Restaurateurs et passe sanitaire : "Faire la police n’est pas notre métier"

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FranceSoir
Publié le 29 juillet 2021 - 14:24
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Treize témoignages de restaurateurs pour comprendre le flou avant le passe sanitaire obligatoire
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REPORTAGE - Propriétaires, serveurs de bars et restaurants sont dans le flou : une douzaine de témoignages ont été recueillis pour ce reportage, à Paris et en banlieue - tous ont accepté de répondre à nos questions sous couvert d'anonymat.

Il en ressort à l’unanimité, selon ce panel d’interviewés, qu’ils ne se sentent pas préparés, ni aidés pour savoir comment contrôler les non-vaccinés. Certains connaissent les habitués et savent lesquels ne sont pas vaccinés, mais la plupart, surtout dans les bars et restaurants dans Paris intra muros, ne savent pas comment les contrôler.

« Pour nous ça reste compliqué, on n’est pas vraiment au courant, ça change tout le temps. Un coup le passe sanitaire n’est pas obligatoire en terrasse, un coup c’est obligatoire. On n’a toujours pas le droit au comptoir. Tout ça pour nous ça reste très, très compliqué. Là ils imposent le passe, ça veut dire quoi on va perdre des clients qui ne sont pas vaccinés. Normalement, on est dans un pays libre donc chacun ses choix. » nous explique une restauratrice, avant qu’un autre gérant appuie :

« On travaille beaucoup, on essaye d’être au courant, mais on n’y arrive pas facilement. Là, la loi commence dans une semaine, ça va encore évoluer, on sait pas comment. »

« Personne ne va le respecter, c’est impossible de vérifier 150, 200 personnes par jours. On n'a pas les moyens. »

En effet, ils n’ont eu aucune forme de mode d’emploi, et ces interviews réalisées ces 27 et 28 juillet 2021 montrent qu’à quatre jours de la mise en place de cette règle, les restaurateurs n’ont aucune « indication et sont dans le flou le plus total ».

Beaucoup « d’incohérences », donc pour reprendre leurs termes, ils ne savent pas si ces règles pourront même être appliquées. « Ça veut dire quoi, on va mettre quelqu’un devant la porte pour contrôler ? Surtout que parfois on est seul à servir… On n’est pas guidé à comment faire, quoi ».

« Ce n’est pas cohérent, en terrasse, qu’on soit à un mètre l’un de l’autre, je ne sais pas si ça change grand-chose . »

« Non mais déjà il annonce ça y’a dix jours, est-ce que y’aura assez de vaccins pour tout le monde ? Bien sûr que non, donc ça sert à quoi. Soit y’a quelque chose que je comprends pas, soit c’est n’importe quoi. »

 On imagine qu’au début la police va surveiller en masse l’application de cette loi, quitte à faire des exemples, mais que dans le temps cette obligation ne tiendra pas car même les effectifs de police, comme les effectifs des restaurants, ne sont en général pas assez fournis pour permettre un tel travail. On sait déjà que la police n’appliquait pas systématiquement la verbalisation de ceux qui ne portaient pas le masque lorsqu’il le fallait selon la loi.

« J’ai juste envie de faire mon métier, et je ne comprends pas qu’on fasse payer les pots cassés à tout le monde. »

A cela s’ajoute le fait qu’ils ne veulent pas faire la police. « Je trouve ça triste, en fait. Je me dis être obligé de checker tout le monde avant d’aller au restau, alors que le restau c’était le premier truc en tant que jeune tu te sens plus libre, quoi. Tu te dis « viens on va faire un restau, et là on va devoir "checker" tout le monde, ça va être trop triste »

Leur métier est de nourrir les gens, et comme on le sait, leur activité est souvent intense et ils ne peuvent pas prendre plus de temps pour vérifier avec chaque client si le passe est validé, notamment à cause des fraudes avec des faux passes.

« Déjà, on court après ceux qui se mettent au comptoir. Ils ne savent pas que c’est interdit. Ils disent « c’est bon c’est rapide », « mais on ne peut pas faire la loi tout le temps. Sauf que, si les flics passent ça tombe sur nous, donc… Ça rajoute encore plus de pression sur nous, déjà que c’est pas facile toujours à gérer… ».

Or s’ils valident un passe erroné, les restaurateurs seront verbalisés également. Ils ont déjà du mal, selon leurs explications, à faire porter le masque à l’intérieur lorsque le client va de sa table au comptoir ou aux toilettes. Les clients ne respectent pas cela avec rigueur ce qui prend déjà beaucoup de temps et d’énergie aux restaurateurs qui doivent alors maintenant en plus mettre une nouvelle tâche dans leur programme.

