 422 857 événements indésirables médicamenteux évités ;

- 23 780 décès évités en lien avec une erreur médicamenteuse ; 

- 7,55 milliards de dollars épargnés.

La méthodologie utilisée pour documenter ces évolutions remarquables s’est basée sur le data mining (ou fouille informatique) de plusieurs centaines de milliers de dossiers médicaux électroniques de bonne qualité, à la recherche d’événements indésirables grâce à des algorithmes prédéfinis dans le cadre du programme PfP (Partnership for Patients, que l’on pourrait traduire par "partenariat au bénéfice des patients"), et cela, pour cinq groupes de médicaments à risque (Digoxine, hypoglycémiants, héparine sodique, héparines de bas poids moléculaire et nouveaux anticoagulants oraux, antivitamines K). La méthodologie est détaillée par CMS (Center for Medicare & Medicaid Services : ici).

Rapport final 2017 de l’AHRQ (équivalent aux USA de notre Haute Autorité de Santé) publié en juillet 2020 (ici).

Rapport final 2014 de l’AHRQ publié en décembre 2016 (ici).

Différentes études montrent aussi un gain de temps infirmier avec la lecture code-barres au lit du malade et au chevet du résident

L’exemple même d’un décès qui aurait pu être évité grâce à l’administration des médicaments assistée par la lecture code-barres, a fait la une du journal télévisé de France 3 le 11 septembre 2014 (ici).

Que faut-il retenir de cet accident thérapeutique tragique ? Sinon que la lecture code-barres connectée à la prescription en temps réels, aurait pu, aurait dû l’intercepter... En effet, la lecture code-barres au lit du malade permet de signaler par une alarme toute discordance de patient (grâce à la lecture du code-barres sur son bracelet d’identification), de présentation pharmaceutique, de spécialité pharmaceutique, de dosage, de forme pharmaceutique et/ou de voie d’administration, ou du moment d’administration, entre la prescription et les données scannées lors de son exécution.

Voir aussi cet article (ici) écrit le 12 septembre 2014.

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