Aide aux migrants : le Conseil constitutionnel consacre le "principe de fraternité"

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Par Sofia BOUDERBALA - Paris (AFP)
Publié le 06 juillet 2018 - 14:23
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Pour la première fois, le Conseil constitutionnel consacre le "principe de fraternité", rappelant que "la devise de la République est +Liberté, Egalité, Fraternité+" et que la loi fondamentale se réfè
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© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP/Archives
Pour la première fois, le Conseil constitutionnel consacre le "principe de fraternité", rappelant que "la devise de la République est +Liberté, Egalité, Fraternité+" et que la loi
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La fraternité était une devise, elle devient un des grands principes du droit français: le Conseil constitutionnel a affirmé vendredi qu'une aide désintéressée au "séjour irrégulier" des étrangers ne saurait être passible de poursuites au nom de ce principe, qui s'imposera désormais au législateur.

"À l'instar de la liberté et de l'égalité, qui sont les deux autres termes de la devise de notre République, la fraternité devra être respectée comme principe constitutionnel par le législateur et elle pourra être invoquée devant les juridictions", a déclaré à l'AFP le président du Conseil, Laurent Fabius.

Cette décision, d'autant plus retentissante qu'elle intervient dans un contexte politique européen tendu sur la question migratoire, répond à une demande de Cédric Herrou, un agriculteur devenu le symbole de l'aide aux migrants à la frontière franco-italienne et qui réclamait l'abolition du "délit de solidarité".

"C'est bien, c'est un signe positif. Les Français ont besoin de ça, d'entendre que les notions de fraternité et de compassion sont reconnues, et qu'on sorte des discours anxiogènes pour faire un peu attention aux plus faibles", a réagi M. Herrou auprès de l'AFP. Son avocat, Patrice Spinosi, s'est réjoui d'une "immense victoire".

Le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb a aussi salué cette décision mais en se félicitant, lui, que le Conseil constitutionnel n'ait pas étendu les exemptions existantes "à l'aide à l'entrée irrégulière sur le territoire français". Le Conseil constitutionnel prévoit de maintenir les sanctions dans ce cas.

Cette décision "valide la réforme du délit de solidarité" votée à l'Assemblée, se sont félicités plusieurs responsables de la majorité et de gauche.

À l'inverse, à droite, des députés LR, regrettant que le Conseil constitutionnel "se substitue au législateur", ont dénoncé une décision qui "affaiblit manifestement la lutte contre l'immigration de masse".

"On marche sur la tête et ça commence à faire peur !", a de son côté réagi Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (ex-FN), sur Twitter.

- "La liberté d'aider autrui" -

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel consacre le "principe de fraternité", rappelant que "la devise de la République est +Liberté, Égalité, Fraternité+" et que la loi fondamentale se réfère à cet "idéal commun".

"Il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national", selon la décision.

Pour permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, le Conseil reporte au 1er décembre 2018 la date d'abrogation des dispositions contestées.

Les principes généraux du droit ont été pour la plupart fixés après la Seconde Guerre mondiale et il est rarissime que de nouveaux soient énoncés.

Devant le Conseil constitutionnel, Cédric Herrou et un autre militant de la vallée de la Roya, tous deux condamnés pour aide au séjour irrégulier, avaient attaqué deux articles du Code de l'entrée et du séjour des étrangers.

Ils visaient l'article 622-1, qui punit l'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irrégulier de cinq ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende, et l'article 622-4, qui précise que cette aide ne peut donner lieu à des poursuites lorsqu'elle est le fait de la famille ou "de toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte".

Le texte précise ensuite que cette aide autorisée consiste notamment "à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux (...) ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique".

Un texte "trop vague" pour les défenseurs des militants, qui permettait de sanctionner l'aide humanitaire de la même façon que la criminalité organisée des filières de passeurs.

"En réprimant toute aide apportée à la circulation de l'étranger en situation irrégulière", le Conseil constitutionnel estime que le législateur n'a pas respecté l'équilibre entre "principe de fraternité" et "sauvegarde de l'ordre public".

Il censure donc partiellement l'article L 622-4, sortant du champ des poursuites toute aide humanitaire au "séjour" comme à la "circulation" des migrants. En revanche, "l'aide à l'entrée irrégulière" reste sanctionnée.

- Contexte politique très tendu -

Sur les conditions d'immunité listées dans ce même article, le Conseil émet une "réserve d'interprétation", c'est-à-dire qu'il précise le sens que l'on doit donner au texte: ainsi, l'immunité devrait s'appliquer aux situations énumérées (conseils juridiques, soins médicaux...) mais aussi "à tout autre acte d'aide apporté dans un but humanitaire".

Cette décision intervient dans un contexte politique très tendu sur la question migratoire.

Le 29 juin, après des semaines d'échanges acides sur fond de sauvetage de bateaux errant en Méditerranée, les dirigeants de l'Union européenne sont parvenus à un compromis qui propose la création de "plateformes de débarquement" de migrants en dehors de l'UE pour dissuader les traversées.

En France, des voix s'étaient élevées jusque dans la majorité pour critiquer le fait que le gouvernement n'ait pas proposé d'accueillir l'Aquarius, un navire refoulé par l'Italie et qui voguait alors avec 630 migrants en détresse.

Au Parlement, députés et sénateurs ne sont pas parvenus mercredi à se mettre d'accord sur le projet de loi "asile et immigration": fin juin, les sénateurs avaient durci le texte adopté en avril par l'Assemblée nationale, qui avait précisément assoupli le "délit de solidarité". Une nouvelle écriture du texte devra donc tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel.

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