La plupart comprennent et entend déjà que beaucoup de clients sont prêts à acheter de faux passes pour continuer d’aller dans ces lieux publics. Un restaurateur dit qu’un client de passage était prêt à mettre beaucoup d’argent : « Bien sûr que même parfois ça parle de montant, ils sont prêts à mettre 300 euros, 600 euros. Ils veulent garder leurs libertés. » La chasse à la fraude est donc source de stress pour certains qui pourraient subir une amende en cas de contrôle de ces clients.

« Moi je m’en fous, dans le sens où c’est flou, c’est pas nominatif, n’importe qui avec un QR code peut passer. […] Ben ça existe déjà, dans les boîtes de nuit, tu as ton QR code tu rentres, c’est pas notre job de faire la police. On a même pas le droit dans notre fonction de demander les papiers, donc après c’est trop facile de venir avec un faux QR code. »

Cette loi est tombée comme un cheveu sur la soupe à ceux dont la situation n’est pas aisée. Malgré la réouverture des bars et restaurants, depuis près de deux mois, économiquement, ces institutions n’ont pas retrouvé leur rentabilité passée. Elles ont ainsi peur, pour la plupart, que l’activité baisse encore plus, et que cela mette un coup de plus sur leur tête.

On ne peut parler de ce sujet sans parler de la vaccination même. « Moi, j’ai dû me faire vacciner car j’ai un commerce, mais ça n’est pas normal d’obliger les gens à se faire vacciner […] forcément que c’est une forme d’obligation. J’ai choisi la facilité un peu. En tant que restauratrice je me suis sentie forcée » nous explique une jeune serveuse.

Un élément revient souvent dans leurs propos : les sept mois de fermetures entre fin 2020 et mai/juin 2021, ont été marquants, presque traumatisants pour les restaurateurs obligés de rester chez eux pour certains, perdant le droit de travailler. « On n'est pas prêt à tout accepter pour autant, mais forcément qu’on n'a plus envie de revivre ça » explique un restaurateur, avant qu’une gérante de ces entreprises explique qu’au-delà de l’aspect justifié ou injustifié du passe au vu d’une mortalité très faible de ce virus (0,16% au 22 juillet 2021), c’est davantage l’épidémie de lois mettant la pression aux restaurants qui influence leur pensée : « Même si la mortalité est aussi basse, faut avoir en tête que pour nous, on est directement en contact avec les clients, et si l’un de nous est contaminé, il a plus le droit de travailler pendant dix jours, ça veut dire qu’il faut trouver quelqu’un pour le remplacer… »

Une autre restauratrice dont les plats à emporter sont une grande part de son activité, nous explique comment elle préfère servir sur place car cela crée du lien social. Il faut prendre en compte que selon les activités : petit ou grand, spécialisé dans la vente à emporter, ceux qui connaissent bien les clients ou ceux ayant davantage de touristes, le travail n’est pas le même, pourtant tous, sont dans le même bateau. C’est d’ailleurs une des grandes différences entre les bars et restaurants dans Paris et ceux interrogés en banlieue parisienne dans les villes de Champigny-sur-Marne et Saint-Maur-des-Fossées, c’est qu’en banlieue la clientèle est très fortement composée d’habitués par rapport aux clients des brasseries parisiennes.

Une nouvelle fois, cette question des vaccins entraîne une perte du lien social. Si les manifestants se retrouvaient auparavant dans les bars pour échanger, il faut avoir en tête que c’est un lieu public qui leur est fermé. Les anti-passes sanitaires, et anti-politiques liberticides se retrouvent notamment ostracisés de nouveaux lieux de rencontres.

La question est alors de savoir si ces restaurateurs ont pu faire remonter leurs inquiétudes aux politiques ? Seuls les syndicats ont pu discuter avec ces derniers, et tous ne se trouvent pas représentés par ces organisations. Selon les propriétaires de ces lieux, on observe certaines différences, certains jugent simplement que les syndicats portent suffisamment bien leurs intérêts, d’autres attestent qu’ils ne représentent que les grandes entreprises de restaurations.

« Ils ne nous représentent pas du tout, les syndicats c’est pour les grosses maisons, nous les petits commerçants, on nous laisse mourir à petit feu. […] On ne nous écoute plus, l’Empereur fait ce qu’il veut (en parlant d’Emmanuel Macron). On est tous dans le même bateau les restaurateurs mais on n'a pas les mêmes capacités, ni les même possibilités donc juste laissez-nous faire notre boulot. »

Les restaurateurs ne sont donc pas prêts à quelques le début de l’application de cette loi. Et attendant toujours beaucoup de précisions face à cette règle première dans l’histoire où beaucoup jugent qu’elle a été instiguée sans tenir compte de la réalité de la vie et du travail de ces gérants de bars, serveurs, cuisiniers, etc.

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